Depuis 2000 ans, la construction européenne s’est faite, ou défaite, sur l’enjeu de ses frontières intérieures, aux conflits multiples et permanents. Les tentatives impériales hégémoniques (Charlemagne, Saint Empire romain germanique, Empire Austro-Hongrois, Napoléon, Hitler) et celles d’une « république chrétienne » papale supranationale jusqu’à la Renaissance, ont toutes échoué après des guerres sanglantes et dévastatrices. Mais cela permet de constater la permanence d’un idéal européen très ancien, tendant à prouver l’existence d’une communauté qui contient autant de divergences que de facteurs d’unité. Mais les divergences relèvent de la recherche de pouvoirs individuels locaux et donc antagonistes, ainsi que d’intérêts économiques des coteries de tous les âges. Tandis que les facteurs d’unité sont charnels, civilisationnels, d’un niveau supérieur qui détermine le devenir des peuples européens, leur sécurité et leur puissance face aux dangers des convoitises extérieures ancestrales.
Ainsi les frontières intra-européennes ont toujours été mouvantes, incertaines, manipulées en fonction des intérêts immédiats. Mais les vrais dangers vitaux sont toujours aussi venus de l’extérieur en réalité : grandes invasions asiatiques ; Islam expansionniste du 8e au 17e siècle, de Tarik en 711 jusqu’au dernier siège de Vienne ; Mongols du 13e au 15e siècle ; fin du colonialisme qui a déclenché les masses migratoires africaines et nord-africaines depuis les années soixante, pour ne citer que quelques repères de la vulnérabilité de l’Europe. Déjà les Grecs devaient au 5e siècle av. JC lutter contre la déferlante perse et livrer la bataille des Thermopyles, véritable symbole éternel de la défense de l’Europe.
Or, la question des frontières intra-européennes, réglée « subtilement » à Yalta en 1945, revient en force dans le débat européen tout en servant un antagonisme euro-russe entretenu par les élites européennes. Le droit d’ingérence politique et moral que se sont adjugées définitivement les démocraties européistes, leur permet de porter des jugements de valeurs sur Vladimir Poutine et de jouer les censeurs contre la Russie, comme d’ailleurs avec le reste du monde (sauf la Chine bien sûr). L’Occident peut, entre autres, mettre à feu et à sang l’Irak, la Libye, la Syrie, avec la bénédiction au moins partielle de l’ONU, mais la Russie est un pays criminel lorsqu’elle garantit ses frontières en Géorgie (2008), récupère la Crimée ou soutient l’Ukraine russophone depuis 2014. Ce « deux poids deux mesures » est devenu intolérable pour de nombreux peuples dans le monde et notamment pour la Russie, dont en outre le sentiment d’encerclement insidieux fait réagir ses dirigeants, après quinze années de « récupération » de l’implosion de l’URSS. En 1991 le traité de Minsk imposait à la nouvelle Russie fragilisée le respect des nouvelles frontières nées de son éclatement. Toujours à Minsk, les protocoles de Minsk 1 et 2 (2014 et 2015) garantissaient les frontières de l’Ukraine par l’UE avec le succès qu’on connaît…
Pourtant l’Occident a tout fait pour garantir les frontières qui l’arrangent : l’article 2 paragraphe 4 de la Charte de l’ONU (1945) fonde le principe de l’inviolabilité des frontières. En 1970 et 1974, deux résolutions de l’ONU anticipent la « guerre hybride », nouvelle forme de guerre souterraine de plus en plus répandue récemment, menée par des bandes armées par des États ou des militaires sans uniforme.
La Conférence d’Helsinki en 1975 organise le respect des frontières en Europe et donne naissance à l’OSCE dont la Russie est membre. Le mémorandum de Budapest en décembre 1994 permet la dénucléarisation de l’Ukraine contre la garantie expresse de ses frontières. Conclu entre la Russie, les USA, le Royaume Uni et l’Ukraine, la France et la Chine en sont les « garants » ! La même année le traité de Schengen entre en vigueur… Frontières, frontières ? L’Histoire connaît de curieux télescopages.
Mais alors, comment analyser les guerres interminables des Balkans ? Respect de quelles frontières ou « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ? Les deux notions seraient donc incompatibles ou fluctuantes selon l’idéologie des élites européennes ? Le Kosovo autoproclamé et confirmé par la Cour internationale de justice ? Mais la CIJ participe à l’idéologie dominante, alors « deux poids deux mesures » encore ?
Lorsque Nikita Khrouchtchev fait don de la Crimée à l’Ukraine d’un trait de plume, l’Ukraine n’est qu’une République de l’URSS et le geste n’est que symbolique. Khrouchtchev fait un cadeau de mémoire historique à l’Ukraine. Petit geste anodin un jour, grandes conséquences politiques après 1991, lorsque l’Ukraine devient indépendante de la Russie. Il n’en reste pas moins que la Crimée, comme l’est de l’Ukraine sont russophones et souhaitent leur retour à la Russie. Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, respect des frontières, prétexte de conflit entre l’UE et la Russie ? Tout s’entrechoque dans un brouillon inextricable qui n’est que l’expression de visées politiques idéologiques de l’UE. Idéologies de plus en plus dangereuses pour les peuples européens et russe.
Tous ces allers et retours sur fondements d’idéologie économico-financiaro-droits-de-l’hommienne amènent à reposer la question des frontières inutiles et porteuses de conflits terribles, hier comme aujourd’hui. L’Europe de la paix et donc de sa défense repose sur l’union des peuples européens qui seule peut garantir leur devenir et leurs valeurs. Une union jusqu’à l’Oural ou en tout cas porteuse d’accords de coopération solides avec la Russie. Une Europe qui transgresse enfin les intérêts locaux dépassés au bénéfice de ses intérêts vitaux et civilisationnels. Une véritable révolution ou une utopie ?
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.Cet article La question des frontières intra-européennes est apparu en premier sur Eurolibertés.
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