Alors que la France et l’Allemagne avaient trouvé mi-janvier un consensus pour inscrire à la fois le gaz et le nucléaire comme énergies dites « de transition » dans la taxonomie verte européenne, Berlin vient de faire marche arrière. L’information est tombée ce mardi sur le média Contexte confirmée ensuite par Marianne : « l’énergie nucléaire n’est pas durable et ne doit donc pas faire partie de la taxonomie » a déclaré le porte-parole du ministère allemand de l’Économie et du Climat dirigé par le Vert Robert Habeck au sein de la coalition SPD/Verts d’Olaf Scholz. La présidence française du Conseil avait fixé la date butoir du 13 mai pour déposer un veto au texte.
L’Allemagne contre le nucléaire
Rappelons que la taxonomie fait référence à une notion de classification largement utilisée en biologie. Le concept a été repris par l’Union européenne pour classifier les différentes énergies par rapport à leurs émissions de gaz à effet de serre ou autres effets environnementaux nuisibles. Seules les énergies reconnues ou assimilées vertes peuvent alors bénéficier de subventions de l’UE.
N’avaient été classées initialement en taxonomie verte que les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse et hydroélectrique). Mais, début 2022, l’Union avait décidé d’ajouter à titre temporaire (d’où le nom d’« énergie de transition ») le gaz (car faiblement émetteur par rapport au charbon et au pétrole) et le nucléaire (non émetteur mais critiquable car générant des déchets radioactifs). En filigrane, il s’agissait surtout de ne fâcher ni les Allemands (utilisant massivement du gaz) ni les Français (utilisant massivement le nucléaire). Dans le nouvel accord, les projets gaziers concernent des centrales de dernière génération dont le permis de construire doit être déposé avant le 31 décembre 2030 (comme par hasard dernière centrale construite en Allemagne). Pour le nucléaire, la date butoir est 2045 (dernières EPR françaises).
Ce consensus mou traduisait aussi un constat d’échec quant à la stratégie énergétique européenne : en donnant au gaz et au nucléaire un statut de « taxon vert », Bruxelles reconnaissait implicitement et sans le dire la croissance 100 % renouvelables comme une dangereuse utopie.
Dans un article publié dans Atlantico en janvier 2022 j’écrivais :
En inscrivant le gaz dans la taxonomie européenne, l’Europe prend le risque d’accroître de façon significative sa dépendance vis-à-vis de ses fournisseurs de gaz, Russie en tête.
Depuis, la guerre russo-ukrainienne est passée par là. Pour desserrer l’étau du gaz russe dont elle dépend à plus de 50 %, l’Allemagne qui fermera sa dernière centrale nucléaire fin 2022 n’a d’autre choix que de se tourner vers le charbon. En conservant tel quel l’accord de janvier, le pays de Goethe donnerait à la France, dont le nucléaire couvre plus de 70 % de sa génération électrique, un avantage compétitif certain. Bien que la raison officielle invoquée par le porte-parole allemand soit environnementale et résulte aussi de la pression de collectifs environnementaux privilégiant le tout- renouvelable, on ne peut s’empêcher de déceler des raisons purement économiques derrière cette décision inattendue.
Un bras de fer s’était engagé au cours des dernières années entre membres opposants au nucléaire (Allemagne, Autriche, Luxembourg, Danemark) et ceux favorables à l’atome (Pologne, Hongrie, Finlande, Croatie, Roumanie…). Il s’était un peu relâché à la suite de l’accord mais risque de ressurgir de plus belle au cours des prochaines semaines. Ce désaccord structurel profond entre membres pourrait fissurer une Union européenne rendue très fragile par sa dépendance énergétique.
Une priorité pour le nouveau gouvernement
Ce dossier imprévu sera l’une des priorités de la nouvelle Première ministre Élisabeth Borne dont on connait par ailleurs le faible engouement pour le nucléaire. Pourtant, après avoir défendu durant son premier mandat l’arrêt de Fessenheim, la sortie d’Astrid et la réduction à 50 % du nucléaire en France, Emmanuel Macron a effectué depuis l’été 2021 un virage à 180°. Dans son discours de Belfort le 13 février, il avait annoncé supporter le grand carénage des réacteurs existants, le lancement immédiat de 6 nouveaux EPR ainsi que la planification de huit autres.
Le sujet pourrait aussi s’inviter dans la campagne des législatives. Principal opposant à la majorité présidentielle, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale est en effet favorable à la sortie du nucléaire en France. Ayant englouti socialistes, communistes et écologistes, l’extrême gauche, dorénavant dirigée sans partage par La France Insoumise, devrait instrumentaliser cette actualité brûlante pour conforter sa position antinucléaire.
Le veto allemand peut-il pour autant bloquer le projet porté depuis mi-janvier par la Commission ? Pour ce faire, il faudrait que 20 États sur 27 se joignent à l’Allemagne. Or, pour l’instant seuls le Luxembourg, l’Autriche et le Danemark sont solidaire du veto allemand. Seconde possibilité : le Parlement européen via un vote à la majorité simple avant le 2 juin.
Si aucun de ces deux leviers est mis en œuvre, le texte proposé mi-janvier sera alors adopté et entrera en vigueur au 1er janvier 2023.
Extrait de: Source et auteur
Sous chaque réacteur nucléaire, il faut creuser un puit profond maintenu sous vide, tout prêt à aspirer le coeur du réacteur en fusion vers une très grande profondeur. La profondeur où on a essayé les bombes atomiques les plus puissantes. Le “syndrome chinois” doit enfin être prévu dans le cahier des charges. Ce qu’on a oublié de faire, persuadé que le coeur des réacteurs ne fondraient jamais au grand jamais.