Les 22 et 23 juillet derniers s’est tenue à Alger, au Palais des nations, la Conférence internationale sur « la déradicalisation ». Ce sont principalement les pays membres du GCTT, le Forum global contre le terrorisme, dont la trentaine de membres représentent les différents continents et les quinze Etats du Conseil de sécurité des Nations unies, impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Les pays de la région sahélo-saharienne et de l’Afrique de l’Ouest étaient également présents ainsi qu’une quinzaine d’organisations régionales et multilatérales (Union africaine, Union européenne, etc.).
En ouverture, le ministre des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de la Ligue arabe - Abdelkader Messahel – a précisé les grands axes de travail en insistant sur la « déconstruction des idéologies extrémistes » et les techniques de « dé-radicalisation » au premier rang desquelles l’école et l’éducation ; le détournement et l’instrumentation des grandes religions, dont l’Islam, par des idéologues « souvent ignorants » ; l’importance des vecteurs de propagation dont Internet et la responsabilité des médias plus souvent en recherche de sensationnalisme que de présentations et d’explications rigoureuses des faits ; autant de perspectives nécessitant l’action d’appareils d’Etat forts et responsables.
Sans prétendre ériger le cas algérien en paradigme normatif, sinon exemplaire, Abdelkader Messahel s’est voulu plus pragmatique et opérationnel en engageant les pays participants à partager leur « retour d’expérience », afin de mieux articuler et coordonner des ripostes pertinentes et durables au phénomène terroriste en expansion polymorphe, hybride et transcontinentale. Hormis les interventions d’experts de premier plan dont le sociologue Liess Boukra, l’islamologue Kamel Chekkat ou le politologue Mustapha Saidj, le suivi des débats a permis à plusieurs délégations dont celles du Niger, du Mali, du Sénégal, du Tchad mais aussi de Russie, des Etats-Unis, d’Allemagne, du Canada, des Pays-Bas de Grande-Bretagne ou de France, de restituer leurs expériences nationales, ainsi que les moyens mis en œuvre pour traiter, prévenir et anticiper la menace.
Dans une ambiance très riche et conviviale, ces deux journées algériennes ont réussi à renouer avec les meilleurs moments des Assemblées générales des Nations unies lorsque certains pays du Sud interpellent leurs homologues du Nord quant à leurs responsabilités politiques inhérentes aux menaces apportées à la paix et à la sécurité mondiales. Ainsi la délégation vénézuélienne a opportunément rappelé comment et pourquoi les Etats-Unis ont « fabriqué Oussama ben Laden avec la complicité et l’aide de l’Arabie saoudite (…) annonçant, sinon favorisant les cataclysmes actuels de Dae’ch, Nosra et d’autres factions terroristes qui ensanglantent aujourd’hui la totalité des continents ». Sans surprise et conformément aux pratiques onusiennes ces interpellations bolivariennes colorées n’ont reçu que des réponses hors-sujet ou un silence gêné, mais les choses ont été dites et bien dites... Mais l’apport important et très novateur de cette conférence d’Alger est venu d’ailleurs…
Le conseiller à la présidence de la République algérienne Kamel Rezzag-Bara a indiqué qu’il fallait prendre les dispositions nécessaires afin de traiter les questions sociales, religieuses et spirituelles permettant de « donner aux jeunes les défenses immunitaires contre le risque d’embrigadement terroriste ». Insistant sur le pluralisme et la richesse des différentes expressions inhérentes à l’Islam, il a lancé un appel qui restera certainement comme l’un des moments forts de cette conférence d’Alger : « pour les Musulmans, accepter la pluralité des sources, des références spirituelles et des interprétations dans la pratique religieuse du culte musulman », en insistant sur la nécessité « d’ouvrir le chantier de réforme et de rénovation du savoir et de la culture islamique afin de découpler l’Islam de l’islamisme ».
