Netflix force les statistiques au nom de la tolérance dans son petit manuel Sex Education. Et oublie l’importance des sentiments.
Netflix diffuse gratuitement une brochure intitulée Le petit manuel du sexe en soutien de la série Sex Education, diffusée sur sa plateforme. Adèle Deuez a commenté la série en question et exprimé sa non adhésion à cette façon de vivre la sexualité pour la génération qui est la sienne. Je l’en remercie, elle m’évite de continuer à regarder plus que les premiers épisodes. Et je me suis donc plus consacré à l’étude du petit manuel du sexe.
L’intention de ce manuel est louable : apporter aux jeunes des informations pour les aider à vivre le mieux possible leur entrée dans la vie sexuelle. Beau projet !
Un beau projet déconnecté du réel
Il y a effectivement des descriptions physiologiques justes sur les appareils sexuels masculins et féminins, leurs sécrétions, leur comportement, avec des gravures drôles, une présentation amusante et moderne. Le style est « jeune », direct, utilisant le tutoiement, et des expressions parfois crues (parlons cul). Rien que l’on ne pourrait trouver ailleurs, mais le manuel va mettre en confiance ses lectrices et lecteurs qui seront ainsi plus facilement ouverts à l’aspect idéologique de ce manuel.
Et c’est là que se situe le danger : le manuel, comme la série télévisée qui lui est associée, véhicule une certaine représentation de la sexualité, conforme à une idéologie envahissante, et qui ne le dit pas : il donne des pistes sur une certaine manière d’avoir une sexualité épanouie, manière qui me semble très partiale, et pauvre.
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Le lecteur du manuel est instruit de la diversité des orientations sexuelles, et invité à prendre la sienne sans gêne. Très bien ! Inciter les jeunes à la tolérance en matière d’orientation sexuelle est louable. Pour illustrer cette bienveillance, le manuel nous montre six photos représentants deux personnes qui s’embrassent sur la bouche, quatre de ces couples sont constitués d’un homme et d’une femme (du moins c’est ce que laisse supposer leur pilosité) un de deux hommes et un de deux femmes, tous jeunes. Le lecteur peu averti peut donc penser que les baisers entre deux personnes concernent dans 66% des cas une femme et un homme, et pour les 34% restants des personnes de même sexe. Ce qui est loin de la réalité !
Le nombre de couples de même sexe est d’environ 0,9%. Le nombre de personnes ayant eu des rapports sexuels avec une personne de même sexe est de l’ordre de 5%, celles (des deux sexes) se déclarant homosexuelles moins nombreuses (1). On est très loin des 34%. Le manuel ne donne qu’une information tronquée.
Les dessous idéologiques
On retrouve la même manipulation de l’information concernant les personnes dont le genre est ambigu. C’est très bien de signaler que la bipartition de l’humanité en « garçons » et « filles » ne couvre pas tous les cas et qu’il faut rester tolérant envers ceux qui n’entrent pas dans ces deux catégories. Encore faudrait-il distinguer les ambiguïtés liées au sexe (corporelles), très rares, de celles liées au genre (psychologiques), plus difficiles à caractériser et rares également. Les hommes et les femmes dont le corps ne présente aucune ambiguïté sexuelle et qui se reconnaissent dans le genre associé forment plus de 99% de la population.
Les dessous idéologiques de ces affirmations, judicieusement planqués derrières d’autres pertinentes, sautent aux yeux. Il s’agit de promouvoir une identité sexuelle et une sexualité hors sol, hors corps, hors société, centrée uniquement sur la volonté de l’individu au moment présent, modifiable selon son humeur, et voulant s’abstraire de toute relation avec la nature, en particulier de la différence des sexes.
