Andrew Korybko, 27 mars 2023
L'Amérique pense qu'elle doit à tout prix faire le nécessaire pour empêcher l’État d'Israël d'exercer son droit souverain, sous la direction restaurée de Bibi, à trouver un équilibre, dans la nouvelle guerre froide, entre le Milliard d'or de l'Occident dirigé par les États-Unis d'un côté et l'Entente sino-russe de l'autre, plutôt que de prendre aveuglément le parti de l'un contre l'autre.
Dans l'immédiat, son "État profond" veut qu'Israël arme Kiev, alors que Bibi lui-même a averti au début du mois que cela pourrait brusquement catalyser une crise avec la Russie en Syrie, ouvrant ainsi un "second front" dans la campagne d'"endiguement" des États-Unis à l'échelle de l'Eurasie.
***
Il n'y a pas d'autre façon de décrire les derniers événements en Israël que comme une révolution de couleur [4], terme qui désigne l'utilisation de manifestations instrumentalisées pour obtenir des modifications du régime (concessions), un changement de régime (pas besoin d'explication), et/ou un redémarrage du régime (réforme constitutionnelle de grande envergure visant à affaiblir l'État, généralement par le biais d'un fédéralisme identitaire de type bosniaque). Ces articles ([1], [2] et [3]) démontrent de manière convaincante que les États-Unis sont derrière tout cela, le premier prouvant un financement partiel par le Département d'État.
Dès la mi-janvier, nous avons estimé que "les manifestants israéliens servent d'idiots utiles à une révolution colorée unipolaire"[5], dont nous pouvons résumer l'analyse ici avant d'expliquer pourquoi tout vient d'atteindre des proportions de crise. En bref, les libéraux-mondialistes qui formulent aujourd'hui la politique étrangère américaine méprisent Netanyahou (communément appelé "Bibi") pour des raisons idéologiques liées à sa vision conservatrice-souverainiste du monde.
Face à la trifurcation imminente des relations internationales entre le Milliard d'or de l'Occident dirigé par les États-Unis, l'Entente sino-russe et le Sud mondial dirigé officieusement par l'Inde, Bibi envisage un alignement multiple d'Israël entre les trois blocs de facto de la nouvelle guerre froide afin de maximiser son autonomie stratégique. Si l'héritage des relations d'alliance avec l'Amérique reste fort, Bibi ne va pas permettre à Biden de l'exploiter pour forcer Israël à prendre ses distances avec l'Entente sino-russe, simplement pour servir les intérêts à somme nulle des États-Unis.
En outre, sa vision de la politique intérieure est tout à fait différente de celle des élites américaines au pouvoir, en ce sens qu'il ne se sent pas à l'aise à l'idée de laisser les conceptions libérales-mondialistes s'infiltrer dans la société israélienne, ce qui, craint-il, pourrait en fin de compte entraîner une révision radicale de celle-ci en quelque chose que ses fondateurs n'ont jamais voulu. La position du lecteur à l'égard de la Palestine n'a pas d'importance puisque le sujet de cette analyse concerne les relations d'Israël, au niveau de l'État, avec le Milliard d'or de l'Occident dirigé par les États-Unis et l'Entente sino-russe.
Le contexte susmentionné de ces tensions sans précédent entre ces deux entités en ce moment historique des relations internationales a préparé le terrain pour qu'elles débouchent finalement sur une guerre hybride des États-Unis contre Israël au cours du week-end. Les membres de l'élite israélienne alignés sur les États-Unis, y compris le ministre de la défense de Bibi, se sont résolument retournés contre lui et ont apporté leur soutien aux révolutionnaires de couleur qui s'agitent en masse, de manière de plus en plus violente, pour qu'il abandonne ses réformes judiciaires [4].
Le dirigeant sortant sait qu'il a peu de chances d'appliquer pleinement le programme conservateur-souverainiste qui lui a permis d'accéder pour la troisième fois au poste de premier ministre si le système judiciaire reste sous l'influence de libéraux-mondialistes dont la véritable loyauté va aux États-Unis. C'est ce qui explique le refus de Bibi de renoncer aux changements dont ont profité les manifestants professionnels partiellement financés par les États-Unis pour servir d'"événement déclencheur" et mettre en branle leur agitation planifiée à l'avance.
Avant sa réélection, la société israélienne avait déjà prouvé qu'elle s'était profondément divisée au fil des ans entre les conservateurs-souverainistes et les libéraux-mondialistes, ce qui a créé un terrain fertile pour les acteurs de l'agitation susmentionnés, qui ont pu manipuler de larges segments de la population. Il ne fait aucun doute qu'une masse critique de la société soutient la vision de ces derniers et que leur résistance aux réformes de Bibi est sincère, mais le fait est qu'ils sont instrumentalisés contre l'État par ces provocateurs professionnels.
