Les grandes écoles adaptent leurs programmes aux nouvelles sensibilités identitaires, égalitaires et environnementales

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Plus d’inclusion, d’égalité, d’engagement social et d’écologie : les étudiants passent en « mode combat ». Face à leurs attentes, les grandes écoles, bousculées, doivent évoluer et adapter leurs programmes.

C’est une question qui en dit long sur l’époque : quelle case faut-il cocher sur les formulaires d’admission aux écoles quand l’étudiant ne se sent ni « madame » ni « monsieur » ? Y répondre fait partie des nouvelles fonctions d’Anne-Claire Pache, directrice stratégie et engagement sociétal de l’Essec. Cette dernière raconte :« Nous avons accueilli des jeunes qui ont changé de sexe au cours de leur scolarité, et dans un questionnaire récent, 20 % de nos étudiants déclarent appartenir à la catégorie LGBT +. Nous devons donc nous positionner. »

Le respect de nouvelles sensibilités

Sur le marché très concurrentiel des grandes écoles, offrir une marque et un réseau ne suffit plus. Les millennials exigent le respect de nouvelles sensibilités : identitaires, égalitaires et environnementales. L’avenir qu’on leur promet doit avoir du sens. Dans le cas contraire, le risque, c’est « Ruptures », du nom du film d’Arthur Gosset, primé au Festival international du Film écologique et social, à Cannes en juillet.

Étudiant à Centrale Nantes au moment du tournage, il y raconte son refus – et celui de six de ses pairs issus notamment de Polytechnique ou Sciences-Po – de suivre la voie royale « grande école, puis grande entreprise » sans se poser de questions sur les enjeux majeurs de son temps.

Autant l’admettre, il y a du pain sur la planche pour ces écoles de l’élite. Certaines (les business schools) se font même étriller dans le dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes qui les classe parmi les établissements où le sexisme est particulièrement présent… Il est vrai que certaines affaires, dont l’enquête sur les agressions sexuelles à CentraleSupélec, ont suscité la consternation.

Pour inverser la tendance, ces écoles multiplient les initiatives. Depuis trois ans, l’ESCP a mis en place un séminaire de sensibilisation sur les violences sexuelles et les problématiques LGBT. A l’Essec, c’est une « fresque de la diversité »qui vient d’être lancée, calquée sur la « fresque du climat ».

`L’Essec à Cergy, une business school qui se veut ouverte à la diversité. (ESSEC)

L’Essec à Cergy, une business school qui se veut ouverte à la diversité. (ESSEC)

L’objectif est d’ouvrir le dialogue pour aider à comprendre les mécanismes cognitifs à l’œuvre dans les comportements discriminants. De nouveaux postes sont également créés autour de ces enjeux. Kedge a ainsi nommé en mars une « doyenne associée à l’inclusivité », Anicia Jaegler, dont le rôle est transverse : « Je mène des actions à la fois auprès des étudiants mais également auprès des professeurs et des collaborateurs », explique-t-elle.

Les nouveaux « doyens », « référents » ou bien les directions « responsabilité sociale et environnementale » se voient ainsi confier une cascade de missions regroupant la mixité sociale, l’égalité femmes-hommes, la lutte contre le harcèlement ou le racisme… Vincenzo Vinzi, président de la commission « diversité » à la Conférence des Grandes Ecoles (CGE), remarque :« Quelles que soient les modalités choisies, l’important est qu’une personne représente ces enjeux au plus haut niveau de décision. Dans le cas contraire, on risque bien de rester dans l’effet d’annonce. Et cela, les étudiants n’en veulent pas. Sur les sujets touchant à l’écologie, cela fait d’ailleurs quelques années qu’ils traquent le “greenwashing”. »

En 2018, en effet, dans un contexte de grève scolaire et de manifestations pour le climat, un « Manifeste étudiant pour un réveil écologique » est signé par près de 35 000 étudiants de plus de 400 établissements de l’enseignement supérieur.

