« Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Sallèdes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme.
Par ces motifs : statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement, déboute le sieur Rougier de son action et le condamne aux dépens… ».
Cour d’appel de Riom, 1re chambre civile, 7 septembre 1995. Cet arrêté fait partie des plus connus de la jurisprudence française. Il faisait depuis 24 ans la joie des étudiants en droit qui le découvraient, hilares, en première année de licence. Mais leur rire s’est récemment transformé en rictus. Comme un symbole de la perte de plus en plus prégnante du sens commun, les procès à l’encontre d’animaux bruyants se sont multipliés, au point de devenir courants. Sans droit naturel dont l’interprétation s’arrête au seuil de la conscience individuelle, le droit positif est devenu absolu ; si la loi me permet quelque chose, c’est forcément bon moralement.
C’est pour cette raison que le droit privé voit se multiplier des procès aux motifs ahurissants, particulièrement en droit des troubles du voisinage.
Depuis 2011, un couple de Grignolais (Grignols, Gironde, son château, sa halle, son festival du chapon) se bat contre des voisins qui veulent les condamner à reboucher leur mare, au motif que les grenouilles sont trop bruyantes. S’ils rebouchent la mare, ils s’exposent à 150 000 euros d’amende à cause du Code de l’environnement. S’ils ne rebouchent pas, ce sont dommages et intérêts à verser pour nuisances. Si vous avez de l’argent et envie d’emmerder le monde pour votre confort égoïste, il y aura toujours un avocat pour vous aider. Dans la même série, un particulier a contacté un désinsectiseur pour qu’il extermine une population de cigales jugées trop bruyantes, à Ribérac en Dordogne. La gérante de l’entreprise a refusé tout net une telle mission, estimant que cette demande n’était pas éthique, se privant d’un gros chèque mais gardant sa conscience.
C’est ainsi que sur l’île d’Oléron, un coq nommé Maurice a été jugé trop bruyant par un couple qui n’habite même pas dans le village mais y possède une maison secondaire. Au procès, maître Papineau, défendeur des habitants attaqués, estime que « l’affaire doit se juger devant un apéro, pas devant vous, madame la présidente ». Il demande 1 000 euros de dommages et intérêts, précisant que cette somme ira aussi sec à la caisse des marins morts en mer. Le jugement est attendu pour le 5 septembre.
Pour éviter ces affaires grotesques qui encombrent des tribunaux déjà débordés et ne sont à l’honneur de personne, plusieurs initiatives fleurissent. Le maire d’un village du Gard a posé à l’entrée de sa commune un panneau « Attention village français » répertoriant les bruits auxquels seront exposés les visiteurs par ailleurs bienvenus : cloches de vaches, bêlements, aboiements et chants du coq. Une initiative qui a cartonné sur Internet. Un député LR souhaite faire un répertoire des bruits de la campagne pour les rendre inattaquables. Triste ? Oui. Mais quand on croit connaître la nature par les vidéos de petits cochons sur YouTube et les villages de Provence par les filtres d’Instagram, difficile de savoir ce qu’est vraiment la ruralité. Dans la fable de La Fontaine, le rat des villes interrompt son repas par crainte du bruit. Le rat des champs lui propose de venir manger plus tranquillement en sa demeure. Désormais le rat des villes veut imposer au rat des champs son mode de vie. Attention au retour du réel, comme le prophétisait Gustave Thibon.
Benoît Busonier
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