L’Algérie abandonne-t-elle vraiment des migrants en plein désert ? (ENQUÊTE)

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Dans un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères publié le 24 mai, l'Algérie a rejeté les accusations de certaines ONG «qui mènent une campagne malveillante», l'accusant «à tort de faillir à ses obligations internationales en matière de solidarité, d’accueil et d’hospitalité à l’endroit de migrants  subsahariens». Interrogé par RT France, le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères, Abdelaziz Benali Cherif, s'est indigné de ces accusations «visant à porter atteinte à l'image de l'Algérie qui est résolument tournée vers l'Afrique». Le communiqué du ministère décrit à cet égard les relations de l'Algérie avec ses voisins du Sud comme «fortes et fondées sur la fraternité, le respect mutuel, la solidarité et la communauté de destin».

L'Algérie a en effet été accusée d'abandonner des migrants à sa frontière, dans le désert nigérien, par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), organe des Nations unies chargé notamment de fournir une assistance humanitaire aux migrants. Par ailleurs, le 22 mai, dans une note distribuée à la presse à Genève, le Haut commissariat aux droits de l'Homme (HCDH) de l'ONU a également appelé Alger «à cesser les expulsions collectives de migrants».

Lors d’un point de presse, Ravina Shamdasani, la porte-parole du HCDH, a déclaré que «l’expulsion collective des migrants, sans évaluation individuelle ou de garanties de procédure, [était] profondément alarmante et contraire aux obligations de l’Algérie en vertu du droit international des droits de l’homme, notamment la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, que l’Algérie a ratifiée».

Reconnaissant des expulsions, le ministère des Affaires étrangères algérien a néanmoins affirmé que «des mesures de reconduite à la frontière d’un certain nombre de migrants illégaux [avaient] été décidées et mises en œuvre en veillant au strict respect de la dignité et des droits humains des personnes concernées et en étroite concertation avec les Etats dont ils sont ressortissants».

Le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères, Abdelaziz Benali Cherif, assure que «toutes les opérations de rapatriement sont faites en accord avec les gouvernements des pays concernés et que la dignité des personnes est respectée». 

Opérations de ramassage de personnes noires ?

Cependant, les informations que nous avons pu recueillir auprès de migrants expulsés, d'intervenants sociaux et d'un responsable de l'OIM au Niger, parlent d'une tout autre réalité. Selon ces témoignages concordants, ces expulsions seraient devenues collectives et les autorités algériennes feraient preuve de peu de discernement.

Interrogé par RT France, Giuseppe Loprete, chef de mission à l'OIM au Niger, décrit une réalité autrement moins policée. Selon ce responsable, 10 000 personnes ont été expulsées d'Algérie vers les frontières nigériennes depuis octobre 2017. Parmi elles, fait très surprenant, se trouveraient également des réfugiés bénéficiant pourtant de la protection de l'Algérie.

D'autres personnes disposant également de permis de séjour en Algérie feraient partie des expulsés. Une situation ubuesque qui s'expliquerait par les méthodes qu'emploieraient les autorités algériennes. Ces personnes feraient en effet l'objet d'opérations de ramassage dans les grandes villes d'Algérie, le seul critère pour les identifier étant leur couleur de peau. Abdelaziz Benali Cherif dénonce de son côté une campagne calomnieuse : «Il suffit de se balader dans les rues d'Alger ou d'Oran pour se rendre compte que ces allégations sont fausses et que des hommes et des femmes de toutes les couleurs circulent librement dans le pays.»

Rumeurs ou stratégie de dissuasion?

Pourtant, selon les témoignages que nous avons recueillis, certaines personnes seraient arrêtées sur les chantiers dans lesquels elles travaillent, d'autres dans des boutiques tandis qu'elles font leurs courses ou tout simplement dans la rue.

Sur cette vidéo partagée sur facebook, on peut voir la gendarmerie algérienne intepeller des hommes sur un chantier, tandis que ces derniers interpellent un certain «Ali», leur patron sans doute.

Sans vérification d'identité, ils seraient ensuite transférés dans des centres où leurs empreintes digitales sont recueillies et où ils rencontrent des équipes du Croissant rouge, l'équivalent de la Croix rouge, pour recevoir des soins. Abdelaziz Benali Cherif dénonce une opération de stigmatisation de l'Algérie et assure que «toutes les vérifications d'identité sont évidemment faites dans les règles».

