Le massacre de la Saint-Barthélémy, une guerre civile légale

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Le Massacre de la Saint-Barthélemy par François Dubois au Musée cantonal des Beaux-Arts Vaud sur Wikimédia Commons (Creative Commons public domain)

Yannick Harrel: Le massacre de la Saint-Barthélémy, en tant qu’événement historique tragique, doit être vu comme un avertissement pour nos sociétés modernes.

Le 24 août 1572 marque le début de plusieurs jours de massacres à Paris et dans le reste du royaume de France visant à épurer le pays de sa population protestante.

Si l’objectif initial fut cyniquement de couper les têtes du protestantisme en France, le travail des esprits par le pouvoir royal fut si efficace que la population s’enhardit à amplifier le mouvement et le faire déborder de son lit tel un cours d’eau déchaîné en crue. Le roi et sa cour gagnait sur tous les tableaux : il finalisait son plan et se déchargeait de sa responsabilité.

Un massacre de la Saint-Barthélémy préparé méthodiquement

Les historiens sont encore divisés pour savoir le rôle réel de Charles IX (1550-1574) et de sa cour dans l’étendue du massacre de la Saint-Barthélemy mais rien ne les exonère de la préparation des esprits et surtout de l’élément déclencheur de celle-ci.

En outre, ce travail de contrôle des esprits par les relais médiatiques de l’époque (les ecclésiastiques et les représentants locaux du roi) fonctionna à plein sur une population conditionnée afin d’orienter ses frustrations sur la partie de la population la plus industrieuse et cultivée. Les protestants devenaient dès lors la cible toute trouvée d’un exutoire pour un pouvoir central déliquescent bienheureux de créer un dérivatif à la colère populaire.

Le 22 août 1572 tout s’enchaîne avec la tentative d’assassinat de l’amiral Gaspard de Coligny, protestant de son état, suivi de la fermeture des portes de la ville et de l’armement des forces précisément favorables à un règlement de la situation par les armes.

La suite était dès lors facilement envisageable : les principales figures du protestantisme français furent traquées dans les quartiers du Louvre et Saint-Germain pour y être massacrées. Avec une population chauffée à blanc depuis des années par les prédicateurs, les intrigants et les courtisans, la violence permise et encouragée par les grands de ce royaume irrigua les habitants parisiens, trop heureux de laisser libre cours à leurs plus vils instincts.

Le 24 août 1572, tout individu contestant ou doutant du dogme religieux principal devint une cible potentielle privilégiée, dont la considération humaine était encore pire que celle d’un criminel de droit commun : cette borne franchie, le massacre ne pouvait plus connaître d’entrave.

Encore aujourd’hui, il est très ardu de fournir un chiffre de l’ampleur des massacres orchestrés par le pouvoir royal, ce dernier s’étant habilement réfugié derrière un double rideau : celui d’une opération visant à prévenir la sédition d’une partie de la population suspectée de passer à l’acte et celui d’une autre partie de la population incapable d’être contenue dans sa violence malgré les théoriques tentatives du pouvoir central de la modérer.

En amont, première phase avec une action préventive vis-à-vis d’une population cible et en aval, seconde phase par l’externalisation du massacre proprement dit.

L’exemple du massacre de la Saint-Barthélemy est significatif du cynisme des dirigeants corrompus et vils qui auront toujours à cœur de « purifier » leur pays des esprits libres et entreprenants, leur préférant une population corvéable et malléable par l’entretien de la peur, de l’endoctrinement et de la précarité.

Mais pour en arriver là, le pouvoir en place doit préparer les esprits sur une certaine période en fonction des moyens de communication à disposition : ainsi, le plus effroyable des actes n’en paraîtra que plus justifié et même naturel au regard d’un conditionnement psychosocial de grande ampleur et de longue durée.

L’irénisme de la population ciblée, trop endormie par sa confiance dans l’autorité protectrice centrale, la prédispose à être la victime expiatoire de cette même autorité. Ainsi, en 1572, les libertés de culte et de conscience promises anesthésièrent la méfiance des protestataires qui n’entreprirent pas de mesures pour se protéger d’un pouvoir arbitraire travaillé par une cour davantage rompue aux manigances qu’aux vraies finalités politiques.

Cet évènement historique est la résultante d’une suite logique d’opérations politiques, diplomatiques et théologiques : la centralisation grandissante du pouvoir royal au sortir de la période médiévale, l’essor d’une Angleterre protestante dynamique sous Élisabeth première, la présence d’une Médicis rompue aux intrigues les plus tordues à la cour royale, des périodes de conciliation et de tension religieuse alternatives, l’influence espagnole sur les affaires intérieures françaises et des ordres religieux très présents dans les bourgs et les campagnes.

Fin de l’histoire mais pas de l’Histoire.