La question de la transition climatique

La journaliste Marine Miller a enquêté deux ans sur leur colère, et le livre qu’elle en a tiré porte un nom évocateur, « La Révolte. Enquête sur les jeunes élites face au défi écologique » (au Seuil, octobre 2021). Elle analyse :« Il existe une “conscience de génération” pour ces jeunes qui ont grandi avec le 11-Septembre, la crise financière et, aujourd’hui, les catastrophes climatiques. Or le système des grandes écoles ne répond pas à cette prise de conscience et les étudiants se retrouvent en situation de “dissonance cognitive”, une forme de désalignement avec eux-mêmes. Les sciences humaines et sociales manquent cruellement dans leurs formations pour comprendre le tableau de la crise écologique. »

Ce qu’ils exigent ? L’intégration systématique de la question de la transition climatique en tronc commun, pour tous les étudiants. Les auteurs du Manifeste ont même adressé un questionnaire aux écoles en mars 2020, mettant sans vergogne le nez dans les affaires internes des profs comme des dirigeants. Gouvernance, contenu des cours, campus… Tout a été passé au crible. Nicolas Graves, 23 ans, en dernière année à l’Ecole des Ponts ParisTech et membre du collectif Pour un réveil écologique, explique :« On partait de très loin. Seuls 15 % des établissements se déclaraient prêts à former l’ensemble des étudiants et 66 % seulement intégraient ces enjeux dans leur stratégie actuelle. »

Les membres du collectif Pour un réveil écologique, à la recherche d’un modèle économique compatible avec les limites planétaires.(COLLECTIF POUR UN RÉVEIL ÉCOLOGIQUE)

Les membres du collectif Pour un réveil écologique, à la recherche d’un modèle économique compatible avec les limites planétaires.(COLLECTIF POUR UN RÉVEIL ÉCOLOGIQUE)

Trois ans après les manifs de 2018, où en est-on ? Partout, les lignes ont bougé. Les grandes écoles les plus reconnues s’appuient sur leurs centres de recherche pour faire évoluer les cours. « Les questions d’impact et de transition, je les aborde depuis vingt ans », tient à préciser Philippe Drobinski, le directeur du Centre Energy for Climate (E4C) de Polytechnique. Mais il admet que « la pression » de ces trois dernières années a accéléré le mouvement. « Les étudiants aujourd’hui montrent une véritable aspiration à comprendre et être formés. » Après le Manifeste, l’X a donc mis sur pied un séminaire de sensibilisation pour tous les élèves, et une spécialisation en développement durable est proposée, quel que soit le parcours.

A Ponts ParisTech, Nicolas Graves est heureux que les étudiants participent à la refonte des cursus : « Nos propositions ont été plutôt bien accueillies, même si le travail n’est pas terminé. » Entre six et sept conférences sur les enjeux climatiques, dispensées par des professeurs et des experts extérieurs – dont les enseignants ont parfois besoin pour se mettre à la page – jalonnent désormais le parcours de chaque étudiant.

Problème : ces experts bousculent souvent les cultures maison. Clémence Vorreux, chef de projet au Shift Project, un think tank expert en décarbonation qui accompagne notamment le réseau des Insa (Instituts nationaux des Sciences appliquées) et Audencia, explique :« La culture techno-solutionniste qui existe souvent dans le milieu ingénieur, cette conviction que les technologies résoudront tout, se heurte à la temporalité de l’urgence climatique et aux contraintes physiques, notamment énergétiques. Quant aux écoles de commerce, c’est la culture libérale et l’idée que la “croissance verte” réorientera le marché qui empêche, au début, de questionner les notions de croissance et de progrès. Notre travail, c’est de challenger intelligemment les réfractaires pour les amener vers un vrai changement. »

Soit repenser entièrement leurs programmes pour former des ingénieurs et des managers conscients et capables d’apporter des solutions à chaque secteur, à chaque métier. Après les Insa (huit établissements), l’Institut Mines-Télécom a lui aussi engagé ses huit écoles dans une refonte globale. « Les accréditations et les classements internationaux vont intégrer ces nouvelles dimensions à leurs critères, pronostique Vincenzo Vinzi. Cela poussera les écoles à aller plus vite et plus loin. » Ce ne sera pas pour déplaire aux étudiants.« Bâtir un index d’inclusivité »

Professeure depuis neuf ans à Kedge Business School, Anicia Jaegler vient d’être nommée « doyenne associée à l’inclusivité ». Une première ! Explications.

