Paru aux éditions du Cerf, Les Nostalgériades Nostalgie, Algérie, Jérémiades (2021) de Fatiha-Agag-Boudjahlat est un essai qui se lit presque comme un roman, émaillé d’éléments autobiographiques. Le ton y est très personnel, presque intime.
Néologisme formé de la contraction de « nostalgie », « Algérie » et « jérémiades », le titre de l’ouvrage annonce déjà la couleur ; sans fard et avec beaucoup de courage, l’auteure part de ses expériences et de son vécu pour explorer les questions des identités et de l’assimilation ; soi et les Autres lorsque l’on vient d’ailleurs. Elle y épingle aussi l’hypocrisie des néo-féministes, la condescendance de certains cercles antiracistes, et pointe magistralement leurs paradoxes et incohérences.
Vérités dérangeantes
Dans cet essai, s’élève une voix issue de la diversité, mais celle-ci est singulière, loin de tout pathos, discordante, elle ne colle pas au narratif victimaire des antiracistes :
« Je suis « racisée ». Je suis maghrébine et musulmane. J’ai connu la misère. J’ai grandi avec sept frères. L’un d’entre eux a fait 14 ans de prison en trois condamnations. […] Nous avons dépendu des années des Restos du cœur (j’en ai gardé une tendresse proustienne pour le Corned Beef), le Secours Catholique nous a habillés des années durant. J’appartiens au milieu populaire immigré dont ces bons bwanas prétendent se faire les hérauts et œuvrer à lui donner une visibilité médiatique. Une histoire de traumas comme ils les aiment, dont je tire un destin différent de celui qu’ils attendent. »
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L’auteure évoque des « vérités dérangeantes » pour une certaine bien-pensance, loin d’incriminer un quelconque « racisme structurel », elle explique que la misère vécue fut « orchestrée » par les choix mêmes de ses parents :
« Nous n’avions pas, avec les aides reçues, à être aussi pauvres, nous n’aurions pas dû souffrir autant, profitant à l’occasion de la maraude de mon père ou de mes frères. La priorité de mes parents était la construction d’une grande maison au bled, pas notre confort ici. Nous n’avons jamais touché nos bourses, tout ce qui n’était pas englouti par les strictes nécessités de la vie allait au bled. » Ces prises de positions dérangent, aussi bien une frange de la bien-pensance, que certaines personnes appartenant à la communauté d’origine. L’essayiste est souvent prise à partie, voire insultée sur les réseaux sociaux : « C’est bien parce que je ne pense pas comme eux exigent que je pense, c’est parce que je ne reste pas à la place qu’ils m’assignent, je suis humiliée, disqualifiée, effacée » écrit-elle.
Montrer patte blanche « non-blanchie »
L’essai aborde également les différentes problématiques liées à l’intégration. Selon l’auteur, outre le fait que le pays d’origine soit fantasmé tel un Éden perdu, si une partie de la population issue de l’immigration maghrébine a du mal à « se dire française », cela est notamment dû à une forme de « dette tacite » envers le pays d’origine, un héritage transgénérationnel qui empêche toute une génération de s’enraciner dans le pays d’adoption. L’essayiste évoque la notion d’enfants grandissant hors-sol, le pays d’accueil étant considéré comme « une zone de transit », la France comme une sorte de « purgatoire » qu’on finira par quitter tôt ou tard. À ce titre, la non intégration est un gage de loyauté envers la communauté d’origine, une injonction à « montrer patte blanche non-blanchie. »
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En tant qu’enseignante d’histoire-géo, Fatiha Boudjahlat fait l’amer constat que le système éducatif participe et entretient cet état de fait : « Il y a aussi cet immense vide dans l’enseignement : on n’apprend pas à aimer la France […] Les mêmes qui sortent le drapeau palestinien dans n’importe quelle manifestation accusent l’État d’endoctrinement parce qu’il a eu l’audace de faire voter l’installation d’un drapeau français dans chaque classe. »
Retour en force du religieux
L’auteure soulève également la question du regain religieux auprès des nouvelles générations, la qualifiant « d’orthodoxie vaniteuse ». Cette ré-islamisation nourrit leur narcissisme comme élément identitaire, et creuse un fossé avec les anciennes générations, jugées islamiquement non conformes.
Le voile est selon l’essayiste, « un rappel constant à l’orthodoxie », celle-ci se retrouve également dans la « dimension performative du langage », à l’intérieur de la communauté ; la formule de salut islamique salamu alyekoum a peu à peu supplanté sbah el khir, le bonjour laïc. L’essai n’épargne pas non plus les néo-féministes donc, l’auteure égratigne leur propension à s’accommoder, voire à défendre le voile, Fatiha Boudjahlat dénonce les deux poids deux mesures dont celles-ci font preuve : « ces occidentales refusent aux orientales les standards d’égalité et de dignité qu’elles exigent pour elles.»
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L’essayiste pointe le ridicule de traquer « les inégalités grammaticales » tout en fermant les yeux sur le patriarcat arabo-musulman, celui qui consacre la toute-puissance du père sur ses enfants. Selon elle, ce relativisme culturel est « un piège à connes » qui frôle l’orientalisme condescendant : « Au nom de quoi ce qu’elles refusent pour elles et leurs filles serait bon pour moi, et celles qui me ressemblent ? Qui m’institue comme une Autre irréductible ? Qui fait alors de moi une bonne sauvage, dont il faut préserver la différence culturelle irréductible ? »
Elle rappelle comment ce relativisme culturel peut s’avérer contre-productif, voire dangereux pour les femmes issues de la diversité : « C’est en son nom, et au nom de cette émotion condescendante, la tolérance, dans laquelle les bourgeoises racialistes aiment à se lover, que des intellectuels de gauche, femmes et hommes, ont signé en 1989 un appel à dépénaliser l’excision en France. »
Cet essai, par sa singularité et son ton, est une ode à la liberté : liberté de penser en dehors des cadres rigides de la prédestination, liberté de refuser la place où l’on veut vous assigner à cause de votre couleur de peau ou votre patronyme.
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