Les mâles blancs hétéros sont les nouvelles sorcières de Salem de l’Amérique. Les chercheurs Joseph Bottum et Joshua Mitchell ont expliqué en quoi.
Le wokisme est né à la suite de l’effondrement du protestantisme traditionnel aux États-Unis d’Amérique. Ce changement sociologique majeur (et très peu documenté, du reste) a entraîné une mutation délétère du puritanisme vers des contrées où le fanatisme n’a plus rencontré le contrepoids et les digues protectrices que la religion offrait à ses adhérents contre les mouvements extrémistes.
La mouvance progressiste « woke » a vu le jour sur les campus américains. Elle se propose de lutter contre toutes les formes de discriminations : religieuse, sexuelle, ethnique. Le terme « woke » est la traduction du mot français « éveillé ». Être « éveillé », cela signifie que vous avez pris conscience que le monde se partage entre dominants et dominés. Vous pouvez être « éveillé » en tant que dominé : dans ce cas, vous adhérez à des structures militantes qui dénoncent, par exemple, le racisme systémique de votre pays. Mais vous pouvez être également « éveillé » en tant que dominant si vous avez pris la mesure du privilège que vous conféraient votre couleur de peau blanche, votre sexe masculin, votre orientation sexuelle hétérosexuelle, votre religion chrétienne – privilèges dont vous n’aviez pas idée avant votre « éveil ». Dans ce cas, vous serez « woke » en faisant acte de contrition et en luttant contre les prérogatives dont vous avez bénéficié jusqu’à présent. Tel est le credo, assez sommaire et manichéen, du wokisme.
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Un puritanisme sans foi ni loi
Or, le wokisme n’est pas né aux Etats-Unis par hasard. Pourquoi ? Parce que cette idéologie constitue en fait un puritanisme crypto-protestant sans Dieu ni foi religieuse. En effet, cet extrémisme militant n’était pas en mesure d’émerger tant que le puritanisme protestant était assez puissant aux Etats-Unis pour canaliser la pulsion moralisatrice inhérente à cette foi religieuse et la maintenir dans les clous raisonnables de l’orthodoxie chrétienne. Mais dès lors que la foi en Dieu se fut étiolée dans le protestantisme américain classique (en migrant notamment vers l’évangélisme), les digues étaient rompues et un intégrisme moralisateur allait prendre le relais de l’orthopraxis protestante : le « politiquement correct » puis, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, le wokisme.
Joseph Bottum, spécialiste du phénomène religieux, a très bien analysé la dimension protestante du wokisme : « En fait, l’état de l’Amérique a toujours été lié à l’état de la religion protestante. Et c’est toujours le cas ! C’est juste que nous avons maintenant une Eglise du Christ sans le Christ. Cela veut dire qu’il n’y a pas de pardon possible. Dans la religion chrétienne, le péché originel est l’idée que l’humanité hérite d’une tache qui corrompt nos désirs et nos actions. Mais le Christ paie les dettes du péché originel en nous libérant. Si vous enlevez le Christ du tableau en revanche, vous obtenez… la culpabilité blanche et le racisme systémique. Bien sûr, les jeunes radicaux n’utilisent pas le mot « péché originel ». Mais ils utilisent exactement les termes qui s’y appliquent. Ils parlent d’ « une tache reçue en héritage » qui « infecte votre esprit ». (…) Leur conviction que l’Amérique est intrinsèquement corrompue par l’esclavage et n’a réalisé que le Mal, n’est pas enracinée dans des faits que l’on pourrait discuter, elle relève de la croyance religieuse » (interview au Figaro du 25 septembre 2020).
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Les nouvelles sorcières de Salem seraient plutôt de sexe masculin et hétéros
La dimension religieuse du wokisme se révèle déjà dans le vocabulaire employé. Sur les campus, on parle de « Great Awokening », de « grand éveil » : ces termes font implicitement référence à une conversion religieuse. Le nouveau converti prend soudain conscience de son état de pécheur en s’ « éveillant » à un état de la réalité qui lui échappait auparavant. Sur un autre registre, Bouddha, lui aussi, fut un grand Eveillé ne prenant la mesure de la souffrance universelle…
Cependant, le wokisme ne se contente pas de retraiter le lexique religieux. Il emprunte au protestantisme radical d’autres réflexes : génuflexions en signe d’attrition et de contrition, lavement des pieds de personnes noires, geste qui renvoie plus explicitement au lavement des pieds des apôtres par le Christ lors de la Cène dans l’évangile de saint Jean, confessions publiques des péchés de l’Amérique (racisme, sexisme, homophobie, transphobie, islamophobie, etc), ostracisme des impénitents et des non-convertis, chasse aux sorcières des « déplorables », absolution collectives des fautes pourvu que vous militiez dans les rangs des nouveaux missionnaires de la Cause et que vous renonciez à votre nation (raciste), à votre famille (hétéronormée), à votre religion chrétienne (patriarcale et homophobe). Comme le dit le professeur Joshua Mitchell, spécialiste de Tocqueville : « Nous avons tellement faim d’une vie sans culpabilité que nous sommes prêts à tuer notre civilisation pour y parvenir » (interview au Figaro du 10 septembre 2021). Toutefois, même s’il est né du reflux du protestantisme traditionnel, comparer le wokisme à une religion est un raccourci trop facile. Les religions sont en général rationnelles. Le wokisme, mélange de ressentiment et d’irrationalité, en serait plutôt la caricature. Ce qui le rend encore plus dangereux et incontrôlable. Et puis, les religions offrent des perspectives de salut attractives. À rebours, le wokisme ne laisse au mâle blanc hétérosexuel chrétien d’autres choix que l’auto-néantisation ou l’expulsion de l’espace public…
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