Le syndrome Cochonou

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PHILIPPE BARRAUD

Alors que le Tour de France passait en Bretagne, la caravane Cochonou a suspendu sa participation pour éviter des manifestations d’agriculteurs. Coup de tonnerre dans la franchitude, mais surtout, démonstration des errances de la régulation par le marché.
Ce fait-divers, apparemment sans importance, a échappé à la plupart des amateurs de vélo. Pourtant, elle est significative d’une évolution du marché, où le consommateur est de plus en plus manipulé, où on lui ment effrontément sur la qualité et la provenance de ce qu’il achète, en jouant sur les notions de terroir et de tradition. Wikipedia précise que la marque Cochonou axe sa publicité sur «les images de savoir-faire et d’authenticité». Mais quel rapport avec le Tour de France, et l’économie mondialisée? C’est que Cochonou, comme Justin Bridou et quelques autres marques «bien de chez nous», comme disent les Français, ne sont plus françaises depuis longtemps: Cochonou a appartenu brièvement à un fonds d’investissement chinois, avant de tomber en mains d’un groupe mexicain qui vend des saucisses aux Etats-Unis. Or ces marques faussement françaises vendent certes des produits à base de porc, mais n’utilisent pas de porc… français. Bien que pléthorique et en crise profonde, la production française – par ailleurs catastrophique sur le plan écologique et éthique – n’est pas compétitive par rapport au porc allemand notamment, qui bénéfice de conditions réglementaires et fiscales meilleures, et des salaires indécents payés au personnel des abattoirs venu d’Europe de l’Est.
Nous sommes dans un monde où la dérégulation fonctionne à plein, pour le plus grand bien, sommes-nous priés de croire, du consommateur et de son porte-monnaie, mais en réalité pour le plus grand bien du business international. Le consommateur, qui est aussi un salarié ou un retraité, ne se rend pas compte qu’en profitant des prétendus avantages de la mondialisation, il scie la branche sur laquelle il est assis. Car au bout du compte, c’est toute l’économie nationale des pays à moyen et haut revenus qui finit pas en faire les frais. L’agriculture est en première ligne, car elle n’est pas délocalisable, mais elle n’est pas la seule: en Suisse, tous les secteurs sont progressivement frappés par les effets pervers de la mondialisation – et non pas du franc fort, qui a bon dos –, de l’imprimerie à la pharma, des machines au commerce de biens de consommation, et au secteur alimentaire bien entendu. Tout simplement parce que, en payant des salaires infiniment plus bas qu’en Suisse, les entreprises asiatiques, américaines, indiennes ou autres peuvent produire et vendre à moindre coût, pour une qualité souvent équivalente.
Le consommateur, qui raisonne en fonction de son pouvoir d’achat et non d’une éventuelle solidarité avec l’économie de son pays, s’empresse évidemment d’acheter des biens produits à l’étranger, comme en attestent les chiffres de la poste. Sans se douter qu’il est peut-être en train de ruiner l’entreprise qui l’emploie ! Car on peut tourner les chiffres dans tous les sens, on voit bien qu’en bout de chaîne, la suppression des barrières douanières, et la prétendue régulation du marché par le marché, produit des effets pervers considérables, tout particulièrement des pertes d’emplois et du chômage incompressible, comme en France.
Une éleveuse d’agneau française disait récemment à France Inter qu’elle pouvait à peine dégager un revenu de 500 euros par mois. Elle va donc renoncer, bien obligée. Les producteurs de lait sont à la même enseigne: à 43 centimes d’euros le litre, il est inimaginable non seulement d’investir, mais de financer les investissements passés. On observe que dans le même temps, bien entendu, les intermédiaires s’en mettent plein les poches, puisque les prix de vente au consommateurs final ne baissent pas. Moins les paysans sont payés, plus les intermédiaires s’enrichissent ! C’est le marché ! Et c’est le cas en Suisse aussi, où la pression sur le prix du lait est indécente. A quand du lait de Nouvelle-Zélande dans les supermarchés européens ?
Comme toujours, c’est sous la pression des groupes sociaux que le monde politique se réveille – toujours trop tard. Le blocage des routes en France par des paysans à bout de souffle amène le gouvernement à faire de viriles promesses, qui déboucheront sans doute sur un nouveau pacte, ou un nouveau choc gribouillé sur un coin de table, mais qui laissera de manière certaine les paysans sur le carreau. L’abandon des terres, et au-delà du patrimoine agricole, est dramatique en France. D’autant que, comme le dit François Bayrou – fils de paysan – lorsque ce patrimoine est perdu, il n’y a pas de retour en arrière.
Il reste certes des niches qui ne sont pas négligeables – les vrais produits du terroir, les AOC, le bio – qui, comme la culture des noisettes à IGP récemment relancée dans le Piémont par exemple, peuvent offrir de nouvelles perspectives aux agriculteurs. Mais c’est bien insuffisant. Voilà pourquoi il faut oser contester l’hégémonie de la globalisation et du libre-échange débridé car, contrairement au dogme religieux de l’économie ultra-libérale, le marché n’est pas capable de générer à lui seul une économie saine et durable, mais seulement la loi de la jungle et les profits de quelques-uns, avec d’innombrables victimes colatérales. Osons donc reparler de protectionnisme raisonnable – avant les inévitables explosions sociales.

 

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Un commentaire

  1. Posté par Vautrin le

    Un libre-échange “bridé” par des mesures protectionnistes n’est PAS du libre-échange ! Il serait utile de relire ce qu’écrivait Bastiat à ce propos. Je comprends que l’on s’agace de la prétendue “mondialisation”, elle ne fait pas que des heureux, mais j’ai bien peur que les “remèdes” proposés soient pires que le mal.

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