Initiative «No Billag»: la roue de l’infortune
Nicolas Capt, avocat aux Barreaux de Genève et de Paris,
Publié dimanche 18 février 2018
OPINION. Sans le travail des médias, dont la SSR, les fils des réseaux sociaux ne seraient que selfies, offres commerciales et manipulation des masses, estime Nicolas Capt.
Alors que le peuple s’apprête à se prononcer, une mise au point s’impose pour redonner de la lisibilité à un objet dévoyé par les coquecigrues des initiants. […]
L’intitulé même de l’initiative est trompeur puisqu’il laisse entendre à celui qui n’approfondirait pas le sujet – […]
Il joue d’un non-dit et fait sien un inconscient collectif, celui de la mauvaise réputation de cette entité auprès du public. Dans le texte de l’initiative, pourtant, pas un mot du méchant percepteur.
Texte cristallin
Le texte est en revanche cristallin: il supprime la redevance et démantèle l’audiovisuel public en interdisant toute autre forme de financement public. Parvenus à ce point de la discussion, les satrapes de l’initiative déroulent un argumentaire huilé comme une machine à Tinguely […] et, de toute façon, c’est bien connu, la jeune génération ne s’informe que sur Internet.
Eh bien justement, le voilà le problème. La jeune génération, qui, si l’on en croit l’image d’Epinal véhiculée par certains initiants, se féliciterait de ne pas porter de cravate par défiance à l’égard d’aînés vus comme des vieillards cacochymes seuls attachés à l’antique lucarne, s’informe sur Internet. Un réseau que les initiants, soit dit en passant, ont parfois présenté comme un média en tant que tel. Confondre le tuyau et le contenu fait frémir et rappelle que la maîtrise des interfaces prêtée aux millennials ne garantit pas la compréhension de mécanismes de fond.
Angélisme préoccupant
[... ] Sans ce travail coûteux et professionnel, les fils des réseaux sociaux ne seraient que selfies, offres commerciales et manipulation des masses. C’est là l’un des biais de raisonnement de l’initiative: la population dit apprécier la qualité des programmes de la SSR mais, dans le même temps, les initiants prétendent qu’il faut laisser agir les forces du marché.
[…] Traiter l’information comme une vulgaire marchandise, en la livrant aux seules forces du marché, n’est pas sérieux. On connaît les effets pervers sur les médias des concentrations imposées par des logiques financières.
Préservation des acquis
[…] l’argument selon lequel la SSR pourrait se financer au moyen de la publicité est une hérésie. […] De quoi provoquer des larmes lorsque la population se rendra compte, si l’initiative devait aboutir, que la mire a remplacé le 19:30.
Après l’élection de Trump et l’acceptation du Brexit, toutes deux vues comme des trains fantômes qui ne passeraient pas la barrière de la réalité, le temps est venu pour la population de préserver ses acquis. Le droit pour la population d’être informée par un service public fort et indépendant n’est pas le dernier d’entre eux, loin s’en faut.
Nicolas Capt est un spécialiste reconnu en droit des médias et des technologies.
Nicolas Capt est également spécialisé en droit, criminalité et sécurité des nouvelles technologies.
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