Vue de Suisse, la France de ces derniers jours ne fait pas plaisir à voir.
La France s'entortille dans un projet de réforme d'une façon dont elle a le secret. Au départ, "l'avant-projet de loi El Khomri", du nom de la Ministre du travail, devait assouplir les horaires des salariés, plafonner les montants des indemnités prud'homales, préciser les motifs invoqués pour des licenciements économiques et impliquer directement les salariés dans des référendums d'entreprise.
L'idée ne paraissait pas mauvaise, mais peu importe qu'on soit pour ou contre, finalement, car on peut en parler au passé. Le projet de loi a été tellement retouché, rapiécé et modifié qu'il en est devenu méconnaissable. Et ce n'est pas fini: le texte est encore l'objet de près de 5'000 propositions d'amendements. Des élus manquent à la majorité socialiste pour faire passer le texte. Le gouvernement français envisage de recourir à l'article 49-3 de la Constitution française pour couper court aux débats. Belle démocratie!
Pourquoi ce projet de loi, émanation de parlementaires professionnels, a-t-il été à ce point remis en question? À cause de la pression de la rue. Depuis des semaines diverses oppositions battent le pavé. Les fronts se sont crispés et beaucoup espèrent désormais faire complètement capoter le projet. François Hollande joue son avenir de candidat de la gauche. Le président essaye, bien tardivement, de se donner une image de réformateur ; il hésite à passer en force. Il veut parvenir à un résultat, même symbolique, mais à un an des élections présidentielles il ne peut laisser la crise s'étendre. À gauche on crie que la réforme est une trahison, un cadeau au patronat ; à droite, on s'indigne des reculades gouvernementales.
La situation, inextricable, finit de jeter les uns contre les autres toutes les factions de la vie politique française. Lycéens et étudiants, sempiternelle chair à canon des mouvements de gauche ; MEDEF ; majorité et opposition ; syndicats ; extrême-gauche poignardant le frère ennemi socialiste ; ambitieux cherchant à se profiler pour les présidentielles ; mouvements protestataires parasites cherchant à greffer leur propre cause sur l'agitation générale... Personne ne manque à l'appel.
Nul ne sait quand ni comment le sac de nœuds se dénouera, ni même s'il parviendra à se dénouer. A ce stade, tout est envisageable. L'issue la plus probable reste celle d'une montagne accouchant d'une souris, une loi vidée de sa substance afin de ne fâcher personne tout en donnant aux uns et aux autres des motifs de victoire. Il y a évidemment peu de chances que le droit du travail français en sorte simplifié.
La France semble, en dernière analyse, impossible à réformer. Chaque intervenant aura son explication, principalement pour pousser en direction de sa paroisse. Mais selon moi, le problème est tout autre. La clé du mystère pourrait se trouver dans l'absence criante de démocratie en France, en particulier l'absence de référendum.
Nombreux sont ceux qui, en Suisse, n'éprouvent que mépris pour la démocratie directe. Le peuple est assez intelligent pour élire des candidats mais certainement pas pour décider davantage, disent-ils. Les politiciens helvétiques endurent les référendums avec fatalisme. Ils n'en voient pas les avantages. Ils existent pourtant bel et bien.
Le droit de Référendum permet aux citoyens de convoquer un vote populaire contre une loi votée par le Parlement. La loi est sous toit: les commissions se sont prononcées, le projet a été relu dans ses moindres détails et approuvé par les deux chambres de l'Assemblée fédérale. Il ne manque pas un bouton de guêtre. Le peuple peut malgré tout s'emparer du dossier et l'envoyer à la poubelle.
L'idée que n'importe quelle loi aboutie puisse éventuellement être annulée provoquera chez tout politicien français un réflexe de rejet. Question d'ego et de perception de sa fonction. Les uns et les autres oublient pourtant qu'un référendum peut aussi servir à valider une loi en lui donnant un appui démocratique incontestable. Tout référendum ne se concrétise pas en rejet systématique!
Le référendum permet de pacifier la vie politique. Il permet aux camps en présence de se compter dans l'épreuve démocratique fondamentale, le verdict des urnes. Les démonstrations de force changent de dynamique: il s'agit désormais d'agir sur l'opinion publique et non plus celle des décideurs. Il ne faut plus intimider, il faut convaincre. Plus personne ne peut se bombarder d'une représentativité autoproclamée. La classe politique a aussi son rôle à jouer, elle doit entrer en contact avec la population, être didactique, comprendre et informer des tenants et aboutissants de ses propres textes. Se contenter de suivre la ligne du parti dans une assemblée ne suffit plus.
