De notre correspondant en Suisse. – Existe-t-il une mentalité suisse, un esprit national, un comportement, un caractère propre à ce pays qui n’est pas une nation mais une confédération, une agglomération de cantons, d’associés politiques qui s’est constituée au fil de l’histoire ? C’est une question compliquée parce que de Genève à Romanshorn, de Bâle à Lugano, nous changeons de langue, de religion, d’us et coutumes multiples, d’histoire même.
Finalement, est-ce que « la Suisse n’existe pas » ? Ce slogan imaginé en 1992 par l’artiste Ben, de son vrai nom Benjamin Vautier, artiste français d’origine suisse, a cristallisé la polémique suscitée par le pavillon suisse à l’Exposition universelle de Séville. C’est un slogan qui a marqué les personnes de ma génération, ceux qui atteignent contre leur plein gré les contreforts de la vieillesse, fils et filles du boom démographique de l’après-guerre.
Cette interrogation m’est venue à l’esprit voici quelques semaines, en compagnie de copains, tous grisonnants, aux articulations grinçantes, mais fidèles à leurs amours de jeunesse : la moto ! Un week-end dans le Jura, pas loin de la frontière française. Glissée dans un programme prioritairement culinaire, une visite a retenu mon attention. Celle des mines d’asphalte de la Presta, dans le Val-de-Travers. Une plongée dans un univers surprenant, peu connu, d’une région qui s’est vouée à un dur labeur, creusant la roche pour extraire un filet d’asphalte qui, au début, était recherché pour ses vertus curatives avant d’être utile au revêtement routier. Deux millions de tonnes de roches ont été ainsi extraites des montagnes, trois siècles durant, de manière artisanale puis industrielle jusqu’en 1986.
Quel est donc le lien entre cette aimable attraction touristique et un éventuel caractère suisse ? C’est en écoutant notre brave guide, une dame d’un certain âge au verbe généreux et aux souvenirs précis, que ce fameux caractère suisse m’est apparu. Figurez-vous que les mineurs venaient travailler avec leurs propres outils, que les patrons de la mine leur interdisaient de trop travailler : ils pouvaient extraire douze chariots par jour, éventuellement treize. Le quatorzième n’était pas payé.
Les Vallonniers, et non les Valtraversins, appellation refusée démocratiquement lors d’une votation en 2015, n’ont connu que deux morts durant toute l’exploitation de la mine. Et encore, nous dit notre guide, deux décès dus à l’utilisation d’outils modernes qui se sont révélés dangereux à l’usage. Quelques Italiens sont venus prêter main-forte, leur talent de spécialistes dans le percement de tunnels ayant été apprécié, mais ce furent principalement les régionaux qui vécurent cet âge d’or d’un des fleurons de l’industrie neuchâteloise.
Cette petite histoire démontre à sa manière la dilution de notre culture et de notre identité dans un multiculturalisme ambiant et mortifère pour tous les Etats européens. A la veille d’une importante votation sur un sujet d’importance pour notre avenir – voulons-nous maîtriser une immigration de masse ? –, il n’est donc que peu surprenant de constater que ce sujet n’intéresse pas plus que cela les Suisses. •
Éric Bertinat
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