Deux députés RN fraîchement élus à l’Assemblée nationale s’y retrouvent vice-présidents depuis mercredi, suscitant un tollé à gauche, pour qui l’extrême droite reste infréquentable.
Il n’est pas question que le #RN ait 2 vice-presidences qui leur permettent d’animer les débats de l’Assemblée. Parler depuis l’hemicycle, certes, c’est la démocratie, parler depuis la tribune et y tenir des propos comme ceux d’hier, en est une autre. #PasDeRNAuPerchoir
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau) June 29, 2022
Pour Marine Le Pen, c’est une nouvelle victoire de sa stratégie de dédiabolisation.
Victoire ! #DirectAN
Nos députés @HeleneLaporteRN et @sebchenu sont élus vice-présidents de l’Assemblée nationale : après des années de confiscation démocratique et de pseudo-« front républicain », le RN se bat pour vous représenter comme vous le méritez pic.twitter.com/P4tKNkzMkt
— Rassemblement National (@RNational_off) June 29, 2022
Depuis l’arrivée des 89 députés de la formation nationaliste à l’Assemblée, les commentateurs s’interrogent gravement : faut-il traiter les nouveaux venus comme des pestiférés ou au contraire, les intégrer aux pratiques ordinaires de gouvernement ? Le RN est-il devenu un banal parti de droite, ou est-il resté une coalition factieuse de nostalgiques et de folkloriques ?
Premièrement, on remarque que ces considérations éthiques arrivent à point nommé, au moment où les différentes écuries politiques cherchent à se partager le gâteau des rôles et des commissions au sein de l’Assemblée. Deux postes qui reviennent au RN, ce sont deux postes qui échappent à la NUPES et à LREM.
Deuxièmement, on se scandalise des nostalgiques de l’Algérie française, mais par contre, les formations qui ont soutenu les dictatures d’Amérique du Sud ou ont été les promoteurs serviles de l’ex-URSS, parfois même de la Russie poutiniste contemporaine, passent entre les gouttes. La Macronie a bien tenté pendant la campagne d’étendre la diabolisation de l’extrême droite à l’extrême gauche, avec le succès que nous pouvons tous constater. Les deux courants sont désormais bien implantés partout en France.
Je résume : Macron en campagne vante les idées de LFI.Dupont-Moretti imagine discuter avec le RN. Pap Ndiaye ne veut aucun compromis avec le RN. Macron réélu ne veut plus ni de LFI ni du RN… Ce n’est plus du en même temps… C’est du n’importe quoi !!
— Eric Revel (@ericrevel1) June 26, 2022
Dédiabolisation inefficace
C’est que la dédiabolisation du Rassemblement national a commencé bien avant que ses représentants passent le perron du Palais Bourbon. Et elle n’est pas le seul fait de Marine Le Pen (ou de la maladresse de son concurrent malheureux, Éric Zemmour). Depuis maintenant des décennies, de droite à gauche, du centre jusqu’à la périphérie politique, on pille le programme et les méthodes de la formation d’extrême droite pour tenter d’accéder à la magistrature suprême.
Le style populiste, qui consiste à fustiger l’ensemble de la classe politique et à se présenter comme outsider pour générer la sympathie populaire contre les institutions, est devenu dominant depuis le début des années 2000. Inspiré par le style de Jean-Marie Le Pen, les Sarkozy, mais aussi les Ségolène Royal, François Bayrou et tant d’autres se sont positionnés en « rupture » avec l’offre politique dominante, avec plus ou moins de bonne foi. En s’appuyant très clairement sur le culte de la personnalité plus que sur des programmes de réformes, tous ces braves gens ont participé à la dilution de la culture démocratique dans l’hyperprésidentialisme.
L’antifascisme de théâtre, pour paraphraser Lionel Jospin, qui date des années Mitterrand et qui s’est perpétué jusqu’aux années 2020, a trop souvent servi de paravent au statu quo et à l’immobilisme politique de ses prétendus défenseurs. Il a fini par devenir le programme unique d’un progressisme à court d’idées, et une sorte d’épouvantail qui ne faisait plus peur à personne.
Sur le fond, la surenchère sécuritaire qui a suivi l’entrée en guerre de l’Occident « contre le terrorisme » a donné à une partie de la classe politique l’opportunité de singer le FN, parfois en le doublant à droite sur les questions de restriction de libertés publiques. Surfant sur la paranoïa antiterroriste et la montée en puissance de l’hostilité à l’Islam, le droitisme s’est constitué en véritable fonds de commerce politique. À la droite de la droite, chercher à siphonner les voix du FN est devenu un véritable sport.
Surenchère sécuritaire partout
Si la surenchère sécuritaire est devenue un élément de rhétorique ordinaire à droite (mais aussi au sein d’une certaine gauche dite républicaine), cela ne signifie pas que cela se traduise dans les faits par une amélioration de la protection des biens et des personnes. Au contraire, le divorce entre le discours sécuritaire de la classe politique et l’explosion de violence au quotidien qu’elle est incapable de juguler ont permis au FN, puis au RN, d’engranger des voix et de la popularité avec facilité et régularité.
De son côté, la gauche, de Hollande à Mélenchon, par son soutien cartoonesque aux délinquants et aux agresseurs des forces de l’ordre, a réussi le tour de force d’incarner une certaine idée du renoncement dans le domaine de la justice et de la sécurité au plus grand bénéfice de toutes les formations droitières du pays.
La Macronie a aussi apporté sa petite pierre à l’édifice. En banalisant la glorification de l’État autoritaire, jadis réservée aux groupuscules fascisants et aux réactionnaires anti-démocratie parlementaire, l’« extrême-centrisme » a innové, pour le pire. Après une crise des Gilets jaunes vertement réprimés, la gestion de la crise sanitaire s’est appuyée sur l’état d’urgence, généralisant le contrôle social, la surveillance et la répression. L’absurdistan autoritaire et sanitaire qui a déjà largement été évoqué dans les colonnes de Contrepoints s’est doublé de la criminalisation des demandes de libertés publiques.
Depuis les dernières élections, ce sont donc des formations autoritaires, national-socialisantes et antilibérales qui dominent le paysage politique. Si banalisation de l’extrême droite il y a, c’est donc avec le concours d’une classe politique qui a troqué la culture libérale pour le cynisme depuis bien longtemps.
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