L'espace Schengen bat de l'aile depuis qu'une demie douzaine de pays ont rétabli les contrôles aux frontières. L’Autriche a renforcé ses contrôles avec le soutien de ses voisins bavarois. Pourtant plus de 2.000 migrants sont entrés chaque jour en Europe, pendant la période de Noël. Jean-Claude Junker, le président de la Commission européenne voit quant à lui dans la fin de Schengen, la fin de l'euro.
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Le compte à rebours avant la possible « mort » du traité de libre circulation Schengen a bel et bien commencé. Depuis quelques jours, les dirigeants européens dramatisent leur discours concernant ce que beaucoup considèrent comme le principal acquis de la construction communautaire. « Il ne nous reste plus que deux mois pour sauver Schengen », affirmait ainsi le président du Conseil européen, Donald Tusk, mardi 19 janvier, devant le Parlement deStrasbourg. Pour Mark Rutte, le premier ministre néerlandais, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union européenne (UE), il reste « de six à huit semaines ».
La Commission et le Conseil européens devraient donc agir en urgence, en activant une procédure exceptionnelle permise par le « code frontières Schengen », qui régit les accords de libre circulation éponymes. Un texte délicat à mettre en œuvre, alors que l’Allemagne risque, aux alentours de début mai (le 12 mai, selon les calculs), de se retrouver en infraction avec ce code. Une telle violation des règles communes, surtout de la part de Berlin, équivaudrait, estime t-on à Bruxelles, à la mort clinique de Schengen.
De quelle procédure exceptionnelle s’agit-il ? Depuis septembre 2015, débordé par l’afflux de migrants, Berlin a demandé à la Commission de pouvoir rétablir temporairement les contrôles à ses frontières. Le « code frontières » Schengen le permet, quand est constaté un risque immédiat pour la sécurité intérieure d’un pays signataire. Mais c’est pour une durée maximale de deux mois. Un pays peut toutefois prolonger ces contrôles de six mois supplémentaires, s’il argue de la survenue d’un événement prévisible (rencontre sportive, réunion internationale à haut risque, manifestations), propre, selon lui, à menacer sa sécurité intérieure.
Evaluation aux frontières extérieures de l’UE
Au-delà de ces deux mois plus six mois – donc huit en tout –, le « code Schengen » permet encore de prolonger les contrôles jusqu’à deux ans. Mais la procédure à activer est relativement lourde et politiquement délicate : il s’agit de faire jouer l’article 26 du code.
Que dit cette disposition, adoptée par la Commission Barroso, qui avait déjà identifié le problème des frontières grecques ? Que « dans des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures (…), des contrôles aux frontières intérieures peuvent être réintroduits pour une durée n’excédant pas six mois. Cette durée peut être prolongée, trois fois au maximum, pour une nouvelle durée n’excédant pas six mois si les circonstances exceptionnelles persistent ».
Pratiquement, il faut que la Commission procède à une évaluation aux frontières extérieures de l’UE (en l’occurrence, en Grèce, où arrivent toujours la plupart des demandeurs d’asile) et qu’elle y constate que « malgré les mesures adoptées (envoi d’équipes d’interventions rapides etc.), (…) la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’espace[Schengen] persiste ». Une fois cette preuve apportée, la Commission doit proposer au Conseil (les Etats) une « recommandation » (de prolongation du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures) dans un ou plusieurs Etats membres. Le Conseil statue à la majorité qualifiée et un éventuel refus de la Grèce n’aurait donc aucun effet.
Selon nos informations, lors d’une réunion à Bruxelles, le 15 janvier, du Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (Scifa), une émanation du Conseil regroupant des experts des institutions communautaires et des Etats, certains ont poussé en faveur de la mise en branle de la procédure « article 26 ». Notamment des représentants de l’Allemagne, la Suède, l’Autriche et le Danemark, concernés au premier chef par les arrivées de réfugiés. Le déclenchement de la procédure requiert plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ce jour-là, la Commission n’aurait toutefois pas pris position.
« Effets négatifs sur l’activité touristique grecque »
La question sera au menu d’un conseil informel (sans prise de décision) des ministres de l’intérieur et de la migration, lundi 25 janvier, à Amsterdam. Selon une source diplomatique, la Commission voudrait cependant attendre le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, les 18 et 19 février, pour se prononcer. De fait, la procédure d’activation de l’article 26« pourrait être lourde de conséquence, notamment pour la Grèce, explique Yves Pascouau, spécialiste des migrations au sein du think tank European Policy Center. Dans les faits, les contrôles aux frontières aéroportuaires avec d’autres Etats membres seraient maintenus pendant une longue période (2 ans maximum), ce qui pourrait avoir des effets négatifs sur l’activité touristique grecque ».
