Michel Garroté - Dans L'Express, Clément Daniez explique que la libération de Mossoul, en Irak, des mains du groupe Etat islamique n'est plus qu'une question de mois. Pardon et désolé pour Clément Daniez, mais ça me fait sourire, car ça fait des années qu'on nous parle de la libération de Mossoul dans quelques mois...
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De son côté, Arthur Quesnay, chercheur interrogé par L'Express, constate que les acteurs impliqués, s'opposent en revanche quant à l'avenir politique de la grande cité du nord de l'Irak.
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Après avoir libéré en trois mois la partie est de Mossoul, les forces irakiennes viennent de débuter leur vaste offensive sur la parti ouest, tenue par le groupe Etat islamique. Après une éventuelle victoire sur Daech, il va falloir mettre en branle la reconstruction administrative et politique de la région.
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Arthur Quesnay, co-auteur de "Syrie, Anatomie d'une guerre" (CNRS Editions), doctorant en science politique (Paris-1, Panthéon Sorbonne) et membre du think tank Noria, étudie depuis plusieurs années les structures politiques de la région et continue de s'y rendre. Il fait le point pour L'Express sur la précarité de la situation et l'absence de perspectives claires pour les Mossouliotes (extraits adaptés ; voir l'interview ci-dessous et voir le lien vers la source en bas de page).
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Clément Daniez pour L'Express : Que sait-on des pertes et de la situation dans les territoires libérés de Mossoul ?
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Arthur Quesnay : On n'a pas de comptabilité exacte. Mais les hôpitaux kurdes irakiens auraient accueilli 28 000 civils de Mossoul. Il y a officiellement 80 000 hommes déployés pour la bataille, mais les Peshmergas Kurdes n'ont pas le droit de mettre un pied dans la ville. Les célèbres forces anti-terroristes [ICTS], qui ont déployés 3000 personnes dans la bataille, ont essuyé environ 30% de pertes. Seules quelques unités de l'armée irakienne, très faible, combattent. Il n'y a pas assez de troupes pour tenir la ville, sachant que Mossoul est immense. Des milices chiites patrouillent en tant que police fédérale. Certaines pratiquent le racket et le vol. Elles tiennent la ville de façon très précaire, livrée à elle-même la nuit après repli dans leurs bases. Le risque est que les forces de la reconquête se transforment en force d'occupation aux yeux de la population.
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Clément Daniez : Le terreau semble propice à un retour de Daech ?
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Arthur Quesnay : Il y a des informations sur la mise en place des barrages dans l'est de Mossoul par Daech, qui filtrerait la population et exécuterait des personnes accusées de collaboration avec l'armée. L'EI reprend une stratégie d'attentats pour pousser l'armée irakienne à se retrancher dans ses bases et redevenir une force d'occupation militaire sans contact avec la population comme lors de la chute de la ville en 2014.
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Clément Daniez : La coalition internationale esquisse la mise en place d'une plus grande autonomie dans la gestion politique de la province. Où en est-on ?
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Arthur Quesnay : Certains acteurs veulent la division du gouvernorat de Mossoul en trois. Un gouvernorat chrétien dans le Nord de la plaine de Ninive, région qui n'est pourtant pas majoritairement chrétienne. Un gouvernorat sunnite sur la ville de Mossoul, qui comptait beaucoup de Yézidis, de chrétiens et de minorités qui cohabitaient. Un gouvernorat sur le Sinjar ensuite, qui comptait avant la guerre 30% d'arabes sunnites qui ne reviendront a priori pas, du fait de l'opposition yézidie. Bagdad s'oppose à une autonomisation du gouvernorat de Mossoul qui ouvrirait celle de Bassora, dans le Sud. Il y a également le problème de Kirkouk, revendiqué par les Kurdes. Il y a eu des négociations sur la façon de reprendre militairement la ville, mais ces questions politiques ne sont pas tranchées.