En quoi consistent exactement vos nouvelles fonctions ?

Kedge voulait créer une fonction transverse qui couvre à la fois la vie de nos étudiants, les conditions et la nature de leur apprentissage, ainsi que celle des salariés de l’école. L’idée étant que nous avions un devoir d’exemplarité, en tant que business school formant les managers de demain, et aussi comme employeur concerné par ces sujets.

Quel est précisément le champ concerné ?

Le développement durable est depuis longtemps inscrit dans les gènes de Kedge. Par exemple, le Sulitest (Sustainability Literacy Test), le Toefl du développement durable, devenu référence en la matière auprès des institutions mondiales, a été initié par Kedge. Notre Centre d’Excellence pour le Développement durable est l’un des plus grands centres européens de recherche et d’enseignement supérieur avec plus de trente chercheurs. Par ailleurs, selon nous, l’inclusivité touche à toutes les discriminations. Sur ce point, nous mettons en place des outils pour nous assurer que l’environnement dans lequel nos étudiants évoluent est favorable à la diversité, et pour faire en sorte que tout étudiant qui en a les capacités et qui souhaite suivre l’enseignement que nous dispensons puisse le faire.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

Prenons l’exemple du handicap. Nous voulons avoir le même pourcentage d’élèves en situation de handicap que celui qui est requis dans les entreprises privées, même si nous n’en avons pas l’obligation légale. Par ailleurs, nous comptons quarante référents sur cette question qui s’assurent que chaque moment de la vie des étudiants en situation de handicap se passe sans encombre. Autre exemple, les discriminations hommes-femmes : nous sommes très vigilants sur la parité du corps enseignant. Mais il y a d’autres discriminations moins visibles : par exemple, est-ce que la ruralité est représentée ? Si nous constatons qu’il y a très peu de candidatures issues de telle ou telle région, nous allons au contact de ces territoires pour convaincre des étudiants. Cela vaut aussi pour la sous-représentation des élèves issus de familles modestes : nous adaptons notre politique d’aide aux boursiers pour que le financement des études ne soit pas un frein, a priori. Enfin, nous sommes en train de créer un « index d’inclusivité », qui repose sur 31 critères, afin de prendre en compte différentes discriminations.

Comment intégrez-vous la question écologique dans le contenu des études ?

Nous avons, bien sûr, des programmes spécifiques : un master of science en finance durable, une majeure développement durable dans le programme Grande École. Mais nous voulons aussi que les managers que nous formons prennent en compte les enjeux environnementaux et sociétaux dans leurs décisions. Par exemple, tous nos étudiants passent le Sulitest, et découvrent les enjeux climatiques à travers la « fresque du climat ». Et pour être sûrs qu’ils aient une vision de la durabilité, nous intégrons les objectifs de développement durable dans tous les descriptifs des cours. Nous sommes certains, ainsi, que tous nos étudiants sortiront avec un « bagage de durabilité et d’inclusivité ». Et c’est aussi ce que nous demandent les entreprises pour leurs recrutements.

sources: Nouvel Obs - Les grandes écoles font leur révolution culturelle

https://envahis.com/les-grandes-ecoles-adaptent-leurs-programmes-aux-nouvelles-sensibilites-identitaires-egalitaires-et-environnementales/

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Nantes (44) : « Nous enseignons aux jeunes une autre façon de s’informer »

Aurélie Bacheley, journaliste, s’occupe de l’éducation aux médias, au sein de l’association liée au magazine local Les Autres Possibles, à Nantes. A l’école, au collège, en bibliothèque, à la fac ou au centre de loisirs, elle décortique la fabrique des médias et en profite pour aiguiser l’esprit critique des petits et plus grands sur le sexisme, le racisme ou encore l’écologie.

