Thibaud Gibelin : « Le socle populaire qu’entend perpétuer la politique hongroise permet l’avenir de la nation »

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Thibaud Gibelin, auteur de l’essai Viktor Orbán joue et gagne : « Le socle populaire qu’entend perpétuer la politique hongroise permet l’avenir de la nation ».

« Le Brexit consommé, l’axe franco-allemand déséquilibré, l’Union européenne aborde à bout de souffle les années 2020. Un vent de fronde souffle sur l’Europe centrale, où Viktor Orbán dessine depuis dix ans une alternative politique qui inquiète l’Europe de l’Ouest. […] L’Union européenne prendra-t-elle le visage de l’homme fort de Budapest dans les années à venir ? Thibaud Gibelin retrace l’histoire du groupe de Visegrád – la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie – pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui en Europe centrale et éclairer la personnalité d’un chef d’État parmi les plus décriés et certainement les plus expérimentés du continent », peut-on lire en quatrième de couverture du premier essai de Thibaud Gibelin, doctorant entre Paris et Budapest, spécialisé en relations européennes, diplômé d’histoire et de sciences politiques.

Un essai politique qui vient étoffer la bibliothèque francophone des ouvrages sur l’illibéralisme de Viktor Orbán. Depuis 2014, lorsque le premier ministre hongrois Viktor Orbán a dit vouloir bâtir une société illibérale – par opposition à la société progressiste occidentale, qualifiée en anglais de liberal – et plus encore depuis la crise des migrants de 2015, la Hongrie est le vilain petit canard de l’UE, mais également un objet de fantasme pour une partie de la droite européenne. Viktor Orbán a, par sa politique hétérodoxe en plein de domaines, indéniablement attiré les regards curieux, qu’ils soient amicaux ou hostiles. Dans son essai, Thibaud Gibelin met en exergue le contexte historique qui a servi de terreau à Viktor Orbán et à sa politique, et d’un œil français mais savant souligne, au-delà des éloges ou des dénigrements, les spécificités du règne orbanien.


Ferenc Almássy : Bien que vous écriviez depuis quelques années ponctuellement pour le Visegrád Post, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Et par là même, nous dire ce qui pousse un Français, sans lien particulier avec la Hongrie à s’intéresser à ce point à ce petit pays d’Europe centrale ?

Thibaud Gibelin : Il me semble peu mystérieux d’avoir des affinités électives avec un autre pays d’Europe. Stendhal disait que « le charme de l’Italie est parent de celui d’aimer ». Je ne saurais caractériser la Hongrie d’un grand mot. J’attribuerais à ce pays, aux antipodes d’une qualité générale, une singularité vraiment mystérieuse. Une forme d’authenticité à la fois drue et sereine. J’ai pourtant découvert la région à l’occasion d’un semestre d’échange universitaire, parce que les cours y étaient assurés en anglais. Sous la croûte cosmopolite de la vie étudiante, la spécificité du pays s’est dévoilée et m’a plu. En 2018 j’ai eu de nouveau l’occasion de passer plusieurs mois en Hongrie. Je m’étais entretemps spécialisé dans les affaires européennes, et le rôle pivot de la Hongrie pour tourner en Europe la page de l’Occident libéral me paraissait dès lors déterminant. Le succès inattendu d’Orbán aux élections cette année-là m’a déterminé à décrire les raisons de son succès politique.

Ferenc Almássy : « Viktor Orbán joue et gagne », c’est le titre de votre livre. Vous expliquez comment s’y prend Orbán et développez une mise en contexte historique, qui permet notamment de mieux appréhender un état d’esprit très différent de ce qu’on trouve en France. Mais à quoi joue Viktor Orbán selon vous ? On le dit pragmatique, mais pourtant il s’attire bien des ennuis avec certaines prises de position et déclarations – pourtant bien pensées en avance – sur une certaine vision de la normalité, la place de la foi en politique, et bien d’autres sujets de philosophie politique.

Thibaud Gibelin : Il y a des lignes rouges que le premier ministre de Hongrie entend ne pas franchir : la destruction interne du peuple par les réformes sociétales et sa destruction externe par l’immigration de masse. Ce sont des fondamentaux éminemment politiques, garantissant la survie de la communauté nationale. Or, sur l’aspect social et migratoire la position de Viktor Orbán n’était pas différente lorsque la Hongrie intègre l’UE au début du siècle. Le premier ministre hongrois refuse d’abdiquer, et cette résistance là lui vaut les attaques qui défraient la presse depuis dix ans.