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Clément Daniez : Quels sont les objectifs actuels, par défaut ?
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Arthur Quesnay : Il s'agit de contrôler un territoire pour s'imposer dans des négociations. Tout le monde s'investit dans une stratégie sécuritaire et absolument pas dans la reconstruction de la ville ou l'assistance aux populations, déléguée aux ONG et à l'ONU. Le conseil du gouvernorat de Mossoul n'est absolument pas actif comme il devrait l'être. La mise en place de l'eau, de l'électricité et d'autres services n'est pas encore d'actualité.
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Clément Daniez : Que reste-t-il des structures administratives datant d'avant la prise de la ville par l'Etat islamique en juin 2014 ?
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Arthur Quesnay : Bagdad a nommé un nouveau gouverneur qui n'est pas sur le terrain. L'ancien gouverneur est recherché par Bagdad et ne pourra pas retourner à Mossoul. L'ancien appareil administratif de Mossoul est principalement réfugié au Kurdistan irakien. Le PDK [parti politique du président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani] avec le soutien de la Turquie, essaye de réorganiser ces anciens fonctionnaires pour les réimplanter dans la ville, mais a besoin du feu vert de Bagdad. Le PDK et la Turquie soutiennent également une force de 3000 combattants arabes sunnites, mais celle-ci n'a pas l'autorisation de Bagdad pour pénétrer dans Mossoul.
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Clément Daniez : Quel rôle joue la Turquie dans l'équation ?
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Arthur Quesnay : La Turquie essaye de se redéployer dans la ville. Ses services de renseignements y sont très présents et tentent de débusquer les anciens cadres de l'Etat islamique ou ceux d'anciens groupes de l'insurrection comme les Naqshbandi, qui se prévalent d'un fort contrôle sur Mossoul. C'est une ville symbolique pour elle, traditionnellement pro-turque. On y trouvait un consulat turc avant sa chute.
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Clément Daniez : Les Etats-Unis plaident pour la création de milices tribales sunnites armées. Est-ce l'unique solution pour empêcher le retour de Daech ?
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Arthur Quesnay : Difficile à dire. Plus il y a d'acteurs militaires dans la bataille de Mossoul, plus grand sont les risques d'affrontement entre eux. Les listes de combattants arabes sunnites locaux sont prêtes depuis presque un an. Mais le seul territoire sur lequel les Etats-Unis peut rassembler ces forces et les entraîner est celui du PDK, les Kurdes de Barzani. Soit les premiers opposants à la stratégie tribale américaine, qu'il considère comme une menace sur le long terme.
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Clément Daniez : Que reproche le PDK aux Etats-Unis ?
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Arthur Quesnay : D'avoir entraîné le PKK en Syrie [le PYD syrien et ses branches armées ont été structurés par le PKK dès le début de la guerre civile] et d'en avoir fait un acteur militaire puissant, qui a relancé l'insurrection contre les autorités de Turquie. Ils possèdent depuis longtemps des bases dans les montagnes irakiennes. Mais ils sont en train de s'implanter sur les lignes de front de l'Etat islamique, notamment dans les zones tenues autrefois par le PDK, comme le Sinjar, ou celles tenues par l'UPK [parti rival implanté à l'Est du Kurdistan irakien]. 1500 hommes de la milice yézidie du PKK, dans le Sinjar, sont payés par Bagdad au même titre que les milices chiites, avec lesquelles elles s'entendent. Le PDK craint que le PKK utilise cette alliance pour venir s'installer dans les quartiers kurdes de Mossoul, majoritairement yézidis. La Turquie a également tracé des lignes rouges très claires: elle n'hésitera pas à bombarder le Sinjar si le PKK s'y renforce (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Introduction & Adaptation de Michel Garroté pour https://lesobservateurs.ch/
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http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/mossoul-apres-la-reconquete-une-nouvelle-occupation_1882394.html
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Et vous, qu'en pensez vous ?