Publié le 29/12/2021 • Par Hélène Huteau : A la Une Education et Vie scolaire

Aurélie Bacheley

Aurélie Bacheley, journaliste, s’occupe de l’éducation aux médias, au sein de l’association liée au magazine local Les Autres Possibles, à Nantes. A l’école, au collège, en bibliothèque, à la fac ou au centre de loisirs, elle décortique la fabrique des médias et en profite pour aiguiser l’esprit critique des petits et plus grands sur le sexisme, le racisme ou encore l’écologie.

Comment éduquez-vous aux médias les élèves des écoles et les collégiens ?

Nous amenons les jeunes à se positionner par rapport aux messages véhiculés par les présentateurs sportifs ou les animateurs politiques. Nous décortiquons des magazines pour analyser les stéréotypes de genres véhiculés par les photos, publicités et articles. Les CM1 et CM2 de l’école Pauline Roland, à Rezé, ont appris l’impact qu’ils pouvaient avoir, en tant qu’apprentis journalistes, sur les représentations des métiers. En cinq séances, les élèves ont réalisé des interviews (pompière, homme sage-femme…) écrit et pris des photos présentées sur des panneaux, exposés ensuite à la médiathèque. Les 4èmes de l’école Sainte Madeleine-La Joliverie, à Nantes, ont réalisé un magazine dépliant (comme Les Autres Possibles) sur le thème du racisme. A Blain, des lycéens de Camille Claudel, ont créé un blog contre le sexisme avec le centre de loisirs.

Comment intervenez-vous auprès des adultes, animateurs et bibliothécaires notamment ?

Pour les jeunes et adultes, nous avons un parcours pédagogique autour de trois thématiques : « savoir s’informer en évitant les pièges », « comprendre le monde des médias » et « dans la peau d’un journaliste ». Pour les animateurs de centres de loisirs, par exemple, la formation s’est déroulée en deux fois deux heures. Sur le thème du sexisme dans les médias, nous avons avons d’abord réalisé collectivement une découpe des clichés et constaté l’invisibilité des femmes. Le deuxième temps était consacré au langage photographique, animé par un photojournaliste. L’an dernier, une dizaine de bibliothécaires ont été formés : atelier sur la désinformation, différenciation entre pub et info, comprendre le traitement de l’info selon la ligne éditoriale, et décrypter une photo de presse. Deux de nos journalistes ont également piloté une résidence de trois mois à l’Université de Sciences de Nantes, pour créer du lien entre chercheurs, étudiants et médias.

Comment les ateliers sont-ils financés ?

Souvent ils sont financés à 50 % par le partenaire (mairie, département…) et à 50 % par la Direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire (DRAC). Le département de Loire-Atlantique propose aux établissements de travailler sur la fabrique de l’info via « les classes presse ». Nous allons travailler l’an prochain avec quatre établissements à Blain, Paimboeuf, Nantes et St Nazaire, dont deux quatrièmes SEGPA. La ville de Rezé finance en grande partie les ateliers qu’elle propose et nous a inclus dans son catalogue d’intervenants culturels pour ses différentes structures.

Comment les enfants ressortent-ils de vos ateliers ?

Nous leur enseignons une façon de s’informer qu’ils n’ont tout simplement pas, en leur faisant découvrir autre chose que les réseaux sociaux. Les quatrièmes comprennent mieux la question des sources et l’importance de leur fiabilité…Mais ils n’est pas dit qu’ils changent leur pratique de l’information après…

source : https://www.lagazettedescommunes.com/781653/nous-enseignons-aux-jeunes-une-autre-facon-de-sinformer/

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voir aussi: Éducation aux médias -  Comment les Hauts-de-France sont devenus une région pionnière de l’éducation aux médias - Article réservé aux abonnés

 

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