On touche ici à l’un des épicentres de l’expansion de Dae’ch, de Nosra et des autres fêlés qui décapitent, brûlent et torture au nom de l’Islam. La veille de l’ouverture de cette conférence, le grand intellectuel Nour-Eddine Boukrouh dressait un constat des plus lucides dans Le Soir d’Alger : « l’islamisme n’est pas en régression, il est en expansion. Il a opéré une mue, opté un camouflage, le prosélytisme et l’endoctrinement civil, utilisant les bons sentiments des gens jusqu’à prendre les formes d’une culture sociale ordinaire, allant de soi. Il est en passe de s’imposer comme l’unique manière d’être musulman ». Nour-Eddine Boukrouh résume, lui aussi son propos en lançant le même appel : « seule une profonde rénovation du savoir islamique, du ‘tafsir’ et du « fiqh’ peut donner un nouveau souffle, une seconde vie à l’Islam dont l’image est en train de dresser l’humanité contre lui ».
La centralité de cette révolution copernicienne à venir constitue opportunément le sujet du dernier livre du penseur libanais Georges Corm « Pensée et politique dans le monde arabe », aux éditions La Découverte. L’ouvrage - dont prochetmoyen-orient.ch a récemment rendu compte - expose les multiples facettes de la pensée politique arabe depuis le XIXe siècle, inscrite dans la richesse d’une culture trop méconnue. Avec ce vaste panorama, vivant et érudit, Georges Corm atteste la vitalité de cette pensée et des grandes controverses qui l’ont traversée. Il montre que ses acteurs, loin d’être figés dans le carcan théologico-politique majoritairement relayé par la doxa dominante, ont souvent exprimé une pensée critique forte, sur les plans religieux, philosophique, anthropologique et politique.
Inscrivant l’œuvre de ces penseurs dans le maelström des bouleversements géopolitiques et socioéconomiques ayant marqué le monde arabe depuis deux siècles, il explique comment les puissantes hégémonies externes, militaires, académiques et médiatiques ont contribué à marginaliser la pensée critique arabe. Cela, bien-sûr a facilité l’installation durable de l’idéologie islamiste, instrumentalisée par certains régimes arabes comme par leurs protecteurs occidentaux.
Ces analyses de fond ont retenu toute l’attention du ministre Abdelkader Messahel qui dans ses vingt-six conclusions et recommandations de clôture (la neuvième) a préconisé : « la révision dans un certain nombre de pays, des instruments politiques et institutionnels de gestion, de protection et de promotion des véritables et authentiques référents religieux et leur utilisation, dont notamment l’organisation de la fetwa, la gestion des mosquées et de la zakat (impôt religieux), l’amélioration de la formation des imams et mourchidates… » Balisant les secteurs des régimes pénitentiaires, des processus de réintégration des terroristes, des contre-discours à la propagande terroriste, de la coopération internationale, notamment en matière de renseignement, il a appelé les délégués de la cinquantaine de pays participants à « prendre des mesures économiques et sociales en faveur des couches défavorisées, tout en soulignant que la pauvreté n’a jamais justifié ou expliqué le terrorisme ».
La teneur des différentes recommandations « opérationnelles » faites lors de ces deux journées importantes rompt conceptuellement, politiquement et géopolitiquement avec le blabla habituel des réunions dédiées à la lutte contre le terrorisme, et c’est tant mieux ! On peut désormais parler, sinon se féliciter d’un « esprit d’Alger » dont la densité, la pertinence et le courage devraient inspirer un suivi qui aura lieu en septembre prochain à New York, avant que les recommandations des 22 et 23 juillet puissent aboutir à une prochaine résolution du Conseil de sécurité. Cet esprit d’Alger ouvre des perspectives prometteuses et historiques qui renouent avec un autre souffle en passe d’être réhabilité, lui-aussi : celui de Bandung…
Richard Labévière, prochetmoyen-orient.ch, 27juillet 2015
L’esprit d’Alger ????
Quand on sait que ce sont, encore, des terroristes qui dirigent le pays ?
je ne crois pas un traitre mot de leurs grands blabla