Les suspects habituels poussent à la guerre avec la Russie

Ryan McMaken

Et c’est reparti pour un tour. Depuis la première guerre du Golfe en 1991, c’est devenu une habitude. Toutes les quelques années, le régime de Washington tente de pousser le peuple américain à la frénésie afin qu’il soutienne la dernière invasion américaine “nécessaire” à un changement de régime, à la “propagation de la démocratie” ou à quelque autre objectif.

Cela a marché avec l’Irak en 1991, avec la Serbie à la fin des années 1990 et avec l’Irak à nouveau en 2003. Cela a fonctionné en Libye en 2011. Ils ont essayé à nouveau en 2013, mais les Américains ont montré si peu d’intérêt pour une invasion de la Syrie que l’idée a finalement été rejetée par la Maison Blanche. Le régime américain a été contraint de recourir à des mini-guerres clandestines, servant à maintenir les dépenses militaires, tout en évitant une mobilisation à grande échelle.

Mais ils continuent d’essayer. Cette fois, avec le conflit qui se prolonge entre la Russie et l’Ukraine, l’ennemi est la Russie. Cette dernière est de plus en plus le croque-mitaine des néoconservateurs américains et des néo-McCarthystes anti-Trump paranoïaques depuis un nombre croissant d’années. Pourtant, la guerre avec la Russie n’est pas une croisade de justice, et elle comporte un risque de catastrophe. Les appels à une “réponse” militaire américaine au conflit Ukraine-Russie doivent être totalement rejetés.

Les suspects habituels poussent à la guerre

Tous les suspects habituels font toutes les allégations habituelles. Par exemple, Melinda Haring, du Conseil de l’Atlantique, soutient que les États-Unis doivent maintenant mener une nouvelle guerre pour empêcher des guerres futures. En effet, selon elle, une nouvelle action de la Russie laissée sans réponse  pourrait inspirer la Chine à mener une action militaire agressive en mer de Chine méridionale ou à travers le détroit de Taiwan”. C’est une variante de l’ancienne théorie des dominos. Si vous ne combattez pas les méchants dans le pays A, vous finirez par devoir les combattre aussi dans les pays B, C et D. C’est pratiquement le slogan de l’ère irakienne et vietnamienne : “Nous devons les combattre là-bas sinon nous les combattrons à Kansas City !” (Les États-Unis ont perdu ces deux guerres, et nous ne “les” combattons toujours pas dans les rues américaines.)

En plus, l’administration Biden a promis de faire payer à la Russie “un prix élevé” si elle prenait des “mesures agressives”. Joe Biden aurait même été plus alarmiste que les Ukrainiens eux-mêmes et aurait dit au chef de l’État ukrainien que Kiev serait “mise à sac”.

Les organes de “Conservatisme Inc.” ont jeté eux aussi de l’huile sur le feu. Le Washington Examiner a fait pression à plusieurs reprises pour davantage d’intervention militaire en Ukraine. Dans une chronique du vendredi, Jamie McIntyre souhaite que les États-Unis livrent davantage d’armes à l’Ukraine, comme ils en avaient envoyé aux moudjahidines en Afghanistan dans les années 1980.

De son côté, un autre journaliste de l’Examiner, Tom Rogan, a écrit un article dans le Wall Street Journal accusant le gouvernement allemand d’être insuffisamment belliqueux envers la Russie. Ceux qui se souviennent de la guerre en Irak de 2003 se souviendront de cette vieille stratégie consistant à dénigrer tout allié américain peu enthousiaste à l’idée de déclencher de nouvelles guerres. À l’époque, c’étaient la France et l’Allemagne qui avaient été traitées par Donald Rumsfeld en 2003 – dans un accès de rancœur – de “vieille Europe”. Le politicien Républicain Kenneth Timmerman avait ensuite écrit une longue diatribe anti-française, son livre de 2004 The French Betrayal of America (La Trahison française de l’Amérique).