Dernier avantage, le résultat des urnes débouche sur un résultat clair et à une date précise. C'est Oui ou c'est Non, il n'y a plus à y revenir. Le référendum définit à l'avance la fin du débat politique, un luxe dont la France aurait bien besoin en ces heures troubles.
La loi El Khomri aurait suivi en Suisse un destin bien différent. Tous les partis auraient été consultés lors de son élaboration, tant pour mesurer le degré de résistance que pour tenter d'en faire un compromis acceptable. Le projet final aurait été approuvé par la majorité des représentants du peuple. Les adversaires du texte auraient alors livré une première campagne médiatique pour convoquer un référendum, suscitant une première salve de débats.
Une fois le référendum obtenu, la date en aurait été décidée, ouvrant la voie à une campagne officielle. Chaque camp aurait fourbi ses arguments dans la presse, les réseaux sociaux, les marchés ; les débats télévisés auraient vu s'affronter les pro et les anti. Les discussions auraient embrumées les comptoirs de bar, les pauses-café, les réunions familiales du dimanche. Et le jour dit, on aurait voté et enfin découvert le fin mot de l'histoire dans les urnes.
Nulle part il n'y aurait eu besoin d'occuper les rues, de manifester, de saccager, d'amender le texte dix fois de suite ; nulle part il n'y aurait besoin de faire du bruit pour donner contenance à son camp. Les urnes mesurent les rapports de force avec bien plus de légitimité et de précision que n'importe quel sondage.
La classe politique française n'est pas mûre pour les référendums. Hors de sa réélection, elle n'aime guère faire appel aux citoyens. La perspective d'une loi rejetée par le bas peuple lui inspire un profond dégoût. Elle ne veut pas prendre ce risque. Alors, elle tergiverse, dilue ses réformes, fait étalage de son impuissance et, souvent, recule.
En se méfiant de la démocratie, atteint-elle un meilleur résultat?
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, le 3 mai 2016
La France exige un pouvoir autoritaire, monarchique. Le Français est par définition un être soumis, trop attaché à son modèle pseudo-social le rendant assisté. Le Français lambda n’a pas encore saisir le terme “liberté”;il est incapable de s’assumer. Ses points de succès ( son thermomètre de bien-être), ce sont ses vacances, sa bouffe, son bien-être à courte vue.
Faut-il ensuite s’étonner de sa détresse réelle ? Ce Français réclameur, mais incapable de s’assumer, tout du moins d’essayer de s’assumer.
Bien dit, bien résumé M Montabert.
Le système suisse n’est en aucun cas applicable à la France question de culture.
Un ami valaisan et français, me paraissant néanmoins plus français que suisse m’a bien résumé les différences de culture :
En Suisse l’état c’est le peuple; en France le peuple paie des impôts, en conséquence l’état lui doit tout.
Bref, nous n’avons pas la chance d’être les descendants de Napoléon, ni de faire partie du pays ingouvernable… aux 400 sortes de fromages.
Réponse vue de France : le recours au référendum devrait intervenir davantage mais nous sommes actuellement dans un régime de dictature et d’Etat policier depuis le gouvernement Valls . La France n’est pas difficile à réformer si les réformes sont intelligentes et respectent les droits de chacun. Cette réforme, soutenue du reste par des ministres qui n’ont jamais mis les pieds dans un conseil de prud’hommes ni une chambre sociale, ni ouvert un code du travail de leur vie, est stupide et ne peut en aucun cas relancer l’économie mais favoriser la précarité. Il est absurde de soutenir que les indemnités de licenciement sont trop élevées( people mis à part) car compte tenu des lenteurs de la justice sociale, elles sont majoritairement soumises à négociation et les procédures de licenciement économique sont faciles à mettre en place actuellement et peu coûteuses.La seule réforme intelligente serait celle des conseils des prud’hommes pour favoriser l’échevinage car 80% des décisions rendues par la justice populaire sont réformées (sauf celles en formation de départage), comportant des erreurs juridiques ou d’appréciation, ce qui fait un délai d’environ 3-4ans pour qu’un justiciable puisse obtenir gain de cause en cas de procédure de licenciement. Quant au code du travail, il est le fruit de négociations particulières à chaque corps de métier et même s’il est volumineux, il n’est pas d’une grande complexité pour un chef d’entreprise doué d’un minimum d’intelligence ni pour son comptable.