Recep Erdogan a remporté haut la main les élections présidentielles de dimanche : avec 52,5% des voix, il est élu dès le premier tour, alors que l’opposition laissait entendre qu’il pourrait être battu, ou au moins mis en ballotage. Cette opposition est en fait très dispersée, sans chefs de file, et tiraillée entre ultra-islamistes et gauche laïque, sans parler de la dissidence kurde. Dans ce contexte, l’AKP, le parti de la justice, qui avait été créé par Erdogan lui-même, et organisé autour de sa personne, fait figure de parti central de la vie politique du pays.
Seuls les kurdes du HDP (parti démocrate du peuple) réalisent un score important, avec près de 12% des voix, recueillies dans les régions du sud-est à forte population kurde. Ce qui a permis l’élection de 68 députés.
Mais le bilan du scrutin est sans appel : Erdogan a réussi à attirer à lui l’électorat islamisant, pour ne pas dire islamiste, et aussi les nationalistes, souvent plus laïcs, voire d’inspiration socialiste. Son alliance électorale et politique avec le Parti d’Action Nationaliste (MHP), qui représente aujourd’hui 10% des voix, lui permet de présenter son gouvernement comme la synthèse parfaite des aspirations à la fois patriotiques et religieuses du peuple turc.
Erdogan est bien une sorte de nouveau Kemal Atatürk qui aurait su rallier à lui les conservateurs et les intégristes musulmans. Atatürk, le père des Turcs…
Il est de bon ton de fustiger l’autoritarisme d’Erdogan. Et il est vrai qu’à la suite d’une tentative de coup d’Etat, en 2016, le gouvernement a emprisonné 50 000 personnes, y compris des personnalités politiques de l’opposition, et prononcé des interdictions professionnelles à l’encontre de 100 000 ex-fonctionnaires. Mais il ne faut pas oublier qu’Erdogan lui-même, avant d’arriver au pouvoir, avait connu la prison, en 1998, pour avoir lu en public un texte de l’écrivain nationaliste Zyia Gökalp.
Et se souvenir aussi que l’épuration (non violente) d’Erdogan n’a rien à voir avec celle que pratiqua par exemple le gouvernement gaullo-communiste de l’après-guerre, ni même avec la répression gaulliste ayant suivi la tentative de putsch en Algérie, en 1961-1962 (assassinats légaux, des milliers de Français emprisonnés, des exilés célèbres comme Georges Bidault, ancien président du Conseil, ou Jacques Soustelle, ancien ministre, les régiments dissous et tous ces officiers et soldats jetés à la rue, sans parler du million de pieds noirs chassés de chez eux.
Les « loups gris »
La personnalité de l’épouse d’Erdogan jette une lumière assez crue sur le premier cercle des proches du chef de l’Etat. Elle a été une militante liée aux « loups gris », branche armée du Parti d’Action Nationaliste. Mehmet Ali Agca, l’homme qui tenta de tuer Jean-Paul II, était un « loup gris ».
Erdogan est incontestablement un patriote, désintéressé. Il a fait faire un bond économique considérable à son pays, et créé les conditions d’un renouveau de la fierté turque – exactement comme l’avait fait Kemal Atatürk . Mais sa proximité avec les islamistes et la thématique très antichrétienne et anti-arménienne de ces derniers font que, malgré son modernisme, il tourne de fait le dos à l’Europe. Cette Europe qui, il y a vingt ou trente ans, prévoyait son intégration. Mais l’hypothèse s’est éloignée, d’autant que l’Europe doute à présent d’elle-même.
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