Opérations coup de poing
Depuis qu’en mars 2018 les militants de l’ONG 350.org se sont allongés tout de noir vêtus devant Le radeau de la méduse pour simuler une marée noire dans l’une des salles les plus fréquentées du Louvre, les militants de la cause climatique multiplient les coups d’éclat dans les musées avec, entre autres : un jet de soupe sur Les Tournesols de Van Gogh à la National Gallery de Londres le 14 octobre ; un jet de purée sur Les Meules, un tableau de Monet exposé au musée de Potsdam le 23 octobre ; une projection de potage sur une toile de Gauguin ; une tentative de se coller le visage sur un tableau de Van Gogh au musée d’Orsay le 27 octobre ; ou encore un lancer de soupe aux pois sur Le Semeur du même Van Gogh à Rome le 4 novembre.
Ces actions sont initiées par des groupes activistes radicalisés qui poussent comme des champignons après la pluie : Extinction-rebellion, Last Generation, Just Stop Oil ou Dernière rénovation.
Leurs membres multiplient les opérations coups de poing en soutenant qu’elles ne sont pas violentes et en les justifiant par l’urgence climatique comme l’explique la porte-parole de Just Stop Oil interrogée par Médiapart :
« Nous avons décidé de viser les musées pour obtenir l’attention, notamment des médias, sur la crise climatique. Et cela fonctionne : ces actions ont déjà eu beaucoup plus d’échos que les autres que nous menons depuis plusieurs mois. Je comprends que les gens soient outragés. Mais pourquoi ne le sont-ils pas lorsqu’il y a des inondations au Pakistan ? Nos protestations sont non-violentes. Nous ne voulons jamais nuire aux œuvres, nous ne visons que celles protégées par une vitre. »
Selon cette militante, il s’agit d’actes de résistance face à l’inaction supposée des pouvoirs publics qui s’apparentent à « des performances artistiques. L’art ne se limite pas juste à de jolis tableaux, mais aussi à faire bouger les choses ».
Les musées, une cible idéale mais pas exclusive
Ce n’est pas un hasard si le milieu de l’art est une cible privilégiée.
D’une part, ses acteurs sont très sensibles aux discours de ceux qui ont popularisé la notion très élastique d’« empreinte carbone ». Or si on se réfère à ce type de calcul contestable, celle-ci serait dans leur cas très loin d’être négligeable en raison des émissions de gaz à effet de serre que provoquent les millions de visiteurs voyageant à travers la planète pour se rendre dans les musées dont très peu publient leur bilan carbone.
D’autre part, confrontés à cet élément factuel, leurs responsables ont mauvaise conscience, tiraillés entre l’idéologie bien-pensante que partage la majorité d’entre eux et leur volonté d’assurer le plus grand retentissement possible aux expositions qu’ils organisent. Ils sont d’autant plus perméables à ce type d’actions qu’en août dernier, l’International Council of Museums (ICOM) a entériné une nouvelle définition du musée, qui doit désormais être « au service de la société » et devenir un lieu d’échange et de débat. Dès lors qu’est ce qui s’oppose à ce que ces institutions deviennent des terrains privilégiés de la controverse la plus radicale ?
Débordant le champ muséal, celle-ci fait tache d’huile et s’attaque à bien d’autres domaines.
À Roland Garros en mai dernier, puis pendant le Tour de France au mois de juillet, des évènements sportifs ont été perturbés.
Le 28 octobre, un militant a interrompu une représentation de La Flûte enchantée de Mozart à l’Opéra de Paris en s’attachant à un élément du décor.
Le 30 octobre une méga-bassine a été sabotée dans les Deux-Sèvres et le 4 novembre un dépôt de TotalEnergies a été bloqué dans le Nord de la France.
Le même jour, des centaines de militants de Greenpeace et d’Extinction Rebellion ont envahi le tarmac de l’aéroport d’Amsterdam et quelques-uns se sont enchainés aux roues d’un jet d’affaires.
Le 7 novembre un groupe d’activistes de Dernière rénovation a même réussi à bloquer le périphérique parisien à la hauteur de la porte de Vanves.
Une matrice idéologique éprouvée
La liste de ces opérations coups de poing n’est ni exhaustive ni close.
Bien d’autres ne manqueront pas de suivre dans les mois qui viennent au fur et à mesure que les groupes les plus radicaux recruteront de nouveaux adeptes incités à passer à l’action par une association comme ATTAC devenue en France une des principales matrices du mouvement.
Sur son site on peut lire un « appel à désarmer les criminels climatiques » qui est sans équivoque :
« Alors que les catastrophes écologiques s’accélèrent, faisons cesser les crimes climatiques des ultra-riches et de leurs multinationales. Agissons ensemble : investissons et bloquons les sièges de leurs entreprises, les halls d’embarquement de leurs jets privés, les quais d’amarrage de leurs yachts, les greens de leurs terrains de golfs […] Afin de mettre à la sobriété les ultra-riches, nous proposons d’aller vers l’interdiction des jets privés et des méga-yachts. »
Sur l’écran sont placardés des affiches du type WANTED criminalisant les patrons de TotalEnergies, de LVMH et du groupe Bolloré dont les têtes sont placées au bout de piques symboliques.
Où cela nous mène-t-il ?
Si on suit ces idées devenues folles, le simple fait de vivre, de consommer et donc de polluer constitue un crime. La conséquence logique est de criminaliser la venue au monde d’un nouvel être humain, ce grand prédateur qui a vocation à détruire tout ce qu’il touche.