On peut distinguer différentes sources d’inspiration dans l’action politique d’Orbán. D’abord l’ambition d’un jeune homme doué et travailleur que la chute du bloc de l’Est a tôt lancé dans la carrière politique. Mais aussi des origines populaires auxquelles le premier ministre de Hongrie doit son flair d’homme de terrain et sa capacité à comprendre les attentes du plus grand nombre. Enfin, à l’intersection de ces deux caractéristiques, une intelligence de situation unique dans le monde occidental à son niveau de responsabilité. En 1989 il réclame, le premier et ouvertement, le départ de l’Armée rouge ; en 2014, il constate l’état de déliquescence du libéralisme et la nécessité pour son pays de s’édifier sur les bases d’une « démocratie chrétienne » ; en 2015, il brise la sidération européenne à l’endroit de la crise migratoire.

Ferenc Almássy : Est-ce que finalement la Hongrie de Viktor Orbán n’est pas une sorte de laboratoire politique expérimental où chacun en France – pays où on aime tant débattre et théoriser – peut projeter des espérances ou des craintes ? De nombreux sujets politiques sont au cœur de l’actualité hongroise alors qu’ils sont tabous en France par exemple. Dès lors, est-ce qu’il n’y a pas d’emblée un biais français, quelque soit l’orientation politique, concernant la Hongrie, avec in fine une réflexion qui concerne bien plus la politique française ? Les auteurs français qui se penchent sur la Hongrie illibérale d’Orbán ne parlent-ils pas plutôt par proxy de la France ? Et cette question vous concerne aussi.

Thibaud Gibelin : Il y a d’abord un effet de contraste : l’unanimisme politique et idéologique est tel en Europe qu’un son de cloche un tant soit peu varié détonne. Une partie des publications que vous évoquez s’émeuvent de cette aspérité hongroise dans le marais de l’époque. Par exemple, le livre d’Amélie Poinsot (Dans la tête de Viktor Orbán, éd. Solin/Actes Sud), malgré une multitude de faits pertinents rapportés, décrit une dérive suspecte – une anomalie. A l’opposé, Viktor Orbán suscite chez une frange conservatrice de l’opinion occidentale un enthousiasme fervent. Il me semble en effet que c’est une controverse française sur un thème hongrois, ce dernier passant au second plan.

Mon livre est celui d’un Français à destination du lectorat français. Mais tâchons d’élargir la perspective : le sous-titre – résurgence de l’Europe centrale – importe tout autant. J’essaye de contextualiser l’action du premier ministre de Hongrie dans cette béance politique qu’est le XXe siècle finissant. En 1990, le libéralisme occidental triomphe sur les ruines du communisme, comme ces deux systèmes avaient assis leur hégémonie sur l’effondrement de l’Allemagne national-socialiste en 1945. L’ère des idéologies ne se termine pas : elle entre dans une nouvelle phase caractérisée par la victoire de l’une d’elle. L’Occident globalisé semble en phase d’apothéose et d’implosion à la fois. Cette évolution déroutante s’accélère depuis la crise financière de 2008. Les dysfonctionnements ouvrent une marge de manœuvre aux pays capables de s’enraciner dans leur tradition et d’échapper ainsi aux conditionnements contemporains.

Selon moi, Viktor Orbán est une réponse hongroise aux défis posés à son pays. Surtout, cette réponse vient d’un pays étranger aux idéologies du XXe : la Hongrie est passée de l’Ancien-Régime (autrement dit : l’Empire austro-hongrois) à une subordination aux tendances idéologiques étrangères. La réponse qu’elle formule au terme d’expériences idéologiques aliénantes ressort donc d’une tradition politique empreinte de références traditionnelles, celle de l’Occident chrétien édifié depuis plus de mille ans. Et ces références-là peuvent avoir un écho ou un prolongement partout à travers le continent.

