Syrie – La « pax putinica » qu’ils disent

Michel Garroté
Politologue, blogueur
post_thumb_default

 


L’information est confirmée : deux hauts gradés des Gardiens de la Révolution islamique iranienne (GRI) ont été tués en Syrie. Le général de division Farshad Hasounizadeh et le brigadier-général Hamid Mokhtarband ont été tués en combattant les terrorises du groupe Etat islamique (EI). Un autre commandant des GRI, le général Hossein Hamadani, avait déjà été tué la semaine dernière près d'Alep.

L'Iran avait, en effet, récemment envoyé - et continue d’envoyer - ses soldats en Syrie pour participer, avec le Hezbollah libanais, à l’offensive des forces de Bachar al Assad contre les terroristes de tout poil dans la province d'Alep, dans le nord-ouest du pays, offensive menée avec l'appui de frappes aériennes russes. Et sur ce front-là, Poutine a engrangé les victoires.

En clair, ce qu’Obama refuse de faire depuis quatre ans, Poutine l’a fait - et continue de le faire - en quelques jours. Ce qui, bien entendu, déplaît profondément aux médias européens, qui, du coup, intensifient leur ridicule propagande antirusse de manière exponentielle.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire qu’une alliance occidentale avec tel ou tel pays musulman, fut-il laïc, ne peut être qu’une alliance tactique régionale à court terme, éventuellement renouvelable ; mais en aucun cas une alliance stratégique globale à long terme. Si, en ce moment, les pays occidentaux ont intérêt à « ménager » le clan alaouite, et donc chiite, de Bachar al Assad, c’est uniquement pour contenir - et si possible repousser - l’Etat Islamique sunnite (EI).

Cet Etat Islamique qui, en douce, est notamment soutenu par Obama, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar. Il ne s’agit donc aucunement, ici, de conclure une alliance stratégique globale à long terme avec Bachar al Assad, l’Iran et le Hezbollah. Il s’agit uniquement de « ménager », pour l’instant, Bachar al Assad et de laisser faire, pour l’instant, Poutine en Syrie.

Evelyne Joslain, sur Les 4Vérités, écrit notamment (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : Cette expression de « pax putinica », trouvaille du journaliste Arthur Herman, serait amusante si elle ne décrivait pas une réalité inquiétante : l’abandon gratuit de 60 années de « pax americana » au Moyen-Orient par Obama. Comment ce « remplacement » de l’arbitre indispensable au Moyen-Orient s’est-il opéré ?

Evelyne Joslain : 2011 : Le mal nommé « printemps arabe » trouble 4 régimes autoritaires qui ne présentaient aucune menace pour les Occi­dentaux, mais Obama décide de « diriger de l’arrière » l’absurde « croisade humanitaire » de BHL, Sarkozy et Cameron. En Égypte, il favorise les Frères musulmans, mais « délègue » la question syrienne à Poutine, car il ne peut pas demander aux Iraniens chiites de cesser leurs livraisons d’armes à Assad sans compromettre son projet-phare : un traité permettant aux ayatollahs de rentrer dans le concert des nations.

Evelyne Joslain : 2013 : Assad franchit la « ligne rouge » fixée par Obama en liquidant ses opposants en masse avec des armes chimiques. Obama se dit vertueusement « indigné ». 2014 : Poutine menace les États-Unis contre toute tentative de changement de régime en Syrie tandis que l’État islamique (qui, dans les faits, est plus un État que la Syrie) vise Damas. Été 2015 : Poutine achemine désormais ouvertement vers la Syrie du matériel militaire so­phistiqué, 2’000 soldats de la 810e Brigade de marine (troupes d’élite) et 1’700 « experts ».

Evelyne Joslain : Chassée du Moyen-Orient en 1970 par l’Égypte, la Russie reprend pied dans la région. Fin septembre, au lendemain de sa visite à Obama et de son discours à l’ONU, avec un cinglant mépris des déclarations faites (« s’unir pour combattre l’État islamique »), Poutine ordonne une attaque surprise, non contre l’EI, mais contre les opposants d’Assad. Obama fait, de nouveau, l’indigné. Toutefois, le désaccord entre Poutine et Obama n’est peut-être que virtuel. Tous deux semblent favoriser l’une des deux grandes sectes, tout en ménageant l’autre, Obama par idéologie pacifiste sans frontières, Poutine par ambition géopolitique. Tous deux abritent un ressentiment personnel contre l’Occi­dent. Tous deux n’ont pas forcément intérêt à éliminer l’État islamique, pas davantage qu’Assad.

