Thierry Portes, 18/12/2018
ENQUÊTE - *
Envoyé spécial à Bucarest (avec Paul Cozighian)
C'est avec lui que tout a commencé, et c'est avec lui que tout a continué. Ion Iliescu, l'homme qui a fait tomber le régime de Ceausescu en 1989, avant de garder tous les pouvoirs pendant une décennie, a légué à son pays une institution qui, aujourd'hui encore, structure la Roumanie et l'ancre, plus que ses autres voisins d'Europe de l'Est, dans le passé communiste: le Parti social-démocrate (PSD). Après plusieurs changements de nom, c'est ainsi que se nomme actuellement cette formation, bâtie sur le modèle des partis léninistes d'antan, avec cette même discipline permettant à ses dirigeants d'imposer leurs vues à leurs camarades, puis à une société et à un État fortement noyautés.
Depuis 1989, le PSD n'a lâché le pouvoir totalement que quatre ans, de 1996 à 2000, et en 2004 pour une autre période de trois ans, où il est toutefois demeuré la première force du Parlement de Bucarest. Cette formation aura ainsi dominé la Roumanie pendant 22 des 29 dernières années suivant la chute du mur de Berlin, après les 44 années de règne du parti communiste dont il est l'héritier! Et, contrairement à toutes les autres formations, qui ont parfois disparu, ce parti est parvenu à survivre dans l'opposition pour reprendre rapidement le pouvoir.
Sa victoire aux dernières législatives de décembre 2016 lui accorde, dans le régime parlementaire roumain, quasiment tous les pouvoirs jusqu'au prochain scrutin législatif prévu en 2020. Mais depuis 22 mois, une très large part de l'opinion, rassemblée dans des manifestations souvent amples, vilipende ce PSD qui a mis à mal l'institution judiciaire, et conspue son président, Liviu Dragnea, à l'origine des attaques contre les juges qui le poursuivent dans plusieurs enquêtes.
Alors que son chef pourrait se retrouver en prison avant la fin de cette mandature, ce parti, qui a récemment connu plusieurs départs et exclusions, risque ainsi d'arriver en fort mauvaise posture aux élections de 2020. Les divisions et craquements de son système politique sont à ce point manifestes qu'ils pourraient préparer sa défaite aux prochaines élections et, à plus long terme, éventuellement conduire à la remise en cause de son hégémonie sur la Roumanie.
«C'est une période difficile, confuse pour le parti, qui vit sa plus grave crise politique», reconnaît Ion Iliescu, lequel n'a manifestement guère d'estime pour Liviu Dragnea, dont «la position personnelle, avec ses problèmes juridiques, a créé des fractures internes» au PSD. Au départ, Ion Iliescu avait soutenu cette offensive contre les magistrats anticorruption qui ont fait tomber tant de responsables et d'élus du PSD, dont deux anciens premiers ministres. Lors des manifestations de masse de l'hiver 2017, il avait pris publiquement à partie le président de droite Klaus Iohannis, qui «au lieu de jouer le modérateur a incité la rue et provoqué cette anarchie». Mais la lutte s'est inexorablement transformée en un conflit personnel entre Liviu Dragnea et une institution judiciaire qui le poursuit dans trois affaires, l'ayant déjà condamné définitivement dans une première, pour fraude électorale, et plusieurs fois dans une deuxième, pour abus de pouvoir et emplois fictifs, où seul l'ultime appel n'a pas été délivré.
Comme bon nombre de membres du PSD, Ion Iliescu pense sans doute que son parti, pour se préserver, devrait tourner la page Dragnea. Dans le quartier cossu de Primaverii de Bucarest, où sa maison n'est séparée que par un jardin de l'édifice mis à la disposition de l'ancien président de la République qu'il fut, il ne veut toutefois pas trop s'avancer. Cultivé, d'une intelligence fine et pétillante, Ion Iliescu, 85 ans, préfère souligner la puissance de son héritage, notant, à juste titre, qu'aujourd'hui en Roumanie «il n'existe pas d'alternative, pas d'autre force capable de répondre aux besoins de la société» que le PSD.