Aujourd’hui, après avoir eu raison de la débâcle américaine en Irak, c’est encore Paris et Berlin qui tentent de désamorcer l’éventualité d’une guerre plus large. En réponse, Rogan prétend que l’Allemagne “fait passer les intérêts russes avant ceux de l’Occident” et que l’Allemagne “n’est plus un allié crédible pour nous [les États-Unis]”. Le péché de l’Allemagne, semble-t-il, a été d’acheter du gaz naturel à la Russie et de résister aux appels à faciliter les transferts d’armes vers l’Ukraine.

Comme c’est si souvent le cas, les faucons américains essaient de présenter le conflit comme un cas facile de méchants Russes contre des Américains irréprochables et leurs alliés. Cela a longtemps été la tactique courante, puisque chaque nouvelle cible de la politique étrangère américaine – que ce soit Saddam Hussein ou Slobodan Milosevic ou Bashar al-Assad – est le prochain Hitler déterminé à dominer le monde. La situation réelle, bien sûr, n’est pas si simple.

Pousser l’OTAN vers l’Est

Les factions politiques en Ukraine se sont longtemps disputées pour savoir si oui ou non le régime pencherait pour favoriser “l’Occident” ou pour favoriser le rapprochement avec la Russie. Le régime américain, bien sûr, est depuis longtemps plus qu’heureux d’intervenir là où il le peut pour “encourager” le régime ukrainien à entrer dans l’orbite américaine.

Politiquement, cependant, ce mouvement vers les États-Unis n’est pas gagné d’avance en Ukraine. Les Russes de souche représentent probablement 20 à 40 % de la population de plusieurs provinces de l’Est, et cette minorité craint depuis longtemps une législation anti-russe en provenance de Kiev. Cela a souvent limité la possibilité de considérer le régime de Kiev comme préférant l’alignement avec l’Occident. Après l’installation d’un nouveau gouvernement par des factions anti-russes en 2014, les craintes de nombreux Russes de souche se sont confirmées : le parlement ukrainien a adopté une loi interdisant l’utilisation du russe comme deuxième langue. (Le pouvoir exécutif a finalement opposé son veto à ce vote, mais beaucoup craignaient raisonnablement que ce ne soit pas le dernier élément de la législation anti-russe.)

Cela a contribué à déclenché un séparatisme de facto dans certaines régions de l’est de l’Ukraine et à la guerre en cours dans le Donbass entre les séparatistes pro-russes - fournis en grande partie par la Russie - et l’État ukrainien.

Les États-Unis, pour leur part, n’ont jamais hésité à s’immiscer dans les affaires ukrainiennes pour “encourager” un virage vers l’Occident. L’une des principales tactiques à cet égard a été de proposer à plusieurs reprises à l’Ukraine une adhésion à l’OTAN. Cela a longtemps séduit le régime ukrainien, avec la promesse d’une défense militaire payée par les contribuables américains.

Mais cela inquiète aussi les Russes. Après tout, l’expansion progressive de l’OTAN, devenue de facto une organisation anti-russe, l’a placée aux portes de la Russie. Les Russes considèrent l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN comme une menace réelle pour la souveraineté russe. Imaginez, par exemple, comment les États-Unis réagiraient si le Mexique signait un pacte de défense mutuelle avec la Chine. Ainsi, le jeu de l’OTAN a fait de l’orientation de l’Ukraine vers l’Occident une situation à fort enjeu.

