Le dernier livre de Jean-Philippe Delsol revient sur cette passion bien française pour l’égalité, ou plutôt pour l’égalitarisme.
Par Francis Richard.
C’est le dévoiement de l’égalité qui oblige à faire l’éloge de l’inégalité.
Le dévoiement de l’égalité se nomme l’égalitarisme, qui a pour but ultime d’établir l’égalité absolue, c’est-à-dire l’égalité de condition, ce qui n’est guère vertueux puisqu’elle ne peut être obtenue – de manière utopique – que par la contrainte et des atteintes à la liberté et à la propriété.
Pour faire bonne mesure, Jean-Philippe Delsol ne se fait pas pour autant le défenseur absolu de l’inégalité, même si l’inégalité est naturelle et souvent efficace : elle est toujours nuisible quand elle est infondée et dès lors souvent excessive. Tout est justement question de mesure :
La bonne vie est dans la recherche d’équilibres toujours instables plutôt que d’imposer la mise en œuvre d’un modèle parfait et inaccessible.
L’envie
Quel est le moteur de l’égalitarisme ? L’envie (bien française), qui exprime la tristesse ressentie face à la possession par autrui d’un bien que l’envieux voudrait bien posséder à sa place, et la volonté de se l’approprier par tout moyen et à tout prix. Son contraire est l’admiration (bien anglo-saxonne)…
D’où vient cette envie d’égalité sans limites ? C’est la faute à Rousseau et à son imagination fertile. Il a en effet inventé la fable selon laquelle les Hommes, naturellement bons, auraient été dénaturés par la société : ce serait donc à elle d’œuvrer pour les rétablir dans ce paradis originel.
En sanctifiant l’égalité, Jean-Jacques Rousseau a suscité involontairement les atrocités commises au XXe siècle pour qu’advienne par la force ce rêve, bien vite devenu cauchemar, d’une société égalitaire, dont la Terreur de 1793 et la Vendée décimée auront été les prémisses…
La nature humaine
L’égalitarisme forcené se traduit aujourd’hui par la négation de la nature humaine et l’indifférenciation généralisée, jusqu’à l’égalisation des Hommes avec les mondes animaux et inertes, en leur accordant à tous des droits similaires, alors que le droit est une affaire exclusivement humaine :
La justice est propre aux Hommes, pas aux animaux, en ce sens qu’elle est ordonnée à leur fin […] Le droit est ce qui permet aux hommes de vivre en société.
Avec le transhumanisme, l’Homme serait tout aussi déshumanisé que par l’égalitarisme : on n’aurait finalement plus affaire à des personnes, mais à des produits. Ce qui ne devrait d’ailleurs pas déplaire aux égalitaristes puisqu’il serait enfin possible d’égaliser les humains en les chosifiant…
La liberté
Quant aux robots, ils ne seront jamais que des fabrications humaines, dénués de cette liberté qui est le propre de l’Homme, lui permettant d’être responsable et le distinguant du monde animal. Cela n’empêche pas certains de poser déjà la question de leur personnalité juridique…
À propos de liberté, l’auteur parle de son paradoxe :
La liberté fonde l’égalité d’agir par laquelle s’institue nécessairement l’inégalité sous le bénéfice de la capacité de penser et de faire qu’elle permet.
Il donne comme exemple l’échange égal (librement consenti), qui crée des richesses inégales.
Données chiffrées à l’appui, il montre qu’il y a davantage de croissance dans les pays où la redistribution et les dépenses publiques sont moindres, et que dans ces pays, la pauvreté recule sans que nécessairement les inégalités reculent pour autant. Mais l’important est moins l’inégalité que la pauvreté :
Les études les plus sérieuses montrent que la pauvreté régresse dans le monde en même temps que la liberté y progresse, et vice-versa le cas échéant.
La propriété
Un ferment de développement est la propriété qui est antinomique à l’égalité. C’est pourquoi les égalitaristes cherchent à la supprimer ou, à défaut, à exproprier par l’impôt. Or la propriété, c’est la liberté. De plus, elle est efficace parce qu’elle est naturelle à l’Homme et lui est essentielle :
La propriété coexiste à l’Homme, elle est constitutive de sa nature en ce sens que l’Homme est déjà propriétaire de lui-même, c’est-à-dire aussi responsable de lui-même ; en ce sens aussi que la propriété est l’outil de sa liberté, de son indépendance.
L’égalité en droit
L’égalité en droit est le moyen de permettre à chacun que toute sa dignité soit reconnue et d’exercer toute sa liberté, notamment celle de créer des richesses et des emplois : celui qui s’enrichit en vendant des produits ou des services à des consommateurs libres de lui acheter ou non, ne vole personne.
A contrario,
plus l’État est présent dans l’économie, plus l’autorité publique intervient dans l’allocation des ressources, plus le risque est grand que des connexions particulières permettent de bafouer l’égalité en droit en concédant des avantages particuliers à certains, en leur attribuant des droits préférentiels souvent monnayés au bénéfice de ceux qui délivrent les permis et autres autorisations nécessaires à l’exercice de telle ou telle activité.
Abordant le sujet de l’égalité des chances, l’auteur souligne qu’elle ne doit pas être instaurée au détriment de l’égalité en droit, mais plutôt et seulement en accompagnement de celle-ci. C’est pourquoi
ce n’est qu’à titre subsidiaire [que l’État] doit lui-même mettre en place les moyens d’accueil, d’accompagnement et de soin qui font défaut aux plus démunis et aux incapables avérés.
La condition humaine
L’Homme a à la fois un sentiment d’insuffisance et un désir d’élévation : la condition humaine est faite d’une commune misère de l’être insatisfait et d’une commune étincelle d’espérance. C’est pourquoi l’égalité fondamentale est celle de chacun dans la recherche de ses fins, elle est dans la liberté de chacun de combattre pour se réaliser.
La réalité est que
en chacun le mal le dispute en permanence au bien. Il reste pourtant possible de croire que l’espérance est dans la vocation de l’Homme à rechercher sans cesse ce qui l’élève dans son être, qui n’est ni la richesse ni le pouvoir, ni l’égalité ni l’inégalité, mais son chemin sans fin vers la Vérité à rechercher sans relâche pour dépasser les querelles et les infirmités de ce monde.
- Jean-Philippe Delsol, Éloge de l’inégalité, 214 pages, Manitoba.
source: https://www.contrepoints.org/2019/11/30/358860-eloge-inegalite-de-jean-philippe-delsol?utm
A méditer :
Alexandre Soljenitsyne 1978 : Les hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres ils ne seront pas égaux, et s’ils sont égaux c’est qu’ils ne sont pas libres !