Dans «Le martyre des chrétiens d’Orient ; portraits et témoignages», aux éditions Calmann-Lévy, le reporter Frédéric Pons donne la parole aux populations chrétiennes persécutées notamment par l'Etat islamique.
Familier du Moyen-Orient, le grand reporter Frédéric Pons a parcouru, tel un pèlerin en quête de vérité, cette vaste région en guerre pour décrire «le premier génocide du XXI siècle». Pour cela, il rappelle le dernier rapport d’Amnesty International qui cite avec précision les enlèvements, les cas de torture, les exécutions sommaires et «les crimes de guerre » imputables aux groupes armés islamistes. Et ceux accompagnés de «crimes contre l’humanité commis à grande échelle par les forces gouvernementales syriennes». «La nouveauté, écrit-il, n’est pas dans cet acte d’accusation contre le régime syrien, maintes fois dressé depuis mars 2011, mais dans la mise en cause des groupes rebelles eux-mêmes». On les croyait «modérés. On les découvre barbares». Leur soutien ? «Gouvernements et associations islamistes basés au Qatar, en Arabie Saoudite, en Turquie, avec la bienveillance des Etats-Unis».
Daech a mis en place une politique d’extermination comparable à celle des nazis
Pons rappelle «qu’il aura fallu presque deux ans pour que la communauté internationale prenne conscience de la réalité de cette extermination des chrétiens d’Orient, pour qu’elle entende ce terme de «génocide». C‘est d’ailleurs le titre d’un autre rapport de deux ONG américaines remis en mars 2016 à l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry. «On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas» s’insurge justement Frédéric Pons. Massacres de masse, assassinats ciblés, viols, réduction en esclavage, déplacements forcés, enlèvements, séparations brutales entre hommes et femmes, blessures, incendies, vols. «Daech a violé des centaines et probablement des milliers de femmes chrétiennes, endommageant de manière permanente leurs organes reproducteurs ou les laissant enceintes des œuvres de leurs ravisseurs», souligne le rapporteur.
«Ils dressent aussi la liste de 126 églises attaquées, et celle, nominative, des 1131 chrétiens assassinés jusqu’en 2014. Est cité le père catholique Patrick Dubois, petit fils de déporté, spécialiste des crimes de masse contre les Juifs en Ukraine commis par l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale. Pour lui, «Daech a mis en place une politique d’extermination comparable à celle des nazis. C'est un génocide au regard des lois qui relèvent du traité de Rome. Les bébés sont parfois arrachés à leurs mères dès l’accouchement. On leur dit qu’ils vont être adoptés par des familles musulmanes» Le but : qu’ils deviennent des enfants soldats. Quant aux jeunes filles enlevées, «les chefs de Daech choisissent les plus jolies après avoir vérifié leur virginité, pour les garder ou les revendre : 60 euros environ pour une femme de 30-40 ans, 160 euros pour une enfant de 1 à 9 ans , chrétienne ou yézidie». Une minorité, d’à peine 600000 personnes, non musulmane, vieille de plus de 7700 ans accusée de polythéisme par les islamistes qui n’acceptent pas que d’autres religions aient existé avant l’Islam.
La France aveuglée par son partenariat avec le Qatar et l'Arabie saoudite
Frédéric Pons cite le témoignage d’une député yézidie qui reçoit parfois des appels terribles de captives, ayant pu disposer d’un téléphone un court moment. «J’ai été violée 30 fois ce matin raconte l’une d’elles…», «s’il vous plaît, bombardez-nous», implore une autre. Grâce aux témoignages recueillis sur le terrain, l’écrivain nous fait mieux comprendre à travers leur quotidien le calvaire des chrétiens d’Orient. «Les musulmans nous qualifient depuis toujours de Nassirya, de Nazaréens, raconte Toma. C’est un terme insultant dans leur esprit». Malgré les promesses, environ 3600 visas ont été seulement accordés, avec des tracas administratifs dès l’arrivée à Roissy. «Les migrants clandestins musulmans venus de Syrie, de Somalie ou d’Afghanistan ont été mieux traités que nous confie Omar. Mais on a compris qu’à côté de la France officielle, il y avait des Français. Nous en avons rencontré qui nous ont tellement aidés».
Fin connaisseur de cet Orient compliqué, Pons n’élude aucune responsabilité malgré «la chanson de geste» officielle dispensée aujourd’hui. «L’échec américain et européen a démontré que les bons sentiments ne font pas une bonne politique. La morale ou l’émotion médiatique n’a rien à faire avec la géopolitique et la stratégie, souligne l’auteur. Pour avoir ignoré les facteurs immatériels et spirituels, pour avoir négligé la longue évolution historique de ces terres de vieilles civilisations, pour avoir méprisé les peuples, les décideurs occidentaux portent une immense part de responsabilité dans le malheur des pays arabo-musulmans, et donc dans le calvaire des chrétiens d’Orient». Les gouvernements français ne sont pas épargnés. «Scotchée aux analyses de Washington, liée de façon outrancière à son partenariat commercial et financier avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, la France de Sarkozy et de Hollande a d’emblée pris le parti de l’opposition armée».
Persuadée de la faiblesse du régime Assad, elle a fait de sa chute sa priorité… La France a longtemps nié le vrai visage des groupes armés, a ignoré la montée en puissance politique et militaire de la Russie et a négligé son rôle traditionnel de protection des chrétiens d’Orient». Au passage, Pons rappelle que si les chrétiens ne sont pas les seuls à souffrir de persécution religieuse dans le monde , «ils représentent les ¾ des victimes pour motifs religieux : 200 millions d’entre eux ne peuvent pas vivre librement leur foi dans une soixantaine de pays, et plus de 100000 chrétiens sont tués chaque année à cause de leur foi. Cette christianophobie mondialisée tue ainsi un peu plus de 270 chrétiens chaque jour».
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