Réflexions sur la question antisémite, de Delphine Horvilleur

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France, tente de répondre à deux questions dans Réflexions sur la question antisémite:

- Comment les sages et les textes de la tradition interprètent-ils la colère dont ils font l'objet, et qui s'empare de l'autre de façon chronique?

- Existe-t-il une réflexion juive sur la question antisémite?

 

C'est dans le livre d'Esther qu'apparaît pour la première fois l'antisémitisme, cette forme particulière de racisme, dont le nom ne sera inventé qu'au XIXe siècle, en Allemagne.

Esther, fille adoptive et nièce de Mardochée, devenue l'épouse du roi Assuérus, va, avec l'aide de son oncle, empêcher l'extermination du peuple juif, fomentée par Haman, conseiller spécial du roi.

Mardochée est le premier Juif de l'Histoire et du texte. Avant lui, le peuple juif, cette nation portative, est désigné comme le peuple des Hébreux (hébreu veut dire qui traverse) ou le peuple d'Israël.

 

L'auteure remarque que Mardochée et Haman sont des descendants de frères jumeaux, Jacob (qui sera plus tard appelé Israël) et Esaü, des frères ennemis, qui ont partagé le même sac amniotique.

Dans le discours d'Haman, il y a déjà tous les reproches contradictoires qui seront faits aux Juifs tout au long de l'Histoire:

Un peuple perçu comme à la fois dispersé et à part, mêlé à tous et refusant de se mélanger, indiscernable mais non assimilable.

 

Ces reproches sur lesquels se fonde la haine à leur égard ne datent donc pas d'hier et les recherches de l'auteure aussi bien dans la Thora que dans le Talmud montrent leurs origines diverses:

 

- La transgression et le refoulement chez les descendants (antisémites) d'Esaü:

Haman est le descendant d'Amalek, qui lui-même est le petit-fils d'Esaü et le fils d'Elifaz et de Timna, qui serait la concubine et la fille de ce dernier, née d'une relation adultérine... et qui aurait été rejetée par les Hébreux:

Si la violence d'Amalek a pour origine une lignée violentée, les Juifs comme porteurs symboliques de la Loi seraient ceux qui constamment rappellent cette faute.

 

- L'opposition entre deux archétypes: Jacob et Esaü symbolisent respectivement la ruse et la force physique, le peut-être et l'abouti, le plus et le moins, la féminité et la virilité.

 

- Les relations successives entre les empereurs de Rome et les Juifs:

D'un côté, il y a un empereur [Antonin] qui, dans sa relation au monde juif, est prêt à se féminiser. De l'autre, un souverain [qui hait les Juifs] bien décidé à ne pas se laisser castrer par la présence d'un peuple juif qui menace son intégrité, ni par la parole d'un conseiller [Ketya Bar Shalom] qui se coupe de lui et d'une partie de son corps.

 

- Le choix des rabbins pour des modèles d'hommes partiellement vulnérables, souvent handicapés:

Aucun de ces hommes n'incarne une hyper-virilité, ou un masculin musculaire, mais chacun d'eux raconte la capacité de surmonter un handicap, et de faire preuve de résilience. Ces héros ne sont pas des femmes, mais ils partagent quelque chose de féminin dans le texte: une sorte de faille assumée, une impuissance particulière sur laquelle se fondent paradoxalement leur pouvoir d'action et leur légitimité.

 

- L'expression de peuple élu:

La notion d'élection juive sert souvent à nourrir le fantasme d'un Juif arrogant et sûr de sa puissance. Peu importe sa condition ou son état de vulnérabilité, il reste chargé du privilège qu'on lui prête, ou que l'on croit que son livre lui prête.

 

- Les Juifs pas-tout (comme les femmes, selon Lacan):

Les voix de la pensée juive affirment n'avoir rien entendu d'autre que de l'infini dans la parole d'un Dieu qui leur dit: "tout n'a pas été dit" mais "tout reste à dire". Elles disent que seule l'exception particulière peut protéger le formidable élan universel d'une folie totalitaire. Elles murmurent au monde ou à l'individu que la Vérité n'est jamais "toute" la Vérité. Elle est fragmentée ou alors elle est criminelle.

 

Les reproches contradictoires qui sont faits au Juif permettent-ils de le définir?

Je ne crois pas que mon judaïsme soit entièrement défini par ce que l'antisémitisme en a fait. Je ne crois pas être juive uniquement par ce que d'autres ont dit de moi. Mais s'il me fallait dire ce qui constitue l'essence authentique de ma judéité, son irréductible spécificité, son noyau dur libre de toute contingence historique, je serais bien en peine de le définir. Et cet indicible est peut-être la meilleure définition que je puisse en donner, l'authentique et impossible énoncé de ce que c'est d'être juif, de ce que c'est d'être soi.

 

Francis Richard

 

Réflexions sur la question antisémite, Delphine Horvilleur, 162 pages, Grasset

 

Source: Le Blog de Francis Richard

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