Les hommes libres, ces failles de la tyrannie

Rappelons-nous ces mots prophétiques d’Alexandre Soljénitsyne prononcé en 1978 à Harvard devant un auditoire médusé :

Il est des symptômes révélateurs par lesquels l’histoire lance des avertissements à une société menacée ou en péril. De tels avertissements sont, en l’occurrence, le déclin des arts, ou le manque de grands hommes d’État. Et il arrive parfois que les signes soient particulièrement concrets et explicites.

Le centre de votre démocratie et de votre culture est-il privé de courant pendant quelques heures, et voilà que soudainement des foules de citoyens américains se livrent au pillage et au grabuge. C’est que le vernis doit être bien fin, et le système social bien instable et mal en point.

Ce que l’ancien zek signifie par ce constat saisissant, c’est que même dans une démocratie présentée comme le régime politique le plus imperméable à l’arbitraire et à la violence, les forces de destruction peuvent rapidement s’engouffrer en son sein par l’appui de complicités malignes intérieures au plus haut sommet en provoquant ou en employant la survenance d’un phénomène disruptif.

La trop grande confiance que les individus accordent à la construction de régimes politiques où ils espèrent y trouver sécurité, comme les bourgeois autrefois en les villes fortifiées médiévales, fonde son essence sur un point essentiel : la confusion entre structures et forces structurelles. Hommes et organisations ne sauraient se confondre, les premiers avilissant ou bonifiant les secondes.

Hélas, les citoyens ayant vécu dans la sécurité et la prospérité desdites structures les considèrent comme des totems immuables, les rapprochant davantage à ce titre du statut de croyants. Cette crédulité est l’énergie molle qui meut le peuple dont la colère peut être attisée par le régime, fut-il inique et cruel, envers la population stigmatisée.

Et dans cette situation, où le pire est préparé par ceux qui devraient nous en préserver, les quelques îlots d’intelligence et de sagesse sont peu de chose face à une folie d’essence mystique. Combien il est commode pour ce même régime de masquer, d’étouffer ou encore d’éradiquer les contestataires privés de représentativité et encore moins de dignité.

À moins que ces îlots ne se regroupent pour former un archipel puis une longue terre ferme apte à accueillir toujours plus d’esprits libres et combatifs afin de résister, repousser et vaincre les forces esclavagistes avides de cerveaux et de mains serviles. Les hommes et femmes pétris de libertés ont toujours été les failles de la tyrannie, les bogues de la matrice programmée pour asservir.

Car lorsqu’un régime par ses représentants, principaux ou secondaires, conditionne des individus pour les manipuler en flattant leurs instincts les plus primaires et brutaux, aucune limite légale et morale à ses excès ne saurait dès lors exister. A fortiori lorsque les tenants de l’État ont déjà prévu de se déresponsabiliser des conséquences sur leurs servants fanatiques. C’est précisément ce qui s’est déroulé lors des tristes journées d’août de l’an 1572.

En ces temps présents, l’atteinte à l’intégrité physique est précédée par la déshumanisation des désignés et présumés déviants du corps social afin de prévenir toute « contamination » d’icelui. Un temps où le rôle des prédicateurs religieux est remplacé par les médias de masse, nouveaux prêtres cathodiques façonnant l’angoisse et l’abêtissement des foules.

Un temps où l’informatisation puis la numérisation de la société favorise l’observation, l’évaluation et la déconnexion à distance des individus jugés non conformes. Un temps où les maux sont devenus les adjuvants des régimes en voie de totalitarisation.

C’est ce que le célèbre sociologue et philosophe italien Giorgio Agamben énonça en 2008 dans une terrible sentence :

Le totalitarisme moderne peut être défini comme l’établissement, au moyen de l’état d’exception, d’une guerre civile légale qui permet l’élimination physique non seulement d’adversaires politiques mais de catégories entières de citoyens qui, pour une raison quelconque, ne peuvent être intégrés dans le système politique.

Nous ne pourrons pas prétendre que nous n’avons pas été prévenus par l’Histoire et par les sages. Notre destin nous appartient.

le 03/12/2021 -Yannick Harrel

Yannick Harrel, de formation supérieure en sociologie, droit et ingénierie minière, il est expert-chercheur sur les problématiques liées aux stratégies de la donnée et sur l'écosystème des mobilités 3.0. Outre de nombreux articles et interventions pour journaux et radios, il tient des conférences thématiques en France et à l'étranger, il a publié trois ouvrages devenus des références sur la cyberstratégie russe, les cyberstratégies économiques et financières et les automobiles 3.0 aux éditions Nuvis. Il intervient pour le compte d'administrations, d'entreprises et d'instituts d'enseignement supérieur.

source:https://www.contrepoints.org/2021/12/02/415511-le-massacre-de-la-saint-barthelemy-une-guerre-civile-legale

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Voir aussi: Désormais, les villes wokisées transforment des événements, comme le Black Friday en « fête communiste »

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