« L’Amérique Empire », de Nikola Mirković

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Quiconque s’intéresse aux affaires internationales ne peut rester indifférent au rôle des États-Unis dans le monde. Certains voient la politique étrangère américaine comme une aubaine, les États-Unis ont assuré une paix globale, une pax americana, depuis 1945 et de surcroît depuis 1991. D’autres voient plutôt la politique étrangère américaine comme néfaste pour le monde et pour les Américains eux-mêmes, comme un véritable obstacle à la paix et à l’harmonie entre les nations.

Nikola Mirković, analyste en géopolitique, appartient clairement au deuxième camp. Dans son dernier livre, L’Amérique Empire, il raconte l’histoire des origines, du développement et des caractéristiques impériales de la nation américaine. L’auteur démontre d’une manière implacable que les États-Unis sont un empire, dans le sens d’un pouvoir aspirant à la domination.

L’auteur critique sans retenue l’impérialisme américain, en décrivant toutes ses facettes : militaire, juridique, économique et culturelle. En particulier, il identifie clairement le dollar américain comme outil de puissance fondamental pour les États-Unis, la monnaie avec laquelle se fait, du moins jusqu’à présent, la grande majorité des échanges mondiaux de ressources naturelles.

En même temps, Nikola Mirković sait reconnaitre les qualités indéniables des États-Unis, par exemple l’optimisme de sa population et son sens de l’entreprenariat. En effet, il est important de distinguer clairement le peuple américain, les cinquante États, et le gouvernement fédéral. Pour le libéral généralement critique envers l’État, cette distinction est évidente.

Le titre du livre fait allusion à une « détérioration », à une « décadence » américaine, selon les mots de Mirković (p.10). Ce déclin devrait peut-être être mieux expliqué. Pour le libéral, c’est l’étatisme exacerbé et la centralisation excessive du pouvoir à Washington dont le pays est victime depuis plus d’un siècle, qui caractérisent cette décadence. Mais ce destin arrive à beaucoup de pays, dont la France bien sûr, et ne semble pas a priori lié au caractère impérialiste d’un pays.

Nature de l’impérialisme américain 

Il est important de bien comprendre cette politique étrangère des États-Unis, car elle est à l’origine de la majorité des crises actuelles dans le monde, comme l’explique Nikola Mirković dans un récent entretien. Bien que séparés de l’Europe et de l’Asie par deux océans, les États-Unis ont une grande part de responsabilité dans l’instabilité en Eurasie depuis plus d’un siècle.

Les États-Unis ne se contentent pas de défendre leurs intérêts géopolitiques premiers, ils en ont à peine besoin, comme le disait George Friedman de Stratfor. Au lieu de cela, ils combinent dangereusement une idéologie puritaine radicale avec pour mission la conversion du monde entier à leurs valeurs et une soif illimitée de gains commerciaux, l’incitant à vouloir ouvrir à tout prix les marchés mondiaux à leurs entreprises.

En effet, l’auteur rappelle que la curieuse notion américaine de « destinée manifeste » a une origine idéologique et religieuse qui remonte aux premiers colons puritains qui arrivèrent en Nouvelle Angleterre en 1620.

Mirković explique :

« Les Américains se croient dès l’origine investis d’une mission sacrée, d’un devoir d’origine divine pour refaçonner le monde ». (p.19)

Il n’est donc pas surprenant que dès la fondation des États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, beaucoup des dirigeants de la jeune nation se sentaient porteurs d’une mission civilisatrice mondiale.

Dans L’Amérique Empire Nikola Mirković décrit avec une multitude d’exemples le modus operandi des États-Unis à l’étranger : une tendance à ne pas donner priorité à la diplomatie.

Selon lui :

« Les Américains s’orientent hâtivement vers la guerre souvent sans passer par la case politique. » (p.231)

Les méthodes de prédilection de Washington D.C. sont en priorité la force, la contrainte, et la ruse.