C’est un problème qui couve depuis longtemps avec la Russie, au fur et à mesure que l’OTAN s’étendait vers l’est. Les Russes considèrent cette expansion comme particulièrement perfide, car ils affirment que les États-Unis avaient promis en 1990 de ne pas étendre l’OTAN même “d’un pouce vers l’est”. Les États-Unis nient que cette promesse ait jamais été faite, mais Joshua Shifrinson a montré qu’elle l’a été. Il note dans le Los Angeles Times en 2014 que

“des centaines de mémos, de procès-verbaux de réunions et de transcriptions d’archives américaines indiquent le contraire. Bien que ce que les documents révèlent ne soit pas suffisant pour faire de Poutine un saint, cela suggère que le diagnostic de la prédation russe n’est pas tout à fait juste. La stabilité de l’Europe peut dépendre tout autant de la volonté de l’Occident de rassurer la Russie sur les limites de l’OTAN que de dissuader l’aventurisme de Moscou.”

Ce dernier point est aussi vrai aujourd’hui qu’il l’était en 2014. Lors de discussions récentes, la Russie a réitéré sa demande que l’Ukraine ne soit pas éligible à l’adhésion à l’OTAN. Pourtant, même si la raison d’être de cette organisation a pris fin avec l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis continuent de rechercher l’expansion de l’OTAN comme un moyen d’augmenter leur capacité  à mener une liste croissante d’interventions militaires, telles que le bombardement de la Libye en 2011 et les guerres de 1998-1999 contre la Serbie.

Ainsi, plutôt que d’adopter une ligne qui aurait pu contribuer à désamorcer les relations tendues avec une puissance dotée de l’arme nucléaire, les États-Unis ont poursuivi l’antagonisme sous la forme d’un élargissement de l’OTAN.

Les choses pourraient devenir incontrôlables

Pour ne rien arranger, les États-Unis continuent d’exercer une action militaire indirecte. Même si les États-Unis évitent la confrontation directe, des mesures indirectes pourraient toujours conduire au désastre. Comme le souligne Lyle Goldstein:

“Une intervention militaire américaine, directe ou indirecte, dans une guerre russo-ukrainienne aurait des conséquences délétères voire catastrophiques. Un rôle militaire indirect des États-Unis, comme l’offre d’armes et de formateurs militaires, peut sembler attrayant. Pourtant, de telles activités cimenteraient davantage la “nouvelle guerre froide”, pourraient prolonger la guerre et les tueries, mettraient à rude épreuve l’alliance de l’OTAN et pourraient encourager l’escalade horizontale russe, que ce soit en Syrie ou même au Venezuela.”

Placer des troupes supplémentaires près de l’Ukraine – comme Washington menace maintenant de le faire – augmente en effet le risque de victimes américaines, note William Hartung:

“Le plus grand risque est peut-être posé par le déploiement probable de troupes et de sous-traitants américains supplémentaires pour aider à former les forces ukrainiennes à l’utilisation de systèmes d’origine américaine. Si des Américains se retrouvent sur les lignes de front et sont tués en cas d’invasion russe, les enjeux - et les risques d’escalade - augmenteront considérablement.”

Pourtant, les faucons habituels continuent de se montrer intéressés à une accélération de l’implication américaine dans le conflit ukrainien, ce qui risque de mettre les soldats US en danger et d’accroître les chances d’un conflit militaire réel et catastrophique avec une puissance nucléaire.

Heureusement, de nombreux Américains ne semblent pas tomber dans le piège des derniers appels à des niveaux toujours plus élevés d’aventurisme à l’étranger. Peu de candidats de l’un ou l’autre parti semblent faire de la guerre contre la Russie un slogan pour leur campagne de cet automne. Il se pourrait qu’en matièrede politique étrangère, beaucoup d’électeurs aient finalement appris quelque chose des trente dernières années.

Étant donné que 84 % des Américains ne savent pas situer l’Ukraine sur une carte, il est peu probable que beaucoup de citoyens comprennent les ambiguïtés politiques qui sous-tendent le conflit ukrainien, mais peut-être que beaucoup en savent aussi assez pour ne pas être dupes quand on veut les faire marcher.

Ryan McMaken est rédacteur en chef au Mises Institute.

source: https://mises.org/wire/usual-suspects-are-pushing-war-russia

traduction libre: Albert Coroz

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