Algérie : qui est Ahmed Benbitour, l’ex-Premier ministre qui veut devenir président ?

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Après le vaste mouvement de contestation né le 22 février qui a conduit à la démission de l'ancien président Abdelaziz Bouteflika, l'Algérie vit actuellement une période de transition politique. Les élections présidentielles qui avaient été fixées au 4 juillet, selon ce que prévoyait la Constitution, ont été reportées sine die, sous la pression de la rue qui refuse que le scrutin soit organisé par les proches de l'ancien président.

Le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, est l'un d'entre eux. A la veille du seizième vendredi de mobilisation le 7 juin, il a appelé le 6 juin l'ensemble de la classe politique au dialogue afin d'arriver à un consensus autour de l'organisation de l'élection présidentielle.

Si aucune personnalité n'émerge comme une évidence pour représenter le mouvement de contestation, quelques têtes sortent cependant du lot et semblent plus ou moins s'attirer la sympathie des manifestants. Parmi elles, Ahmed Benbitour, 73 ans, ancien ministre dans cinq gouvernements consécutifs dans les années 90 et Premier ministre pendant huit mois lors du tout premier mandat de Bouteflika entre décembre 1999 et août 2000.

Economiste et fin connaisseur du monde de la finance, Ahmed Benbitour séduit l'intelligentsia algérienne qui loue son expérience et sa compétence. Interviewé le 29 mai par la radio Alger chaîne 3, il a annoncé son intention, si des élections transparentes étaient organisées, de se porter candidat à la présidence de la République.

Un avenir économique peu réjouissant

En attendant, Ahmed Benbitour sillonne le pays, présentant, lors de multiples conférences, ses propositions de réformes très austères. Et il annonce la couleur : selon lui, les personnes qui seront au pouvoir à partir de 2020 vont être obligées de «pratiquer une politique d'austérité».

Il explique qu'en Algérie, le budget de l'Etat est financé par la création monétaire. Bien que le pays soit exportateur d'hydrocarbure, sa balance commerciale est déficitaire. «Elle ne peut donc pas être financée par l'emprunt», note-t-il. Comme il lui est impossible de produire des devises, le pays puise dans sa réserve de change avec le risque, selon lui, que celle-ci soit épuisée d'ici à 2021. «On va donc devoir réduire les importations, ce qui conduira à des pénuries», prévoit Ahmed Benbitour, d'où l'obligation selon lui de pratiquer une politique d'austérité entre 2020 et 2024.

Dans cette perspective peu radieuse, il faudrait donc, de son point de vue, mettre en œuvre dès maintenant un «programme de communication important» pour expliquer et faire accepter aux Algériens que la «situation économique va devenir difficile et que des politiques d'austérité vont être une étape obligatoire». Il importe toutefois, selon lui, que cette période difficile soit bien vécue par la population, d'où la nécessité d'une «connivence» entre le peuple et les futurs tenants du pouvoir. «Cette période nécessite une grande compétence au niveau de la gestion des affaires publiques mais aussi un partage des efforts entre la population et le pouvoir», explique l'ancien Premier ministre.

L'austérité pour les pauvres ou pour les riches?

Selon Hicham Rouibah, chercheur en socio-économie à l'université d'Oran, cette politique d'austérité prônée par Ahmed Benbitour sera «dissuasive» et ne recueillera pas l'adhésion populaire. L'ancien Premier ministre prévoit notamment des réformes qui reposent sur «la création de pôles régionaux d’investissement» et «de banques d’affaires» qui vont financer les créations d'emploi. Mais Hicham Rouibah s'interroge : «Qu'en sera-t-il de la banque centrale algérienne ? Son programme semble vide de contrepartie pour l'Etat, ce qui conduira indéniablement à son affaiblissement».

