Un texte d’Eugénie Bastié dans le Figaro. Abattre l’Occident , le dernier essai du Britannique Douglas Murray, est traduit en français. Salutaire et décapant.
Stanford, 1987. Le révérend Jesse Jackson accompagné de 500 étudiants protestent contre l’introduction de cours de « culture occidentale » à l’université. Ils manifestent en criant : « Hey hey, ho ho, West Civ has got to go » (« la civilisation occidentale doit partir »). Trente-cinq ans plus tard, ce cri de guerre est entonné au cœur même de nos institutions : des multinationales aux campus, en passant par les administrations, les écoles, les cinémas et les livres d’histoire. Les fondements de notre civilisation, jugée intrinsèquement raciste, sont expurgés, remplacés, annulés. La honte d’être blanc a fait tache d’huile. Celle-ci a pris feu en juin 2020, quand le monde occidental, rendu névrotique par des mois de pandémie a entamé une transe antiraciste à la suite de la mort de George Floyd. L’effroyable asphyxie de ce Noir américain par un policier blanc devenant l’image même de nos mœurs. C’est ce cancer idéologique qu’ausculte avec minutie l’essayiste britannique Douglas Murray dans son livre Abattre l’occident traduit pour la première fois aux Éditions de l’artilleur.
Déjà quelques lecteurs haussent les épaules : depuis quelques mois, on ne compte plus les livres écrits sur le phénomène woke et ses avatars tant et si bien qu’on pourrait se dire que les conservateurs montent en épingle ce qui ne serait qu’un mouvement minoritaire sans conséquences. Tous ceux qui jugent ces craintes exagérées doivent lire ce livre fouillé, moins idéologique que journalistique — dans la veine de l’essai anglo-saxon. C’est bien une menace majeure qui pèse sur l’occident d’autant plus dangereuse qu’elle n’est pas exogène, comme la guerre où l’épidémie, mais intérieure, minant les fondements même de nos sociétés en y semant la haine et la division.
C’est sans doute le meilleur essai sur la question du masochisme occidental depuis Le Sanglot de l’homme blanc de Pascal Bruckner. Parce qu’il appartient au monde anglo-saxon où elle se déploie avec le plus de furie, Murray passe en revue les manifestations les plus extraordinaires de cette étrange maladie : du projet 1619 lancé par le New York Times visant à réécrire l’histoire des États-Unis en la faisant débuter au début de l’esclavage, au restaurant Whistler de Londres menacé de fermeture en raison d’une fresque jugée raciste, en passant par les innombrables statues déboulonnées dans les capitales occidentales, ses exemples sont légion. On comprend au fil des pages que c’est désormais la méfiance envers les Blancs qui est institutionnalisée et systémique, enseignée dans les écoles, appliquée dans les administrations (des ateliers d’intersectionnalité sont même dispensés au FBI !), promue par la publicité et dans les dessins animés.Douglas Murray excelle dans la mise en exergue des paradoxes de cet antiracisme devenu hystérique alors même qu’il n’a plus de raison d’être. « Au moment même où le racisme n’a jamais été davantage frappé d’opprobre et où il est devenu parfaitement inacceptable tant sur le plan social que sur le plan politique, il est présenté comme omnipotent et on insiste sur la nécessité absolue de le repousser. » La traite occidentale est enseignée à tous les Blancs dès le primaire, mais la traite orientale, au moins aussi violente est soigneusement occultée. Il est impossible de dire la moindre généralité sur un peuple non occidental sans se voir accusé d’odieuse essentialisation, mais on peut à loisir se moquer de la « fragilité blanche » ou de la « rage blanche ». À Londres on tague « raciste » sur la statue de Churchill, le plus grand antifasciste du XXe siècle, mais on continue de se recueillir sur la tombe de Karl Marx, dont les écrits ont inspiré le totalitarisme et a tenu des propos très peu woke sur les Noirs et les Juifs. Tout ce qui a grandi la civilisation occidentale doit être abîmé, tout ce qui l’a fustigé doit être encensé.
On pourrait rire de ces calembredaines et les juger inoffensives. Pourtant, argumente Murray, cette haine de soi typiquement occidentale est dangereuse, non seulement parce qu’elle mine nos sociétés, mais parce qu’elle est utilisée comme une arme par nos ennemis. Ainsi la Chine, superpuissance qui ne connaît pas la repentance mémorielle, ne se prive pas de fustiger régulièrement les États-Unis pour leur non-respect des droits de l’homme en mettant en avant la question des « violences policières » pour dénier aux institutions internationales tout droit de regard sur son propre fonctionnement dictatorial.
Reste une question. Pourquoi des théories aussi masochistes, mensongères, puériles et destructrices se sont répandues avec tant de rapidité ? Douglas Murray nous éclaire sur les raisons de ce succès. D’abord, elles prennent la place d’un vide. « Alors que l’ensemble des autres grands récits se sont effondrés, la religion de l’antiracisme fournit un but et un sens à la vie. » Ensuite, parce que ce masochisme plonge ses racines dans une tradition occidentale. Le goût de l’ailleurs, l’exotisme, la tendance à mal s’aimer, à se mépriser, à préférer le barbare au péquin a la faveur de nos intellectuels de Montaigne à Rousseau. Même Voltaire trouvait des qualités à la religion musulmane tandis qu’il vomissait celle de ses pères. L’antiracisme religieux ne fait que radicaliser cette veine. Enfin, ces théories de la déconstruction séduisent par leur facilité. Il est en effet infiniment plus facile de détruire que de créer, de déboulonner que de forger, de critiquer que de fonder, de pointer les défauts du passé que fabriquer quelque chose à transmettre. On touche là au point nodal de ce grand mouvement qui affecte notre héritage ; l’oubli d’une qualité fondatrice de toute civilisation : la gratitude. Et Murray de citer les derniers mots du philosophe conservateur Roger Scruton, dont il est un des disciples : « S’approcher de la mort vous permet de savoir ce que la vie et la gratitude signifient. »
Il nous faudrait renouer avec ce sentiment de reconnaissance, qui n’est pas une rustre fierté, mais l’humilité de reconnaître que nous sommes les héritiers d’une civilisation qui n’a pas seulement créé des chefs-d’œuvre que nous sommes incapables d’égaler, mais aussi inventé des progrès scientifiques stupéfiants, mis en œuvre un confort et un système politique fondé sur la liberté et le droit que le monde entier nous envie. D’ailleurs, comme le rappelle Murray, les bateaux de migrants ne vont que dans une seule direction : l’occident.
Abattre l’Occident,
Comment l’antiracisme est devenu une arme de destruction massive
par Douglas Murray,
paru chez L’Artilleur,
à Paris,
le 24 août 2022,
432 pp,
ISBN-10 : 2810011214
ISBN-13 : 978-2810011216
Extrait de: Source et auteur
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