Les États-Unis n’ayant généralement jamais de réels casus belli qui justifieraient des interventions militaires (de surcroît à l’autre bout de la planète), il n’est donc pas surprenant qu’ils utilisent très souvent des prétextes pour s’engager. Des mensonges ou des false flags (des opérations de fausse bannière) ont été utilisés par Washington à maintes reprises, par exemple :

  • contre l’Espagne ou Cuba en 1898 (l’explosion du Maine),
  • contre l’Allemagne en 1917 (l’affaire mexicaine),
  • contre le Vietnam du Nord en 1968 (l’incident du golfe de Tonkin),
  • contre la Serbie en 1999 (faux massacre de Raccak),
  • contre l’Iraq en 2003 (armes de destruction massives),
  • contre la Libye en 2011 (faux viols collectifs).

 

Ces observations peuvent paraître choquantes pour beaucoup d’Occidentaux ayant grandi avec l’idée d’une Amérique libératrice aux valeurs de démocratie. Mais le rôle principal du livre de Nikola Mirković est justement, comme il l’écrit :

« De mettre à nu un des plus grands mythes de l’ère moderne qui est celui de l’Amérique juste et généreuse qui défendrait le monde libre. » (p.12)

L’auteur montre avec beaucoup de détails qu’au contraire, le gouvernement fédéral des États-Unis agit souvent sur la scène internationale de manière mensongère, immorale, agressive et vénale.

Ce manque de principe chez l’Oncle Sam l’amène à s’allier avec les pires forces politiques et militaires de la planète. On pense par exemple à l’alliance entre les États-Unis et l’islamisme radical, en Afghanistan, en Bosnie, au Kosovo, en Tchétchénie, en Libye, et en Syrie (p.236-238).

Les conséquences de cette politique sont immenses pour les sociétés détruites et les centaines d’Européens victimes du terrorisme islamique.

Retour aux origines de l’Amérique Empire

Certains Occidentaux reconnaissent le caractère illégal et immoral des interventions militaires américaines récentes envers la Serbie et l’Irak, même si la plupart essaient tant bien que mal de les justifier. Peu nombreux sont ceux qui savent que cela n’a rien de nouveau.

Mais comme écrit Nikola Mirković :

« Les États-Unis, dès leur conception, avait une ambition impériale ». (p.6)

En effet, la politique étrangère américaine montrait déjà à l’époque les ambitions de conquête qui aujourd’hui s’expriment à outrance.

Selon l’auteur :

« Entre 1798 et 1895 les Américains sont intervenus cent trois fois dans les affaires d’autres pays souverains » (p.43)

Dans l’histoire des États-Unis, la guerre est une constante, d’abord sur le continent nord-américain contre les nations indiennes et le Mexique, puis au-delà. Les USA ont été les protagonistes d’une guerre ou d’un conflit armé pratiquement chaque année durant ses deux siècles et quelque d’existence.

Dans L’Amérique Empire, grâce à de nombreux détails historiques, Nikola Mirković fait ressortir un fil rouge d’agressions et de provocations américaines extérieures qui se poursuit tout le long de l’histoire relativement courte de ce pays. L’auteur a brillamment réussi son objectif. Il en ressort clairement un comportement absolument hors du commun de l’État fédéral américain. Ce comportement ne date pas des dernières décennies, comme les exemples précédents le montrent, mais il fait au contraire partie de la culture politique étatsunienne depuis sa fondation.

Il aurait néanmoins été intéressant d’avoir davantage de précisions sur les évènements autour de la Constitution et la Guerre de Sécession qui créèrent l’État fédéral connu aujourd’hui. Pour cela, des références aux historiens libéraux comme Robert Higgs, Ralf Raico, Donald Livingston, et Murray Rothbard, par exemple, auraient été intéressants.

Aussi un pouvoir juridique et discret

Mais les États-Unis restent un empire discret, dissimulé, un « empire qui ne dit son nom » (p.311). Nikola Mirković a identifié une vérité importante mais rarement reconnue, quand il constate que cette volonté de discrétion permet aussi à Washington de s’assurer le soutien de la majorité de l’opinion publique occidentale et de maintenir cette indifférence occidentale envers les populations soumises.