Evelyne Joslain : Nul ne sait s’il existe des musulmans « modérés » dans la région, ni qui sont vraiment les opposants d’Assad. Nul ne sait non plus jusqu’où ira Poutine, mais on peut affirmer sans trop se tromper qu’il est désormais l’interlocuteur incontournable au Moyen-Orient, comme l’ont compris les pétromonarchies, Israël, la Turquie et même la Grèce de Tsipras. Poutine a démontré que la solution pour ramener un semblant d’ordre au Moyen-Orient est bien militaire. Et il a compris, lui, ce que les Occidentaux naïfs ne veulent toujours pas admettre : que le but de l’« organisateur de communauté » Obama (agitateur professionnel) a toujours été de créer le chaos, et non d’y remédier.

Evelyne Joslain : Ceux qui, chez nous, nourrissent l’illusion romantique d’un Axe Paris-Berlin-Moscou devront attendre, même s’il y a des signes encourageants pour eux, comme les simulations d’une invasion de l’Europe auxquelles se livre l’appareil militaire russe. Mais, pour l’heure, Poutine est prioritairement engagé dans un autre axe, Russie-Syrie-Iran, qu’il est difficile de ne pas voir comme un nouvel « axe du mal ». Poutine va vite et lui ne dirige pas « de l’arrière ». Il lui reste 15 mois pour risquer une avancée de plus en Ukraine et dans l’Arctique. Sans parler de l’impensable : l’imperium sur tout le Golfe persique, donc sur les ressources pétrolières dont l’Amérique pourrait se passer, mais pas nous.

Evelyne Joslain : On peut admirer qu’avec une si mauvaise donne (la baisse du prix des matières premières, donc du gaz russe, le rouble au plus bas, des sanctions qui l’affaiblissent…), Poutine ait pu parvenir à dominer la situation au Moyen-Orient. On peut admirer le culot, la détermination, la vision et l’intelligence du prédateur. Mais si fort soit-il, rien de tout cela n’eût été possible sans la couardise des Européens et le double jeu d’Obama. Avons-nous un nouveau policier du monde ? En tout cas, ce ne sera pas sans contrepartie, conclut Evelyne Joslain (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).

De son côté, Mgr Hindo, archevêque syro-catholique d’Hassaké, au nord-est de la Syrie, salue l'efficacité des offensives russes, dans La Croix (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : L’intervention de Moscou est positive, parce qu’elle cible réellement Daech, et la milice est en train de fuir. Ils ont fui la région d’Hassaké, dans l’empressement, à bord d’environ 20 véhicules. Ils ont dû abandonner 20 autres voitures sur place. C’est le signe qu’ils ont vraiment dû battre en retraite.

Mgr Hindo : L’archevêque critique en revanche les opérations de Washington, qui seraient juste pour amuser la galerie et qui laisseraient les terroristes agir librement. Les Américains ne bombarderaient pas les milices djihadistes, mais le gouvernement syrien. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre le gouvernement. Mais les gens d’ici n’ont jamais cru dans les attaques américaines. Seuls les Kurdes ont réellement combattu sur le terrain, mais pour tenir leurs positions. Il affirme que les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ne parlent que d’attaquer Daech, mais pas le Front al-Nosra et les autres milices islamistes liées à Al-Qaida.

Mgr Hindo : La nuit du 23 février, quand Daech a attaqué, les avions américains ont survolé la zone pendant longtemps, sans intervenir. Ensuite, pendant trois jours, nous n’avons plus vu d’avions. Ils ont laissé le champ libre aux militants. Ceci nous fait penser que, d’une certaine manière, les djihadistes ont été aidés par l’attitude ambiguë des Américains.