Des stratégies et des tactiques de contrôle des foules sont employées pour transformer des manifestants ordinaires en outils de guerre hybride qui perturbent la société, intimident ceux de ses membres qui ne sont pas d'accord avec leurs exigences, et tentent même des éléments des forces armées qui abandonnent dangereusement leur devoir. Pour être clair, cette dernière observation est partagée du point de vue des intérêts de l'État israélien dans le contexte de cette analyse et ne doit pas être interprétée comme une déclaration contre la cause palestinienne.
L'effet effet cumulatif de cette opération est qu'Israël a été plongé dans la pire crise politique de son histoire, dont les racines sont intérieures, mais ces différences idéologiques préexistantes n'auraient pas atteint les proportions épiques actuelles qui mettent en danger l'État israélien s'il n'y avait pas eu d'ingérence de la part des États-Unis. La prochaine phase de la guerre hybride des États-Unis contre Israël, qui est motivée par le désir des libéraux-mondialistes au pouvoir de saboter les politiques conservatrices-souverainistes de Bibi, pourrait être le déclenchement d'une guerre non conventionnelle.
Une fois de plus, nous ne faisons aucune déclaration sur la cause palestinienne, mais nous prédisons simplement que les intérêts des États-Unis, tels qu'ils sont conceptualisés par leur bureaucratie militaire, diplomatique et de renseignement permanente (l'"État profond"), sont servis par une déstabilisation accrue de l'État israélien. Ce soi-disant "chaos contrôlé" est destiné à faciliter la modification du régime, le changement de régime et/ou un redémarrage du régime, allant même jusqu'à un coup d'État de l'armée et du Mossad contre Bibi et une "solution à deux États" forcée.
L'Amérique estime qu'elle doit à tout prix faire le nécessaire pour empêcher l'État d'Israël d'exercer son droit souverain, sous la direction restaurée de Bibi, à trouver un équilibre entre le Milliard d'or de l'Occident dirigé par les États-Unis d'un côté et l'Entente sino-russe de l'autre, plutôt que de prendre aveuglément le parti de l'un contre l'autre. Dans l'immédiat, son "État profond" veut qu'Israël arme Kiev, ce qui, selon Bibi lui-même, pourrait brusquement catalyser une crise avec la Russie en Syrie.
C'est précisément ce résultat que les États-Unis souhaitent, car il pourrait ouvrir un "second front" dans leur campagne d'endiguement de la Russie à l'échelle de l'Eurasie, après que les efforts les plus récents en ce sens en Géorgie et en Moldavie ont échoué jusqu'à présent. En outre, une crise majeure en Asie occidentale pourrait entraver la montée accélérée de la région en tant que pôle d'influence indépendant dans l'ordre mondial multipolaire émergent, dont le scénario est devenu viable après le rapprochement irano-saoudien parrainé par la Chine.
Cette évolution, associée à l'alignement multiple envisagé par Bibi entre le Milliard d'or de l'Occident dirigé par les États-Unis et l'Entente sino-russe, pourrait conduire à la perte quasi-totale de l'influence américaine sur l'Asie occidentale, en particulier si Israël commence à dédollariser son commerce comme l'Arabie saoudite devrait bientôt le faire. En d'autres termes, le rôle futur de toute la région dans la transition systémique mondiale en cours est en jeu, ce qui explique l'importance stratégique de la crise israélienne exacerbée par les États-Unis.
La dynamique sociopolitique (sécurité douce) n'est pas en faveur de Bibi, ce qui pourrait le faire reculer ou le renverser, l'une ou l'autre de ces issues augmentant les chances qu'Israël se soumette au rôle de nouveau vassal de la guerre froide des États-Unis au lieu de poursuivre sa trajectoire en tant qu'acteur indépendant. Si la dynamique militaire (sécurité dure) devient plus difficile, comme dans le cas d'une Intifada tacitement approuvée par les États-Unis, sa destitution pourrait être un fait accompli, à moins qu'il ne parvienne à imposer une dictature militaire.
Pour ne pas être mal compris, précisons que le scénario précédent ne sous-entend pas que la cause palestinienne soit illégitime, mais seulement qu'elle risque d'être exploitée par les États-Unis, comme toutes les autres, au profit de leurs intérêts plus larges. Quoi qu'il en soit, la situation est extrêmement explosive et il est difficile de prédire ce qui va se passer. Rien de tel ne s'est jamais produit en Israël, ni sur le plan intérieur, ni sur le plan des relations avec les États-Unis. C'est littéralement sans précédent, surtout en termes d'impact sur les relations internationales telles qu'elles ont été analysées ci-dessus.
[1] https://www.jns.org/opinion/how-biden-subverts-israeli-democracy/
[3] https://visionmag.org/washington-running-judicial-reform-protests/
[4] An Idiot’s Guide to Israeli Judicial Reform
[5] https://syncreticstudies.com/2014/12/03/the-color-revolution-model-an-expose-of-the-core-mechanics/
Source: The US-Backed Color Revolution In Israel Just Reached Crisis Proportions – Andrew Korybko
Traduction: Carla Montet
Qui sème le vent récolte la tempête.