Ferenc Almássy : Quel est votre avis sur la suite des événements ? Vous avez écrit votre livre durant l’ère anté-covidienne. Est-il toujours d’actualité ? Viktor Orbán joue-t-il encore et gagne-t-il encore à l’heure où le Grand Reset tente de se mettre en place sous la houlette de Davos ? Et si oui, avec quelles perspectives ?

Thibaud Gibelin : L’art de la politique consiste à distinguer ce qui est possible, ce qui est utile et ce qui est nécessaire. J’évoquais plus haut la première nécessité, qui est d’assurer la pérennité du peuple. Cet impératif-là se conjugue à l’emprise de l’économie globalisée. L’année 2020 marque une offensive spectaculaire des promoteurs de cette dernière. La Hongrie est bien sûr ébranlée par ce séisme global. Au point qu’en gravant dans la constitution les réalités anthropologiques (la semaine dernière, le parti de Viktor Orbán a inscrit dans la constitution qu’une mère est une femme et qu’un père est un homme, ndlr), la majorité Fidesz semble occulter des urgences sociales et économiques majeures. Le bouleversement à l’œuvre, les décideurs hongrois le voient venir, le jaugent, anticipent peut-être ce qui est inévitable, ce dont on peut tirer parti et ce qui est inacceptable.

Mais méfions-nous d’être unilatéraux, la souveraineté pour chaque pays n’est aujourd’hui que très partielle – les évènements américains sont éloquents à ce sujet. La question est : que faire de cette parcelle de souveraineté ? À quoi la Hongrie répond : ne pas obérer l’avenir du peuple. Fast-food, ascendant du numérique, prothèse téléphonique… le masque s’ajoute à la litanie des conditionnements à l’œuvre dans le monde globalisé. Mais le socle populaire qu’entend perpétuer la politique hongroise permet l’avenir de la nation. Plus que jamais, les milliards générés comme une nuée diluvienne par la finance internationale prétendent substituer un monde artificiel à des réalités charnelles. Faute de levier pour reprendre directement l’ascendant sur ce « nouveau monde », les peuples et leurs représentants loyaux s’obstinent à cultiver leur pré carré.

Ferenc Almássy : Quelque soit la manière et le moment où se finira le règne de Viktor Orbán, quel sera son vous son héritage en Hongrie et au-delà ?

Thibaud Gibelin : La première leçon me semble politique : l’action résolue n’est pas affaire de taille. Les efforts de la Hongrie s’appuie sur 10 millions d’habitants, dans un territoire enclavé et mal pourvu en ressources énergétiques. Même lors de son retour dans l’opposition, le Fidesz de Viktor Orbán ne s’est jamais effondré dans les urnes ou les sondages. Une large partie de la population est attachée à cette sensibilité politique, ce qui permet d’envisager une pérennité de l’œuvre politique d’Orbán au-delà de sa carrière. Par ailleurs, le consensus centre-européen sur la migration met en branle une coordination plus large à l’échelle régionale. Il est probable que si la Hongrie passait aux mains d’une autre force politique, la Pologne assurerait la permanence au niveau européen de la sensibilité politique qu’incarne aujourd’hui Viktor Orbán. En dépit de la vulnérabilité de tout parti au pouvoir dans les circonstances actuelles, il me semble prématuré d’enterrer Viktor Orbán. Âgé de 57 ans et politique chevronné, le Premier ministre en exercice n’a pas de rival déclaré pour gouverner le pays à l’horizon incertain de 2022.

Pourquoi Viktor Orbán joue et gagne
Thibaud Gibelin
Fauves éditions
20€

 

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2 commentaires

  1. Posté par maury le

    A l’heure où on veut “envoyer au Goulag” les professeurs Raoult, Perronne et 6 autres pour délit d’insubordination à la doxa du N.O.M Victor Orban et le Visegrad défendent les VRAIES VALEURS de peuples souverains qui savent ce qu’elles représentent quand on a déjà eu à faire à l’occupation d’ennemis de la liberté !Et qu’en est il de des peuples formant la nouvelle uerss de Vladimir Boukovsky?????

  2. Posté par LeVérificateur le

    L’adjectif “populaire” … nos “quartiers” désormais largement allogènes ne sont-ils pas aussi “populaires” ?
    Sinon, tout le reste est exact et bien dit, mais toujours cette peur d’utiliser les vrais mots.

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