À un autre endroit, Le manuel se prend les pieds dans son propre tapis en déclarant : « La contraception, c’est ce qui permet d’avoir des rapports sexuels sans risquer une grossesse ». Tiens, tiens ! Tout d’un coup, on identifie de nouveau le « rapport sexuel » à « pénétration péno-vaginale » ? Oubliés les couples du même sexe, les trans, inter, etc. Oubliées les autres pratiques sexuelles, seul ou à plusieurs, abondamment décrites ! Est-ce un lapsus, le retour du refoulé, une manifestation de l’inconscient de l’auteur ? Ou est-ce simplement parce que l’écrasante majorité des hommes et des femmes aiment pratiquer cette pénétration et la considèrent comme le point d’orgue et l’acmé du rapport sexuel, n’en déplaise à nombre de bruyants militants du genre ?
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La leçon générale que je retiens, autant de la lecture du manuel que des quelques épisodes de la série que j’ai vus, c’est une vision de la sexualité technique, gymnique, hygiénique et idéologiquement codifiée. Elle est décrite comme une utilisation de certaines parties de son corps pour se procurer un plaisir immédiat, soit seul, soit avec un partenaire pour un jeu à deux. On s’assure du consentement comme on demande au partenaire de ping-pong s’il est prêt, et ensuite on fait des figures de gymnastique, en respectant certaines règles codifiées. C’est un jeu à deux où chacun est, consciemment et volontairement, un objet nécessaire à l’autre. Peu importe la personnalité du partenaire, son sexe, ce que l’on éprouve pour elle ou lui. On est dans un rapport de clientèle pour consommation d’un plaisir.
Netflix oublie une chose
Il manque un élément, pourtant essentiel à mon sens, c’est le sentiment qui lie deux partenaires humains, dans une relation sexuelle. C’est ce sentiment qui fait que le partenaire n’est pas seulement un objet nécessaire consentant, mais un sujet humain. Quand je parle de sentiment, je ne limite pas à l’amour passion tel qu’on le décrit dans les romans, ou à l’amour sage et conjugal de certains professeurs de morale. Il s’agit de la reconnaissance de l’autre en tant qu’humain unique, non remplaçable par un artefact, ou même par un autre humain. C’est le partage d’un moment fort d’humanité, dans l’union des corps et l’inter-pénétration des êtres : pendant que je fais l’amour avec toi, je t’appartiens un peu (ou beaucoup) et je te possède un peu (ou beaucoup, ou totalement). Ce n’est pas seulement ton corps, ou telle ou telle partie du corps en question qui m’attire, c’est ta personne. Ce qui se passe entre nous est unique et n’est pas un acte stéréotypé ou tu pourrais être remplacé par n’importe qui, ou n’importe quoi. Nous partageons cet acte parce que c’est toi, parce que c’est moi.
Je ne suis pas en train d’affirmer qu’il faut nécessairement être amoureux pour vivre une relation sexuelle, ni se promettre l’éternité, ce serait dommage. Je sais d’expérience, et surtout de par ce qu’ont bien voulu me confier les centaines de femmes et d’hommes – de tout âge, de toute orientation sexuelle – qui ont sollicité mon aide dans l’intimité de mon cabinet de sexologie, qu’il peut y avoir des rapports sexuels riches entre des partenaires non amoureux, et n’ayant pas le désir de vivre autre chose que la sexualité. Amour et désir sexuel ne font pas toujours bon ménage. Mais lorsqu’ils s’entendent, c’est quand même le top de ce que l’on peut vivre comme sensation. Le sentiment, en particulier le sentiment amoureux, est un puissant moteur de l’activité sexuelle. Ce n’est pas le seul, loin de là, mais il a l’avantage de durer.
La dimension sentimentale de la sexualité est passée sous silence dans le manuel. Et le seul beau sentiment que j’ai observé dans la série télévisée, est l’amitié liant les deux jeunes garçons qui, s’ils se parlent de leur sexualité, ne la partageront pas pour des raisons d’orientation sexuelle. On ne peut être plus explicite dans le message que transmettent la série comme le manuel : la sexualité n’est pas une affaire de sentiments. Si les jeunes suivent ce message qui s’adresse à eux, ils risquent de passer à côté d’une des plus extraordinaires expériences que l’être humain puisse vivre : faire l’amour avec amour.
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