Mort de Schengen ou sauvetage in extremis de ce dernier ? « Cet article est une soupape, il a été mis au point pour éviter que l’Europe dans son ensemble paie un prix trop élevé pour les problèmes d’un seul Etat », affirme un haut fonctionnaire de Bruxelles. Il vise, en quelque sorte, à redessiner la frontière extérieure en aidant, pratiquement et financièrement, un pays àrétablir la situation ».
La Suède, membre elle aussi du trio des grands pays d'accueil, avait tiré le signal d'alarme dès l'automne. La défection de l'Autriche est trois fois plus parlante. Elle prive la politique d'ouverture de Merkel de son dernier vrai soutien dans l'UE. Elle installe une barrière à la sortie du couloir des Balkans, emprunté par plus d'un million de réfugiés et migrants depuis le printemps. Pour finir, elle risque de sceller le sort d'une zone de circulation de moins en moins libre. L'entonnoir se resserre au Nord et, coup sur coup, la Macédoine puis la Serbie ont annoncé qu'elles fermeront leur porte aux réfugiés qui se destinent à d'autres pays que l'Autriche et l'Allemagne. Les Balkans, eux non plus, ne veulent pas être submergés. Au sud-est de l'Europe, les écoutilles se referment automatiquement comme celle d'un navire en perdition.
«Un nouveau déferlement au printemps»
La Grèce, plaque tournante de l'exode, pourrait se transformer en impasse, à défaut d'être exclue de la zone de «libre circulation» comme le souhaitaient certains de ses détracteurs. Pour la bonne mesure, le gouvernement Tsipras parle maintenant de contrôler les sorties vers la Macédoine, mais c'est un peu tard. Le cul-de-sac grec aurait tout d'une mauvaise solution: à une crise tous azimuts, l'UE ajouterait un désastre humanitaire centré sur le pays le plus affaibli du club.
Le constat s'impose. Neuf mois après le premier sommet «de crise» sur les réfugiés, les vingt-huit capitales n'ont accouché d'aucune solution viable et l'Europe s'apprête à revivre la même tragi-comédie qu'en 2015. À Davos, Manuel Valls s'inquiète d'un danger de «dislocation dans les mois qui viennent». Au nom de la présidence tournante de l'UE, le Néerlandais Mark Rutte juge qu'il «reste deux mois pour maîtriser la situation, avant un nouveau déferlement au printemps». Depuis Strasbourg, Jean-Claude Juncker et Donald Tusk fixent eux aussi des lignes rouges et des derniers délais. Angela Merkel espère des résultats dès la mi-février, au prochain sommet européen.
Chou blanc pour les «hotspots»
L'ennui? Depuis le printemps, les Européens comme les demandeurs d'asile ont entendu bien d'autres ultimatums et calendriers, jamais respectés. En juin, les 28 ont promis de se partager 40.000 réfugiés, objectif rehaussé à 160.000 en septembre. À ce jour, seuls 331 ont ainsi été «relocalisés» à travers l'UE.
Chou blanc aussi pour les «hotspots», ces centres d'accueil censés enregistrer les nouveaux arrivants: quatre sont ouverts (dont 3 en Italie) avec une capacité totale d'à peine 2.000 personnes. De son côté, l'agence européenne Frontex devait prendre le taureau par les cornes et orchestrer l'expulsion à grande échelle des recalés du droit d'asile. Il n'y a eu que 4 vols de «retour» depuis l'Italie (153 personnes), le dernier fin octobre, d'après les chiffres de la commission. Et aucun depuis la Grèce…
L'idée de quotas nationaux refleurit
Faute d'une gestion décente des réfugiés de guerre, l'Europe parie désormais sur un coup d'arrêt à l'exode. Les outils annoncés en novembre, lors d'un autre sommet ad hoc à Malte, sont jusqu'ici décevants. L'UE a promis 3 milliards d'euros afin de «fixer» 2 millions de Syriens réfugiés en Turquie. Mais avec Ankara, c'est la course de lenteur, sur l'argent comme sur le résultat concret. L'autre parade voulue à Paris comme à Berlin - la mobilisation d'un vrai corps européen de gardes-frontières - soulève d'intraitables questions de souveraineté. Elle va prendre des mois, sinon des années.
La question des réfugiés emprunte désormais à la quadrature du cercle. La Suède, l'Autriche et bien sûr l'Allemagne ne peuvent plus supporter seules le fardeau. La question d'un partage revient, comme un boomerang, au plus mauvais moment, après les attaques à Paris et les violences à Cologne. L'idée - qui avait déchiré les Vingt-Huit tout l'été - refleurit de quotas nationaux, permanents cette fois. Faute de mieux, l'UE tourne en rond.
Bon débarras!
Un véritable théâtre de guignols!……..plus il y en a, pire c’est!