Mgr Hindo accuse les gouvernements occidentaux de travailler pour diviser la Syrie et l’Irak, afin de mettre la main sur les richesses de ces pays. Il existe également un enjeu concernant les pipelines que l’Arabie saoudite et le Qatar voudraient construire vers l’Occident. Damas n’a pas accepté leur passage sur son territoire, et voilà le résultat, conclut Mgr Hindo (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).

De son côté, Christian de Moliner, sur Boulevard Voltaire, écrit notamment (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : L’intervention russe a sans doute sauvé le président el-Assad. Si M. Poutine n’avait pas lancé ses frappes, l’armée syrienne se serait probablement désagrégée et, en six mois, Damas serait tombée aux mains des islamistes présentés comme modérés (tout est vraiment relatif. Ils sont modérés par rapport à l’État islamique mais restent furieusement islamistes) et qui sont devenus les alliés des Américains par l’intermédiaire des Saoudiens.

Christian de Moliner : Mais la situation reste chaotique. El-Assad, malgré la contre-offensive lancée par ses troupes, n’a aucune perspective de victoire. Il faudrait, pour qu’il l’emporte, un renfort de 100’000 hommes iraniens ou russes, renfort qu’il n’aura jamais. Téhéran a envoyé 20’000 combattants (libanais, gardiens de la révolution, chiites irakiens) et ne peut pas faire plus, même en raclant les fonds de tiroirs. Les Russes sont bien trop avisés pour envoyer des forces terrestres. Leur échec et celui des Américains en Afghanistan montrent à l’envi qu’il est facile de commencer une guerre en pays musulman et impossible de la gagner.

Christian de Moliner : Le but de la coalition soutenue par M. Poutine est modeste. Il ne vise que la sécurisation de la façade méditerranéenne. Il faudra pour cela chasser les islamistes « modérés » des zones qu’ils contrôlent. Et cette bataille, féroce, est loin d’être gagnée malgré l’appui des avions russes. L’intervention de Moscou a soudé les diverses factions qui se faisaient, en l’absence de danger, une guerre larvée mais qui, désormais, présentent un front uni face à leur nouvel adversaire, conclut Christian de Moliner (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).

Michel Garroté, 14 ocotobre 2015

http://www.les4verites.com/international/la-syrie-et-la-pax-putinica

http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/L-archeveque-syro-catholique-d-Hassake-denonce-l-ambiguite-des-frappes-americaines-2015-10-12-1367486

http://www.bvoltaire.fr/christiandemoliner/apres-lintervention-russe-avenir-syrie,212130

   

5 commentaires

  1. Posté par GODICHEAU le

    Il faudra pourtant éliminer Daech. Seule une coalition Etats-Unis (sous un président républicain), Europe et Russie y parviendra. Si les Chiites prenaient trop d’importance dans cette élimination, un nouveau problème surgirait.

  2. Posté par Jean-Marie Zelenka le

    Obama est faible en stratégie militiare, c’est tout! Une fois un Républicain à sa place, les choses vont changer. Trump s’entendrait bien avec Putin pour poursuivre le grand nettoyage. Mais il ne sera probablement jamais élu. Hillary par contre…

  3. Posté par Pehem Veyh le

    Le goût rance de la propagande commence à être connu, même des ignares que nous sommes. C’est un peu de la même sauce que le rapport sur le MH17, ça pue la propagande et elle en devient tellement grosse que plus personne n’y croit. A force de prendre les gens pour des cons, ça finit par les faire réagir. Enfin!

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Je remercie “fergile” de s’être donné la peine de commenter. J’ai fait les mêmes remarques. En particulier sur la sortie des “armes chimiques” et le mensonge généralisé.

  5. Posté par fergile le

    J’ai dû mal à comprendre qu’on puisse prétendre apporter une information en citant divers articles citant eux-mêmes diverses sources apportant chacun des informations sans les vérifier soi-même.
    J’ai sourcillé en vous lisant parler des “attaques chimiques d’Assad” comme si elles étaient démontrées alors même que l’enquête a prouvé qu’elles venaient de ses adversaires.
    Ayant constaté que la propagande médiatico-politique occidentale tient sur ce sujet exactement le même discours, c’est à dire MENT, je n’ai que parcouru la fin de votre article pour y constater ce que je vous dis ci-dessus.
    Je n’appelle pas cela de l’information mais de la propagande.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.