Pologne – Dix ans déjà que l’avion gouvernemental polonais transportant le président Lech Kaczyński, son épouse et plusieurs personnalité de premier rang ont trouvé la mort dans la catastrophe qui mit leur avion en pièces à l’approche de l’aéroport militaire de Smolensk, en Russie. C’était le matin du 10 avril 2010. Dix ans déjà, et la Russie refuse toujours de restituer l’épave et les boîtes noires de l’avion. Un refus condamné en octobre 2018 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce qui – on s’en doute – n’a eu aucun effet. Pourtant, en vertu de la Convention de Chicago sur laquelle les deux premiers ministres de l’époque – Donald Tusk et Vladimir Poutine – convinrent de s’appuyer pour mener l’enquête, le pays d’occurrence de la catastrophe doit restituer l’épave et tous les autres éléments de preuve au terme de l’enquête technique. Autrement dit, la Russie aurait dû tout restituer en janvier 2011.
Une autre chose, c’est que le choix de cette Convention de Chicago, et plus précisément de son Annexe 13, comme fondement légal de l’enquête fut une grave faute de la part de Donald Tusk. Ce document réglemente les catastrophes aériennes dans l’aviation civile. Or le Tupolev Tu-154 transportant le président polonais et sa délégation était un avion militaire qui devait atterrir sur un aéroport militaire, et la Pologne pouvait, en vertu des accords internationaux, participer aux côtés de la Russie à l’enquête sur le territoire de cette dernière. Tusk a d’emblée renoncé à cette possibilité, ouvrant la voie à toutes les théories possibles sur cette catastrophe, car l’enquête russe a été tout sauf rigoureuse et transparente.
Après son arrivée au pouvoir à l’automne 2015, le parti dirigé par le frère jumeau du président défunt, Jarosław Kaczyński, a mis en place une nouvelle commission d’enquête dont le rapport définitif se fait toujours attendre, des laboratoires étrangers, en Italie, en Grande-Bretagne et en Hongrie, ayant été mis à contribution pour analyser différents fragments dont disposent les autorités polonaises. Et notamment des fragments de corps prélevés au moment des exhumations engagées sous le gouvernement de Beata Szydło en 2016 et aujourd’hui achevées. Même si ces exhumations ne permettent pas de faire le clair sur cette histoire, elles auront toujours permis de remettre les bons fragments de corps dans les bons cercueils, car en 2010 ces cercueils étaient arrivés scellés de Russie et le gouvernement de Donald Tusk avait interdit à quiconque de les ouvrir.
Le rapport définitif de la nouvelle commission d’enquête du gouvernement polonais, s’il est un jour publié, ne fera sans doute qu’ajouter à la confusion en confirmant une des thèses en circulation sans apporter de preuve définitive, faute d’avoir pu conduire une enquête sur place au moment de la catastrophe. Cette triste affaire a ainsi durablement rendu tout rapprochement impossible entre la Russie et la Pologne.
Selon l’ancien président Bronislaw Komorowski, qui succéda à Lech Kaczyński, d’abord par intérim en qualité de maréchal (président) de la Diète, puis en remportant les élections présidentielles face à Jarosław Kaczyński en tant que candidat du parti de Donald Tusk, « les Russes ne rendent pas l’avion parce que c’est un formidable outil pour énerver les Polonais et exacerber les conflits politiques en Pologne ». D’autres pensent que les Russes ont tout simplement quelque chose à cacher, qu’il s’agisse des traces d’un attentat ou de défaillances techniques sur un avion de fabrication russe qui venait de subir une révision générale en Russie.
Le président Lech Kaczyński et les 95 autres Polonais présents à bord du Tu-154 qui ont trouvé la mort près de Smolensk, dans les environs de la forêt de Katyń, allaient rendre hommage aux officiers polonais victimes des exécutions de masse commises par la Russie soviétique en avril-mai 1940. La tragédie de Smolensk est ainsi venue s’ajouter à celle de Katyń, et si l’on a cru un temps qu’elle serait l’occasion d’un rapprochement russo-polonais, l’illusion a fait long feu. Parmi les morts de Smolensk, outre le couple présidentiel polonais, il y avait le dernier président en exil à Londres Ryszard Kaczorowski, le chef d’état-major et les commandants des forces armées polonaises, le président de la banque centrale, le président de l’Institut de la mémoire nationale, le médiateur des citoyens, ainsi que plusieurs autres hauts fonctionnaires et 17 parlementaires appartenant à tous les partis représentés à la Diète et au Sénat, et encore des représentants des religions, du monde de la culture, des associations des familles des victimes de Katyń et des figures de Solidarność, telle la légendaire Anna Walentynowicz.
Article originellement publié dans Présent.
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