Dans sa dernière chronique du quotidien Les Échos sur le burkini, Gaspard Koenig, bien loin d’une tradition libérale organique héritée de Hayek, tente de nous faire croire que le salut démocratique serait dans une sorte de juridisme éthéré. On comprend mieux pourquoi le courant libéral a si peu d’adeptes : autant de naïveté ne saurait susciter grand enthousiasme, et ses arguties byzantines semblent bien dérisoires en face d’idéologies autrement plus structurées et prosélytes. Il est dommage qu’un homme qui nous exhorte à lire Montaigne à dos de jument ne tire de ses méditations qu’un positivisme juridique et abstrait extrêmement pauvre.
Résumons tout d’abord brièvement son argumentaire :
Dans une piscine, porter le burkini relève d’un choix privé, au même titre que porter un costume de Superman. Les réactionnaires qui font assaut de féminisme contre le burkini ont en réalité un problème avec l’islam. Reproche-t-on aux femmes en string léopard de se soumettre aux hommes et à leurs fantasmes ? Cette controverse devrait relever des blogs et de la sphère privée, pas publique. Laurent Wauquiez se comporte comme un clientéliste mafieux en supprimant des subventions. Car vivre à la française c’est précisément laisser vivre autrui et l’universalisme ne consiste pas à éradiquer les différences mais à leur permettre de s’exprimer.
Tout est à déconstruire dans cet argumentaire.
La terreur des libéraux d’être associés aux affreux réactionnaires
Sur la forme déjà : si porter le burkini revenait à porter un costume de Superman, pourquoi diable serait-il légitime, au dire même de l’auteur, que la polémique enflammât les foyers ? Le choix des comparaisons est peu heureux.
Par ailleurs, ce serait apparemment être réactionnaire et pris de « bouffées » de féminisme militant que de s’indigner du burkini. On comprend mal alors pourquoi Koenig lui-même appelle ensuite à l’émancipation des individus via des débats enflammés ? Pourquoi ce qualificatif de réactionnaire et parler de « bouffée », si ces débats ne font précisément que participer à ce travail salutaire d’émancipation des idéologies, auquel nous invite vivement Koenig ? Première incohérence.
Cherche-t-il à donner des gages faciles pour ne pas passer pour un horrible réactionnaire lui-même ? Ce qui expliquerait son « acceptons la parole des femmes voilées », qui vient comme une deuxième incohérence, et un cheveu mièvre et politiquement correct sur la soupe : au nom de quoi prendre pour argent comptant cette parole ? Pourquoi ne serait-elle pas à déconstruire comme toute idéologie ? Koenig accepte-t-il la parole des prêtres traditionnalistes ? Aucun argument ne vient étayer cette énormité. On imagine effectivement le caractère gratte-poil et enflammé de débats qui commenceraient d’abord par précautionneusement « accepter les paroles des femmes voilées » : quelle audace !
Koenig note ensuite avec assurance que les femmes porteuses de string léopard ne font pas l’objet de critiques et ne sont pas considérées comme soumises aux hommes et à leurs fantasmes. On se demande s’il se moque de nous : nul besoin en effet d’avoir lu Clouscard pour savoir qu’une critique ô combien virulente et répandue du capitalisme du désir et de la séduction n’a pas attendu M. Koenig pour s’exprimer, dans les termes, précisément, des mécanismes de soumission aux désirs et aux fantasmes.
Une compréhension du politique totalement déconnectée et dépolitisée
L’auteur de la tribune s’étouffe enfin en voyant un politique, M. Wauquiez… faire précisément son métier, c’est-à-dire de la politique ! Là encore, M. Koenig espère-t-il vraiment qu’on adhère à l’idée que les subventions publiques des collectivités territoriales à l’art, aux associations, aux clubs, aux expositions, ne se font pas à travers le prisme d’un choix politique et culturel ? Ne s’accordent pas au nom d’une certaine vision de la culture, de la société, de l’expression des corps, des affects communs, des rapports femmes / hommes ? Et que c’est précisément le rôle du politique ? Que cette vision est partiellement ratifiée justement à travers les élections ? Cette étanchéité qui n’a jamais existé entre de monadiques « valeurs privées » et les subventions publiques est un autre signe de la non pertinence et de la déconnexion de ce libéralisme hors sol que nous propose Koenig.
