Gabriel Martinez-Gros «La violence de Daech se nourrit de notre désarmement»

A partir d’une analyse des empires, l’historien montre comment une société majoritaire et pacifiée peut être débordée et mise en péril par des minorités violentes.

Regarder la violence jihadiste sous un autre angle. C’est ce que propose Gabriel Martinez-Gros, professeur d’histoire de l’islam médiéval à l’université de Nanterre. Dans Fascination du jihad - fureurs islamiste et défaite de la paix qui vient de sortir aux PUF, c’est à la lumière du désarmement des sociétés occidentales qu’il examine le phénomène. Et souligne qu’il est dangereux d’ignorer le poids de la religion dans la radicalisation.

Pourquoi le jihad exerce-t-il une si grande fascination sur les jeunes ?

La violence du jihad ne fascine que parce que nos sociétés occidentales, qui avaient l’habitude depuis les révolutions française et américaine, de proposer ou d’imposer les valeurs fondamentales du monde, n’en sont plus capables aujourd’hui. C’est par contraste avec la non-violence et le désarmement de nos sociétés qu’il faut analyser l’extrême violence des minorités au Proche-Orient comme en Amérique latine. Il ne faut pas hésiter à penser, même si c’est douloureux, que c’est la non-violence absolue des majorités qui ouvre la voie à la violence des minorités. La violence jihadiste est un cas particulier qui a pour avantage de se fonder sur un discours cohérent dont ne disposent pas les autres groupes violents. Et ce discours prospère d’autant plus qu’il s’oppose de façon virulente avec le propos pacificateur des écoles et des médias. Le jihadisme rompt avec la morale des masses et se renforce de l’aversion qu’il suscite dans la majorité de la population.

Si l’on suit la théorie d’Ibn Khaldoun, les jihadistes pourraient prendre le pouvoir ?

Oui, à long terme, si le jihadisme devait durer. Plus certainement, une force née dans les marges s’imposera à notre société si son désarmement devait être poussé à son achèvement. C’est nous qui sommes malades, nous qui sommes en train de quitter le monde des citoyens en armes que les révolutions française ou américaine avaient institué. Les marges ne font que tirer profit de notre faiblesse et l’actuelle évolution historique tend à nourrir cette faiblesse.

Vous réfutez l’idée d’Olivier Roy selon laquelle le jihadisme est «une islamisation de la radicalité». Est-ce à dire que la religion musulmane est en cause ?

Si les causes sociales de l’engagement jihadiste existent, on ne peut pas renier totalement l’influence de l’islam. Quand j’entends l’argument que certains jihadistes ont à peine lu le Coran, cela ne tient pas la route : on ne demandait pas aux militants communistes s’ils avaient tous lule Capital. Et puis, imaginerait-on de décrire le nazisme comme «une radicalité de petits commerçants ruinés», en oubliant la hiérarchisation des races ou l’extermination des Juifs ? Tout étudiant en sciences humaines sait qu’il est impossible d’analyser un phénomène en dehors des mots dans lesquels il se donne, surtout quand ces mots sont aussi lourds et dangereux que ceux du jihadisme.

Le choix de l’islam, effectué par des millions de militants dans le monde n’est ni fortuit ni superficiel. Ils auraient pu choisir une autre cause, le gauchisme ou l’écologie, mais ils se sont tournés vers l’islam. Ce n’est donc pas seulement une violence habillée d’une foi. Contrairement aux autres religions, l’islam est le seul monothéisme qui implique les devoirs de la guerre dans ceux de la religion, rappelle Ibn Khaldoun

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