C’est fondamentalement ce que pensent les activistes de Collapsus, le formidable roman de Thomas Bronnec.
Visionnaire, son auteur part de tendances qui sont dans l’air du temps et les pousse jusqu’à leurs ultimes conséquences en imaginant vers quels horizons elles nous conduisent.
Dans un futur proche mais indéterminé, tout commence par une manifestation de militants écologistes radicaux fanatisés brandissant au pied d’une maternité des pancartes où l’on peut lire des slogans comme « Si tu aimes les enfants, ne les mets pas au monde : c’est une poubelle ». On comprend assez vite que le pays, dirigé par une poignée d’écolo-populistes radicaux, est sur une trajectoire qui le conduit à une dictature qui ne dit pas tout de suite son nom.
Trois ans auparavant, un concours de circonstances a porté à la magistrature suprême Pierre Savidan, une figure de la gauche vegan et woke, un gourou obsédé par le dérèglement climatique et la dégradation de l’environnement, un type convaincu que « croire qu’on va régler les problèmes avec la croissance et la libre-entreprise, ça relève de la psychopathologie ». Il est parvenu à se faire élire en fédérant « tous ceux qui n’aiment pas cette civilisation libérale qui nous a apporté la technologie, les voyages, qui ont peur du progrès et de la croissance. »
Cauchemar vert
Depuis, le pays s’enfonce progressivement dans un cauchemar de plus en plus verdâtre.
Des allumés envahissent régulièrement les pistes et s’enchaînent aux avions pour les empêcher de décoller.
Un projet de loi veut limiter le commerce de la viande.
Les grands patrons sont pourchassés pour des affaires de pollution industrielle montées en épingle.
Un impôt punitif taxe les profits des banques qui investissent dans les entreprises exploitant les énergies fossiles ou jugées polluantes.
Le crime d’écocide est sévèrement puni : « En faisant rimer écocide avec génocide on affirme que la Nature a autant de droits que les Hommes. »
Le monde dystopique de Collapsus, le roman de Thomas Bronnec
On a mis en place un « scoring écologique individuel » :
« En fonction de ses modes de transport, de son emploi, de son régime alimentaire, de ses revenus, de la composition de son foyer, de l’ensemble de ses actions au quotidien, chacun peut désormais disposer d’une note qui évolue au gré d’un algorithme dont le code informatique, en gage de bonne foi, a été rendu public […] Le crédit écologique est compris entre 50 et 950. Au-delà de 500, les impôts commencent à baisser. »
On pense bien sûr au crédit social aujourd’hui expérimenté en Chine.
Pour regagner des points il faut suivre un programme « d’accueil individualisé et de réaffiliation écologique » dans un centre fermé dont on ne sait jamais quand on ressort.
Quant à la question du genre, un des personnages clés du livre l’inscrit dans une perspective intersectionnelle conforme à celle qui a cours aujourd’hui dans les milieux les plus radicaux :
« Ce que tu as subi, ce que les femmes ont subi, c’est la même chose que ce que la Terre a subi. Le pillage, les abus, les extractions, les usages, l’instrumentalisation. Si on arrête de maltraiter la Terre, on arrêtera de maltraiter les femmes, les hommes et tu seras sauvée, comme les autres. »
Pour réaliser un tel projet, l’obstacle principal auquel se heurtent le président et son âme damnée Fanny Roussel (tiens, tiens…) ce sont les riches, jugés responsables de l’augmentation des températures, des canicules et des tempêtes : « Le dérèglement du climat, c’était eux, c’était la faute des riches. »
Le raisonnement est limpide :
« En théorie, si nous étions deux fois moins sur Terre, l’humanité émettrait deux fois moins de gaz à effet de serre. Mais il suffirait de supprimer les 10 % les plus riches pour arriver au même résultat. »
Dans cet univers qui n’est qu’en partie dystopique, « la question de la liberté deviendra anecdotique, parce que celle de la survie l’aura supplantée ».
Il faut donc renoncer « au gras de nos libertés » et au-delà à celle d’avoir des enfants : « Avoir un enfant, oui, désolé de le dire, ça pollue » selon un député du parti au pouvoir. Si on considère qu’un enfant est d’abord un émetteur de CO2, cette position est logique.
Elle fait penser à cette réflexion glaciale de Staline :
« La mort résout tous les problèmes. Pas d’hommes, pas de problèmes. »
Éviter le pire
Que faire pour écarter ce scénario-catastrophe et juguler les assauts contre la démocratie dont se rendent coupables les agités du bocal qui ont fait main basse sur la question écologique ?
La seule voie raisonnable à court terme réside dans une combinaison de vigilance (contre les activistes, la ministre de la Culture affirme que ses équipes sont pleinement mobilisées), de fermeté (les actes de vandalisme et d’obstruction tombent sous le coup de la loi) et de pédagogie (pour calmer l’éco-anxiété qui gagne les jeunes générations et bien faire comprendre que ce n’est pas la planète qu’il faut sauver mais l’humanité qui est menacée par une idéologie mortifère). À plus long terme, en ayant toujours en tête que le nucléaire n’émet pas de CO2, l’enjeu fondamental est de trouver les moyens d’investir massivement dans le déploiement de technologies permettant d’atténuer les effets encore mal connus du changement climatique et de s’y adapter progressivement.
Si on n’y parvient pas, le livre de Thomas Bronnec nous donne une idée précise et bien documentée du cauchemar qui nous attend.
Extrait de: Source et auteur
Et vous, qu'en pensez vous ?