Une compréhension incohérente de l’universalisme
Mais il y a plus préoccupant. Car on comprend ensuite pourquoi ce libéralisme n’est qu’un juridisme éthéré. On apprend en effet que « vivre à la française c’est précisément laisser vivre autrui » et que « l’universalisme ne consiste pas à éradiquer les différences mais à leur permettre de s’exprimer ». Passons sur l’énormité historique : vivre à la française n’a jamais été « laisser vivre autrui », dans le pays des guerres de religion, de l’éradication des particularismes régionaux, de l’expulsion des congrégations et j’en passe. C’est tout au plus un vieux pieux que formule l’auteur, mais qui serait à justifier.
Mais depuis quand l’universalisme consiste-t-il à permettre aux différences de s’exprimer, à part dans une chanson de John Lennon ? Si ces différences sont radicalement contraires à l’universalisme, voire le menace, il est absurde de dire que l’universalisme consisterait à leur permettre de s’exprimer. L’argument est d’une faiblesse étonnante pour un major de l’ENS (puisque l’auteur envoie une pique semblable à M. Wauquiez). L’universalisme consiste précisément à jauger si des particularismes sont ou non compatibles avec une vision universaliste de l’homme et de sa nature sociale. On a un peu honte de rappeler une évidence logique aussi simple.
Une nation n’est pas un corpus juridique, mais relève d’une continuité organique
Au fond de toutes ces naïvetés et incohérences, il y a chez Gaspard Koenig l’illusion d’un contractualisme mille fois dénoncée par Hayek. Non, une société n’est pas construite sur un contrat social, mais relève d’une continuité historique et organique, d’une complexité impossible à réduire à un corpus juridico-réglementaire (la fameuse notion de catallaxie et d’ordre spontané chez Hayek).
Koenig, comme l’écrasante majorité du courant libéral français actuel (Nicolas Bouzou, Mathieu Laine…) est incapable de penser le libéralisme autrement que comme un juridisme. À la limite, ce ne serait pas peccamineux, mais seulement simpliste et déshistoricisé. Ce qui agace le lecteur, c’est que ces libéraux cherchent à jouer systématiquement sur deux tableaux pour achalander leur prose.
En décortiquant leurs concepts, on voit bien qu’ils ne pensent la France que comme un simple territoire administratif, produisant des services en échange de la contrepartie de l’impôt. Et que les citoyens sont essentiellement caractérisés par leur statut de contribuables. Si, au lieu de dire qu’autoriser le burkini, c’est « permettre aux Français de toutes obédiences de batifoler ensemble dans le grand bain de la nation », Koenig avait l’honnêteté de dire que c’est plutôt « permettre aux contribuables de toutes obédiences de batifoler ensemble dans le grand bain d’un territoire administratif partagé », les lecteurs n’accorderaient à cette pauvre pensée qu’une oreille très distraite.
Les libéraux sont incapables de penser l’identité, la nation et le fait d’être Français. Plus aucun ne cherche à prendre au sérieux la question magistralement posée par Alain Laurent dans son remarquable essai La société ouverte et ses nouveaux ennemis : quelles sont les conditions de possibilité anthropologiques du libéralisme ? Selon quels critères, relevant de l’affectus societatis, des habitus, des représentations mentales, le libéralisme peut-il survivre dans un pays donné ? Et demain, ces conditions et ces critères existeront-ils toujours ? Telle devrait être la perspective proprement libérale sur l’identité d’un peuple.
Extrait de: Source et auteur
Précieuse et magnifique dialectique entre intellectuels, jouissant peut-être de piscines privées. S’il était néanmoins autorisé d’évoquer un détail pratique concret, il serait alors possible de considérer la tentative de certaines femmes d’imposer le bain entièrement habillées en lieux publics – comme la diffusion d’un type d’acte potentiellement criminel par le danger qu’il induit en société en donnant l’impression (notamment aux enfants) que le fait d’être entièrement habillé lors de l’immersion du corps humain dans l’eau ne représente aucun risque de mort par noyade.
Si certains-es humains ont assimilés tout à la fois le principe d’Archimède et le fait que se mouvoir dans l’eau exige un apprentissage, une maîtrise de la respiration, ainsi que des mouvements appropriés ; tous les individus ne sont pas capables d’imaginer que seuls les burkinis (confectionnés en matière de haute technologie très légère) permettent de s’immerger dans l’eau entièrement habillé sans être aspiré dans une noyade.
Par cette source de confusion cette pratique vestimentaire trompeuse dans l’eau, ne constitue-t-elle pas une attitude d’omission de solidarité entre les citoyens – condamnable puisque relevant de la non-assistance à personnes en danger susceptible d’être punie par la loi ?