L'étude publiée le 22 mai dans la revue scientifique The Lancet a fait grand bruit. Menée par le Dr Mandeep Mehra et ses collègues sur les données d'environ 96 000 patients hospitalisés entre décembre et avril dans 671 hôpitaux, elle a conclu que le traitement à l'hydroxychloroquine ne semble pas être bénéfique aux malades du Covid-19 hospitalisés et pourrait même être néfaste.
Trois jours plus tard, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a annoncé la suspension par mesure de précaution des essais cliniques qu'elle menait sur cette molécule avec ses partenaires dans plusieurs pays. Plusieurs autres essais cliniques ont été suspendus dans la foulée, et la France a banni l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour le traitement du Covid-19, au grand dam de ses promoteurs.
Inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données
Cependant, à l'instar du désormais célèbre professeur Didier Raoult qui, le premier, a jugé l'étude du Lancet «foireuse», de nombreux chercheurs, – y compris certains sceptiques sur l'intérêt de la molécule pour traiter les malades du Covid-19 –, expriment aujourd'hui leurs doutes sur l'étude du Lancet, s'interrogeant notamment sur la provenance des données utilisées.
Dans une lettre ouverte publiée le 28 mai au soir, des dizaines de scientifiques du monde entier, de Harvard à l'Imperial College de Londres, soulignent ainsi que l'examen minutieux de l'étude du Lancet «a soulevé à la fois des inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données». Ils dressent une longue liste de points problématiques, entre incohérences dans les doses administrées dans certains pays et questions éthiques sur la collecte des données des patients, en passant par le refus des auteurs de donner accès aux données brutes.
Besoin de vérification des erreurs dans l'ensemble de la base de données
Ces données de l'étude émanent de Surgisphere, qui se présente comme une société d'analyse de données de santé basée aux Etats-Unis. L'entreprise a défendu l'intégrité de ses données et affirmé qu'elles viennent d'hôpitaux qui collaborent avec elle.
Or selon le journal The Guardian, Sapan Desai, patron de cette société et un des auteurs de l'étude, a reconnu avoir par erreur classé 73 décès en «Australie» alors qu'ils auraient dû être comptés en «Asie». «Cela souligne le besoin de vérification des erreurs dans l'ensemble de la base de données», soulignent les scientifiques dans leur lettre ouverte. Ils appellent à la mise en place par l'OMS ou une autre institution d'un groupe chargé de mener une analyse indépendante des conclusions de l'étude.
Interrogée le 29 mai sur cette question, l'OMS a noté que la suspension des essais impliquant l'hydroxychloroquine était «temporaire» et que ses experts rendraient leur «opinion finale» après l'examen d'autres éléments, probablement d'ici à la mi juin.
La lettre ouverte, signée notamment par le professeur Philippe Parola, collaborateur du professeur Raoult, a immédiatement été relayée par celui-ci, citant Winston Churchill. «"Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais c'est peut-être la fin du commencement"... De la guerre contre la chloroquine», a-t-il tweeté.
Winston Churchill: "Now this is not the end. It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of the beginning"... Of the war against chloroquine.
— Didier Raoult (@raoult_didier) May 29, 2020
Si l'article du Lancet est une fraude cela va briser la confiance dans les scientifiques de façon durable
Il est par ailleurs notable que tous les signataires de cette lettre ouverte ne sont pas des défenseurs de l'hydroxychloroquine. «J'ai des doutes sérieux sur les bénéfices d'un traitement à la chloroquine/hydroxychloroquine contre le Covid-19 et j'ai hâte que cette histoire se termine, mais je crois que l'intégrité de la recherche ne peut pas être invoquée uniquement quand un article ne va pas dans le sens de nos préconceptions», a commenté sur Twitter le professeur François Balloux, de l'University College de Londres.
Signataires ou non, de nombreux scientifiques ont relayé leurs inquiétudes de l'impact de cette affaire sur la science, parfois avec les hashtag #Lancetgate («scandale Lancet») ou #whats_with_hcq_lancet_paper («que se passe-t-il avec l'étude du Lancet»).
«Si l'article du Lancet est une fraude cela va briser la confiance dans les scientifiques de façon durable», a ainsi commenté ce 29 mai le professeur Gilbert Deray, de la Pitié-Salpêtrière à Paris. «J'attends avec inquiétude les résultats de l'enquête», a-t-il ajouté.
Interrogé par l'AFP, le Lancet a indiqué avoir transmis les nombreuses questions sur l'étude à ses auteurs : «Ils travaillent pour répondre aux problèmes soulevés.»
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