Pour rééquilibrer l'assiette fiscale, l'austérité exige, selon le chercheur algérien, une justice sociale : «Monsieur Benbitour veut-il appliquer l'austérité aux frais des ménages modestes ? Quel niveau d'austérité ? Va-t-il mettre en place un système fiscal pour ponctionner les plus riches ?». De fait, au fil de ses discours, le futur candidat n'évoque jamais une éventuelle hausse d'impôts pour les plus riches. Il répète par contre à l'envi qu'il faudra préparer la population à se serrer la ceinture.

Un libéral sans idéologie ?

Par bien des aspects, Ahmed Benbitour fait figure de tenant d'un libéralisme assumé. «C'est un technocrate, compétent en économie, bon gestionnaire, c'est certain : mais ce qui me paraît plus inquiétant, c'est que c'est un libéral qui parle de privatisation des sociétés publiques défaillantes et de l'ouverture du marché», juge Hicham Rouibah.

Il fascine la classe intellectuelle parce qu'il a un langage scientifique mais je ne suis pas très sûr qu'il séduise les classes populaires

Le discours d'Ahmed Benbitour tranche par son absence de références idéologiques. Ni de gauche, ni de droite, les seuls modèles politiques qu'il évoque comme «très en avance sur la gestion des affaires publiques» sont la Nouvelle Zélande, les pays scandinaves, la Finlande, ou encore le Canada, où il a étudié. Sa formation en Amérique du nord et ses contacts avec les institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale lorsqu'il était ministre semblent, selon Hicham Rouibah, l'avoir convaincu des bienfaits de la politique libérale. «Même si je partage le fond de son analyse sur la situation économique, les solutions qu'il propose ne conviendront certainement pas aux Algériens», assure l'économiste.

En effet, dans un pays comme l'Algérie, biberonné depuis l'indépendance au discours tiers-mondiste, pro-palestinien, anticolonialiste, anti-impérialiste, la vision pragmatique de la politique économique d'Ahmed Benbitour, dénuée de conviction idéologique, constitue une véritable rupture. Si cet aspect peut avoir de quoi séduire, il est peu probable qu'il suscite un réel engouement populaire, d'autant que le programme de l'ex-Premier ministre semble faire fi des caractéristiques socio-culturelles de l'Algérie. Le pays, qui n'a jamais connu que l'Etat redistributif, est-il prêt à se lancer brutalement dans une libéralisation soudaine de son économie ?

«L'#Algérie 🇩🇿 doit créer son propre modèle démocratique»@chimo884#Bensalah

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— RT France (@RTenfrancais) 12 avril 2019

Investir dans les énergies renouvelables

Pour sortir de la dépendance de l'économie algérienne aux hydrocarbures, Ahmed Benbitour prévoit de nouvelles politiques en matière d'éducation, de tourisme et bien sûr d'énergie. Dans un monde qui se dirige vers les énergies renouvelables, l'ancien Premier ministre rappelle que l'Algérie affiche l'un des taux d'ensoleillement parmi les plus élevés au monde et des courants de vent permanents. Cela pourrait permettre de développer les énergies solaire et éolienne. Avec 1200 km de côtes maritimes, il compte également développer l'énergie hydrogène.

S'ils ne manquent pas d'attrait, ces programmes nécessitent, de son propre aveu, beaucoup de temps et d'expertise. En attendant, l'avenir immédiat que propose le futur candidat ne semble pas très réjouissant. Les millions d'Algériens sortis dans les rues depuis bientôt quatre mois pour exiger la fin du système politique incarné par l'ancien président rêvent de vivre mieux, en jouissant plus équitablement des richesses de leur pays. Seront-ils prêts à davantage de sacrifices, comme le leur propose Ahmed Benbitour ? Difficile à dire. Une seule chose semble certaine, selon Hicham Rouibah : maintenant que les Algériens ont réinvesti l'espace public, le prochain président devra compter sur cette nouvelle donne, car la contestation sera désormais plus régulière.

Meriem Laribi

Lire aussi : «On veut une autre façon de gouverner» : les Algériens déterminés à rester dans la rue

 

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