«Ce parti, explique la professeure en sciences politiques de l'université de Bucarest Silvia Marton, a servi de matrice à tous les partis politiques roumains», qui sont issus du Front de salut national formé à la chute de Ceausescu. «C'est à partir de ce Front que tous les autres partis se sont fondés, et, ajoute-t-elle, tous ont tenté de copier le PSD, mais sans y parvenir, car il est à ce jour le seul parti structuré. C'est un parti léniniste, très discipliné, où le centre décide ; son organisation contrôle le territoire et il est entré dans les affaires lors de la privatisation des entreprises publiques. C'est un parti État, qui a la volonté de doubler tous les postes et tâches normalement remplis par des fonctionnaires.»
[...]
L'électorat captif du PSD, à l'origine plutôt rural et âgé, a peu à peu gagné les villes, jusqu'à Bucarest.
Évidemment, les liens entre le monde politique et celui des affaires expliquent que le PSD, qui a été au pouvoir plus que tous les autres partis, ait été le plus touché par les enquêtes anticorruption. Conséquemment, la future architecture politique de la Roumanie dépend en grande partie de l'issue de la bataille entre ce parti et les procureurs et les juges. Au-delà du PSD, c'est tout un système, avec ses ramifications dans quasiment toutes les formations de Roumanie, qui tente de se sauver des griffes de la Justice.
Toujours est-il qu'aujourd'hui la direction de ce parti, autour de son chef, impose ses choix au pays, malgré l'opposition d'un président de droite et celle de la rue. Et malgré les nombreuses critiques de l'Union européenne que la Roumanie, comble de l'ironie, va présider à compter du 1er janvier. Insensible à toutes ces critiques, Liviu Dragnea, dans son bureau de président de l'Assemblée nationale, réunit chaque semaine les membres influents de son parti et leurs camarades ministres pour fixer l'ordre du jour de la semaine à venir.
[...] Plus d'un an plus tard, fin septembre, il s'est joint au second chef de gouvernement de la mandature, à quelques ministres également démis, à la maire de Bucarest et à une poignée de hauts cadres du PSD, pour contester l'autorité de Liviu Dragnea. «Avec ses soucis pénaux, notre président a un énorme problème d'image, et le Parti aussi», explique l'un des frondeurs, Marian Neacsu. «Toutes les actions du gouvernement sont éclipsées par ce débat sur la Justice», poursuit-il, en estimant que «le PSD ne peut pas être en guerre avec toutes les institutions de l'État. Il serait peut-être temps que Liviu Dragnea se retire».
Marian Neacsu qui fut, comme secrétaire général, l'artisan de la victoire du PSD aux dernières législatives, sait que son parti doit au plus vite changer de cap pour ne pas risquer un naufrage électoral en 2020. Mais il n'est jamais bon d'avoir raison trop tôt. Surtout dans un parti à la discipline stalinienne. Marian Neacsu s'est fait exclure. La maire de Bucarest a préféré prendre les devants en rendant sa carte. Par des manœuvres d'appareil, Liviu Dragnea demeure, à ce jour, toujours maître du PSD, donc de la Roumanie. Le pays qui va bientôt prendre la présidence de l'Union européenne.
Je trouve ironique le fait que la Roumanie accueille des troupes de l’OTAN, pour soi-disant contrer les méchants russes post-communistes, alors que la Roumanie est elle-même restée réellement communiste et totalitaire, et que l’UE qui l’est devenue, préférant se couper de ce grand partenaire historique et naturel qu’est la Russie.
https://www.zeit-fragen.ch/fr/editions/2018/n-25-12-novembre-2018/le-mur-de-lotan.html
Je pense, donc je suis, que le “modèle dictatorial ” des eurocrates de l’UE est en fin de cycle , car cette gestion kafkaïenne de l’entité UE , est puissamment antidémocratique…! , même et surtout si la Roumanie compte sur Moscovici … (l’exfiltré en UE de François Hollande pour cause du scandale Cahuzac) .