Le 10 décembre, à Bakou, avait lieu un défilé de la victoire azéro-turc en présence des présidents Ilham Aliyev et Recep Tayyip Erdogan et aux sons de marches militaires ottomanes. Trois mille soldats et 150 véhicules militaires y ont pris part devant une foule en liesse. L’accord de cessez-le-feu signé le 10 novembre sous l’égide de Moscou avait scellé la défaite d’Arméniens moins nombreux et mal équipés face à une armée azérie renforcée et modernisée depuis plusieurs années avec l’aide de la Turquie et d’Israël et dont les troupes avaient été directement soutenues dans cette guerre de conquête du Haut-Karabagh par les djihadistes acheminés de Syrie par Ankara. Dans leur discours, les deux dirigeants ont esquissé une vision inquiétante de leurs projets pour la suite, évoquant l’Arménie elle-même, et non plus seulement le Haut-Karabagh, comme appartenant historiquement à l’Azerbaïdjan.
« Aujourd’hui est un jour de bénédiction pour les âmes de Nouri Pacha, Enver Pacha et les courageux soldats de l’Armée islamique du Caucase », s’est enthousiasmé le président turc dans une déclaration qui a dû glacer plus d’un Arménien et qui aurait dû faire des vagues dans le monde.
Général de l’armée ottomane pendant la Première Guerre mondiale, Nouri Pacha était le frère du ministre ottoman de la Guerre Enver Pacha. Ce dernier avait pris la tête de la révolution des Jeunes-Turcs qui s’empara du pouvoir avant la Première Guerre mondiale et engagea ensuite l’Empire ottoman aux côtés des Empires centraux. Mais Enver Pacha fut surtout un des principaux instigateurs du génocide arménien !
Membre du triumvirat des Trois Pachas qui dirigeait l’Empire à partir de 1913, c’est lui qui, avec le ministre de la Marine Djemal Pacha et le grand vizir et ministre de l’Intérieur Talaat Pacha, organisa le génocide des peuples chrétiens de l’Empire ottoman, c’est-à-dire des Arméniens, des Assyriens et des Grecs pontiques. Entre 1,2 million et 1,5 million de civils arméniens périrent dans ces massacres, déportations, marches de la mort et famines organisées, soit plus des deux tiers des Arméniens qui vivaient alors sur le territoire de la Turquie actuelle.
Sur la base de très nombreux documents officiels et télégrammes chiffrés et d’une foule de témoignages recueillis en rapport avec ce génocide planifié et organisé, les cours martiales ottomanes qui se tinrent en 1919-1920 condamnèrent à mort par contumace quatre responsables parmi lesquels il y avait justement les trois pachas, dont celui invoqué le 10 décembre à Bakou par le président turc Recep Erdogan. L’idole d’Erdogan s’était enfuie en Allemagne à la fin de la guerre et elle ne fut donc pas exécutée. Enver Pacha rejoignit ensuite l’Armée rouge en Russie bolchevique. Envoyé à Boukhara, en Ouzbékistan, pour soviétiser la population turcophone, il se retourna contre les communistes et trouva la mort dans une escarmouche en 1922.
Quant à l’Armée islamique du Caucase adulée par Erdogan, ce fut une force créée en juin 1918 par le criminel contre l’humanité Enver Pacha et dont le commandement fut confié à son frère Nouri Pacha. Cette armée comprenait des volontaires azéris. Instrument de conquête mais aussi d’imposition de la loi islamique du califat ottoman, l’Armée islamique du Caucase se distingua entre autres par les massacres qu’elle commit à l’égard la population arménienne après la prise de Bakou en septembre 1918. Elle fut dissoute après la capitulation ottomane le 30 octobre 1918. •
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