Poutine. Haro sur le salaud

Yvan Perrin
Ancien Conseiller national
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Haro sur le salaud

C’est plus fort que moi, j’éprouve souvent une certaine empathie envers celui que tout le monde déteste. Ces temps-ci, c’est bien évidemment Vladimir Poutine qui tient le rôle du méchant avec un certain brio, je le reconnais volontiers. Cela dit, c’est aller un peu vite en besogne que de faire de lui l’archétype du dictateur belliqueux prêt à déclencher des guerres à tout-va. Comme souvent, la réalité est un peu plus complexe. Vladimir Poutine est un défenseur intransigeant des intérêts de son pays. Il n’est de loin pas le seul au monde. Il soutient le régime criminel de Bachar el-Assad contre l’Occident. En fait, il veille à garder à disposition le port de Tartous, le seul en Méditerranée dont les infrastructures lui permettent de ravitailler sa flotte sans avoir à remonter en Mer Noire par les détroits turcs. Il est vrai que le Syrien n’est pas tendre avec l’opposition mais il n’a pas l’exclusivité de la torture et des arrestations de masse. Son voisin turc pratique de même sans susciter la moindre indignation, Recep Tayyip Erdogan étant soutenu à grands coups de milliards par l’Union européenne pour contenir l’afflux de réfugiés. Manifestement, la valeur de la victime ne doit pas à la victime mais à la façon dont le monde considère son bourreau.

Vladimir Poutine a envoyé ses mercenaires au Mali. Certes, expliquer que l’homme du Kremlin n’a aucun lien avec Wagner est un peu court. Cette société effectue les tâches que les Russes ne peuvent assumer eux-mêmes sans égards particuliers pour les droits de l’homme. Le pendant russe de l’américain Blackwater dont les exactions ont été examinées par le Congrès sans grandes conséquences, le pdg de la société étant prié de se faire discret. Pour ce qui est du Mali, la France hurle de se voir évincée du pays où elle entretenait des troupes censées lutter contre les djihadistes. En fait, l’Hexagone avait pour seul but d’assurer la protection des intérêts français dans la région, le combat contre le terrorisme constituant un prétexte tout trouvé. L’échec français doit au fait que Paris a fait l’expérience de ce dont le djihadisme est capable et ne souhaite pas revivre une série d’attentats. Il convient donc de lutter contre les fous d’Allah avec une bienveillante retenue, histoire de ne pas les irriter. Délicatesse dont Wagner se passe volontiers, d’où une tout autre efficacité sur le terrain. Quant aux dictateurs, la France en connait un rayon, qui soutient systématiquement tous les despotes issus de la décolonisation en Afrique, d’Omar Bongo à Paul Byia en passant par Mobutu dont les légionnaires français avaient sauvé le régime en sautant sur Kolwezi en 1978. Pas tellement de leçons à donner donc.

Aujourd’hui, Vladimir Poutine s’en prend à l’Ukraine. C’est une agression que le droit international condamne. Mais peut-être est-il utile de voir les choses côté russe. Depuis la chute du Rideau de Fer, l’OTAN s’est peu à peu approchée des frontières russes. L’alliance est née durant la Guerre Froide pour faire face au Bloc de l’Est. Elle est perçue comme hostile par la Russie, héritière de feu l’Union soviétique. On peut comprendre que Vladimir Poutine n’ait aucune envie d’avoir un tel ennemi à sa porte. Il tente de s’en prémunir, un peu comme l’a fait le président Kennedy lors de la crise des missiles de Cuba. De plus, en 2016, le maire de Kiev a jugé utile de baptiser une rue de sa ville du nom de Stepan Bandera, ultranationaliste ukrainien ayant collaboré avec les nazis et célébré aujourd’hui comme héro anti-communiste. La chose a été fort mal vécue à Moscou qui garde un fort souvenir de l’enthousiasme avec lequel nombre d’Ukrainiens ont prêté main forte aux nazis dans les massacres à l’encontre des Juifs et des populations russes et polonaises. Un bataillon constitué de volontaires ss ukrainiens prit part au massacre de Babi Yar en septembre 1941 au cours duquel plus de 33'000 Juifs perdirent la vie. Cela laisse des souvenirs qui expliquent pourquoi Vladimir Poutine utilise volontiers le terme nazi pour désigner le pouvoir en place à Kiev.

