Causeur a lu l’enquête bien renseignée de Florence Bergeaud-Blackler sur les Frères musulmans, préfacée par Gilles Kepel, qui vaut à l’anthropologue une intense campagne de dénigrement islamo-gauchiste.
C’est avec la théorie de l’islam du juste milieu que le mouvement islamiste s’est lancé à l’assaut de l’Europe, explique Florence Bergeaud-Blackler, chargée d’études au CNRS et spécialiste de ces questions. Cette dénomination sert d’appeau à naïfs, car cet islam-là n’a rien de modéré. Les Frères ont un rêve : faire de l’Europe une terre d’islam. Ils sont habités par un récit fondateur. Ils entendent suivre ici et maintenant la voie tracée par leur prophète, Mahomet. C’est-à-dire passer de La Mecque à Médine, de la phase de faiblesse à celle de la force. Ils rêvent de conquête et pensent que celle de l’Europe est réalisable grâce à l’immigration massive et au ventre des femmes musulmanes. Ils le disent, ils l’écrivent. Pourtant, rares sont ceux qui les prennent au sérieux.
Un plan d’action sur trois décennies
En 1990, leur leader établit un plan d’actions pour les trente années à venir. Au programme notamment : la formation d’une avant-garde islamique et celle d’une opinion publique musulmane. Force est de constater que tout s’est déroulé comme prévu : « Les Frères musulmans constituent l’avant-garde de l’islam mondialisé. Une opinion publique musulmane a vu le jour, en particulier dans les métropoles des pays occidentaux où les musulmans comptent de plus en plus comme une force sociopolitique. »
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Dans les années 2000, cette stratégie permet aux Frères d’investir les institutions européennes. À l’époque, pour lutter contre l’euroscepticisme croissant, l’Union européenne essaie de retrouver une forme de soutien populaire en mettant en avant, non des politiques concrètes, mais les valeurs communes de l’Europe. Celles-ci sont notamment définies comme spirituelles. Dans ce cadre, les principales religions sont sollicitées. « La Commission européenne affiche alors son souhait de coopérer avec les acteurs modérés de l’islam, écrit Florence Bergeaud-Blackler. N’étant pas capable de se doter de critères de modération et encore moins de vérifier que les représentants qui frappent à sa porte les remplissent, elle croit sur parole ceux qui se revendiquent tels. Bien entendu, les Frères ne manquent pas cette occasion bénie. » Ils vantent alors le dialogue entre les civilisations, sauf que leur but n’est pas d’adapter l’islam à l’Europe, mais d’adapter l’Europe à l’islam. L’influence frériste se déploie alors à partir des organisations historiques des Frères musulmans comme la Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE), son organisme de formation d’imams, l’IESH, sa branche jeunesse, Femyso et sa branche femme, EFOMW. Sa stratégie de développement cible les mêmes domaines au niveau européen que dans les pays membres. Elle se concentre sur « le dialogue religieux et interculturel, l’éducation et la formation, la place de la femme dans la société, la lutte contre le racisme ». En revisitant l’histoire de la confrérie et de sa mainmise sur les institutions représentatives de l’islam en France et en Europe, Florence Bergeaud-Blackler constate que la mauvaise intégration des musulmans n’est pas imputable aux sociétés occidentales. C’est même tout le contraire : « C’est l’islamisme, ici le frérisme, qui empêche l’intégration. Il le fait en demandant aux jeunes d’accepter la citoyenneté française tout en gardant un cœur musulman […]. » Il s’agit d’inverser « le processus d’assimilation : à la France de s’adapter aux musulmans, c’est le tribut qu’elle doit payer pour avoir colonisé une partie du monde musulman ».
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