Les autorités algériennes leur indiqueraient de marcher dans une direction pour rejoindre Assamaka, première ville du Niger

Après leur passage au centre, les migrants seraient ensuite embarqués dans des bus en direction de Tamanrasset, ville de l'extrême sud algérien, où des convois les emmèneraient près de la frontière nigérienne et, au terme d'un long voyage, les abandonneraient en plein désert. «Selon leurs témoignages, les autorités algériennes leur indiqueraient de marcher dans une direction pour rejoindre Assamaka, première ville du Niger», nous raconte Giuseppe Loprete. «Il y a deux semaines, un convoi de 300 personnes est arrivé avec une femme morte à l'intérieur et deux enfants malades de la tuberculose», raconte-t-il.

 

Interpellant le gouvernement, des ONG et des militants algériens ont lancé un appel transformé en pétition intitulé «Nous sommes tous des migrants », dans lequel ils exigent notamment la mise en place d'un «cadre légal» sur le droit d'asile et sur la migration. Interrogé par RT France, Saïd Salhi, l'un des initiateurs de cet appel et vice-président de la ligue algérienne des droits de l'homme, explique que le pays n'est pas doté d'une législation en matière d'asile : «Nous demandons un débat sérieux sur la question des migrants et la promulgation d'une loi asile pour arrêter les abus qu’entraîne le manque de cadre légal sur ces questions.» Le militant des droits de l'homme dénonce également une opacité dans l'information communiquée par le gouvernement algérien.

La sécurité du territoire en question

L'appel lancé par Saïd Salhi dénonce l'amalgame entre la lutte légitime contre le trafic et le terrorisme et le traitement des migrants par les autorités algériennes : «Le gouvernement nous oppose l'argument sécuritaire, or on ne lui dénie pas sa mission de protection mais celle-ci ne saurait justifier un traitement inapproprié des migrants.» Pour Faten Hayed, journaliste au quotidien algérien El Watan et auteur de nombreux reportages sur ces questions, l'argument sécuritaire n'est pas à banaliser : «L'Algérie fait réellement face à un flux d'entrées illégales sur son territoire et en tant qu'Etat souverain a le droit de prendre les dispositions nécessaires pour reconduire à la frontière ces individus».

De plus, selon la journaliste, certains groupes qui s'introduisent sur le territoire algérien ne sont pas tous des migrants, loin s'en faut : «D’après nos sources, il y a parmi ces personnes des gens qui ne sont pas en détresse et qui n'ont pas de bonnes intentions. Il peut y avoir des terroristes, et le trafic des humains est un commerce qui se pratique au détriment de ces populations déplacées.» Mais Faten Hayed n'en est pas moins critique de la manière dont le gouvernement algérien traite les migrants sans distinction : «Parmi les gens qui franchissent la frontière il y a de vrais demandeurs d'asile et ceux-là ne reçoivent pas toujours un traitement digne de la part des autorités. Ceci est dû au vide juridique auquel ils sont confrontés.»

Le pays fait face à un afflux de réseaux criminels de grande ampleur

Engagée, la journaliste défend la libre circulation des personnes. Pour elle, la mobilité devrait être un droit fondamental : «Toute personne, migrante ou réfugiée, a le droit de vouloir changer de vie.» Abdelaziz Benali Cherif confirme que «le pays fait face à un afflux de réseaux criminels de grande ampleur» et selon lui, «les ONG qui stigmatisent l'Algérie ne s'intéressent pas à la sécurité du pays».

Dans son communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères considérait que le problème des migrants était à résoudre à la source : «C’est en traitant avec diligence les causes qui sont à l’origine de l’exil de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, et en luttant avec détermination contre les réseaux de passeurs qui exploitent la détresse humaine de ces migrants et s’adonnent à la traite des personnes, que le phénomène de la migration irrégulière pourra être efficacement jugulé». Cependant, selon Saïd Salhi, le gouvernement refuse de coopérer avec les ONG, rendant leur travail sur le terrain d'autant plus difficile, notamment dans les zones désertiques, particulièrement dangereuses.

Lire aussi : «L’Algérie ne se soumet à aucune partie» : face à l'Union européenne, Alger durcit le ton

 

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