Il n’est pas question ici de justifier l’entrée des troupes russes en Ukraine mais simplement de tenter une approche un peu moins manichéenne que celle que les Etats-Unis nous présentent. L’histoire nous apprend qu’il convient d’examiner les accusations américaines avec prudence. A ce propos, on cherche toujours les armes de destruction massive qui avaient servi de prétexte à l’invasion de l’Irak avec les conséquences que l’on sait. Quant à Joe Biden, il a bien besoin de détourner l’opinion publique américaine de son catastrophique bilan, un peu comme Bill Clinton avait guerroyé en Ex-Yougoslavie pour faire oublier une malencontreuse tache sur une robe.

Yvan Perrin, 25.02.2022

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6 commentaires

  1. Posté par Daniel Dujardin le

    Viser le statut d’un “héro”, ça conserve.

  2. Posté par Sergio le

    Belle pluralité de nos médias: le méchant c’est unanimement Poutine. Je me félicite encore d’avoir en Suisse, les Suisses allemands, sans qui nous serions sous le joug européen, et qui, dans leur ensemble, ont voté contre un supplément de subventions à cette presse monocolore.

  3. Posté par antoine le

    Merci M. Perrin pour cet éclairage !
    Je n’approuve AUCUNE guerre ! De toute façon tout cela va se terminer autour d’une table pour négocier !
    ”C’est une situation extrêmement dangereuse, notamment parce qu’elle fait dans certain cas, appel à ce que vous appelez le nationalisme ukrainien qui dans beaucoup de cas, emploie des symboles nazis ou le fameux bataillon Azov. D’autres forces sont tout ce qu’il reste en Europe de ce qui a été le nazisme et de ce qu’a été le suprémacisme et les formes les plus atroces que nous ayons connues. C’est toujours vivant en Ukraine.”
    https://www.bvoltaire.fr/ukraine-je-crains-que-la-grande-perdante-de-lhistoire-soit-leurope/
    ”Pour le président russe, cette décision était devenue «nécessaire» en raison de la volonté de Kiev de faire perdurer le conflit dans l’est de l’Ukraine, de ne pas vouloir respecter les accords de Minsk et à cause de l’absence de réponse des Etats-Unis sur les points essentiels soulevés par Moscou en décembre dernier, à savoir sur la non expansion de l’OTAN vers l’est, le non déploiement d’armes offensives à proximité des frontières de la Russie et le retour des relations Russie-OTAN sur les bases de l’acte fondateur signé en 1997.”
    https://francais.rt.com/international/96043-reconnaissance-donetsk-lougansk-otan-condamne-washington-ue-preparent-sanctions
    Selon la carte visible dans le document suivant, seul 1/3 des territoires du Donetsk et du Lougansk sont des séparatistes russes.
    En 2014, les réactions des démocraties n’ont pas été assez vigoureuses, suite à l’annexion de la Crimée, pour faire comprendre à M. Poutine que la force n’est PAS la méthode à utiliser au XXIème siècle !

  4. Posté par Odidole le

    Merci monsieur Perrin. Vous exprimez très bien ma vision des choses. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir ( si je peux me permettre encore cette expression)…

  5. Posté par Clairvoyant le

    Sans compter que les Américains ne veulent surtout pas d’un rapprochement entre l’Allemagne et la Russie, et là, ce risque est éloigné pour des années.

  6. Posté par Serguei le

    Eh oui M.Perrin,
    Essayer d’expliquer la réalité historique à des ânes est extrêmement difficile. La compréhension d’un sujet complexe à multiples causes est pour une majorité absolument impossible. Quand vient s’ajouter des intérêts douteux et de l’idéalisme déviant ça fausse toutes les réflexions.
    Bonne chance pour ceux qui essayent de comprendre et de ne pas plonger dans l’infantilisation actuellement portée par certaines classes politique.

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