Avec les exemples récents de l’Afghanistan, l’Irak, et la Libye, il est difficile de ne pas être d’accord avec l’auteur quand il dit des États-Unis :

« Une puissance qui règne sans le dire récupère tribut mais s’affranchit de toute rétribution : le conquérant prélève mais n’élève pas. » (p.7)

L’impérialisme juridique américain consiste aussi à exiger l’extraterritorialité de ses propres lois et à rejeter le droit international en faveur de son propre concept subjectif de rules-based order, en clair : un ordre mondial basé sur les décisions de Washington. Ce sont les USA en gendarme du monde, selon l’expression connue. Pour la même raison, les États-Unis refusent d’accepter l’autorité de la Cour Pénale Internationale, et n’ont pas signé ou ratifié beaucoup d’autres conventions.

En guise d’exemple moderne de cette tyrannie juridique concernant directement les Français, il est possible de mentionner l’histoire sordide de la vente pratiquement forcée par le Département de Justice américain d’Alstom Power à General Electric, avec le soutien du président français Francois Hollande et son conseiller économique Emmanuel Macron, comme l’a décrit Frédéric Pierucci. Dans ce cas précis, c’est le prétexte d’extraterritorialité de la loi anti-corruption américaine (la FCPA) qui a été utilisée par le gouvernement fédéral pour obtenir ce qu’elle voulait pour General Electric son client.

En matière de politique économique, la position exprimée par Nikola Mirković est parfois politiquement ambiguë.

Le livre contient des éléments de langage socialistes et des commentaires plutôt caricaturaux comme « Carnegie était un des rares cas à vraiment connaitre le rêve américain » (p.36) ou « Les américains commencèrent à être dépossédés de leur pays » (p.52). Une des raisons à cela est sûrement que Nikola Mirković s’est appuyé essentiellement sur des auteurs de gauche qui critiquent les États-Unis, comme Howard Zinn.

Une œuvre de référence

Malgré cela, L’Amérique Empire a le potentiel pour devenir une œuvre de référence dans le monde francophone sur le sujet de la politique étrangère américaine. Mais pour cela il faudrait corriger les mêmes défauts de forme dont souffrent beaucoup de livres français : l’absence d’une liste alphabétique des auteurs cités (et leurs œuvres) ainsi qu’un index de référence, comme dans les livres anglo-saxons. Il faudrait également mettre la table des matières au début. Une deuxième édition qui corrige cela serait la bienvenue.

Ce livre tombe à pic dans le contexte de la crise mondiale actuelle. En effet, cette crise est encore un exemple du rôle néfaste des États-Unis sur la scène internationale. La politique étrangère des États-Unis envers la Russie depuis plusieurs années est précisément celle décrite dans L’Amérique Empire. En effet, l’auteur prédit par sa fine analyse l’éclatement de cette crise (p.285).

Nikola Mirković contribue de manière significative à retirer le voile de bonté dont le gouvernement américain bénéficie encore en France, en dépit de tous les crimes et injustices dont il est responsable. C’est une tâche importante car cette vérité est encore trop peu connue de l’Occident, alors que le reste du monde est déjà bien au fait de cette réalité.

La conclusion indéniable de L’Amérique Empire est qu’il est dans l’intérêt du monde entier d’un changement de politique étrangère américaine. Pour cela il faut aussi une meilleure compréhension de la nature du pouvoir à Washington de tous les Occidentaux et surtout des Américains eux-mêmes. Avec son livre, Nikola Mirković y a largement contribué en présentant aux Français d’une manière claire, informée mais en même temps passionnée, l’origine et les caractéristiques de l’impérialisme américain.

Nikola Mirković, L’Amérique Empire, éditions Temporis, 2021.

 

Extrait de: Source et auteur

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