Mon petit ego et moi

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Je dois faire vivre mon petit ego dans le monde et j’ai de la peine. Jusqu’à maintenant je me suis écrasé, je suis resté humble, modeste, rangé quoi.  Maintenant, ça commence à bien faire. Je veux vivre, m’épanouir, jouir de la vie. Enfin un petit peu. Et puis, pour tout vous avouer, j’aimerais  bien sentir mon cœur palpiter encore avant de me faire décapiter par Daech.

Ça va être dur pour le gonfler, mon petit ego. Comme devant un gros bateau pneumatique avec seulement une toute petite pompe. Mon concierge, un homme vigoureux, est sorti chancelant de l’appartement d’une locataire qui lui avait demandé de gonfler son fauteuil gonflable.

Si j’ai envie de le gonfler, mon ego, c’est qu’il est tout petit, si petit que je soupçonne les gens de ne même pas me voir. Je crois que je ne suis pas le seul à avoir de si désagréables sentiments d’insignifiance. Je soupçonne que nombreux sont ceux qui veulent aussi gonfler. Comme la grenouille de la fable ? Après tout pourquoi pas. Même au risque d’être obèse ? Pourquoi pas. Est-ce pour cela qu’il y a tant d’obésité aujourd’hui ?  Quand je vois des masses de touristes je pense à ces choses. Ils me paraissent tout gonflés. Normal, être touriste, c’est basculer dans une masse insignifiante. Il faut bien compenser.

Alors je réfléchis. Où aller pour faire gonfler mon ego ? Tout bêtement j’ai d’abord essayé Facebook avec des selfies. Tout le monde me félicitait, me disait « je t’aime », ou tout simplement « love ». A mon anniversaire, au moins cinquante personnes m’ont dit « Happy Birthday ». Finalement, je me suis aperçu que  tout le monde me disait la même chose. Au lieu de sentir gonfler mon ego, je l’ai senti se dissoudre dans un torrent de banalités. J’existais encore moins qu’avant.

Alors, inspiré par Federer, j’ai commencé à faire du tennis. Lui, me suis-je dit, il doit sentir son ego gonfler à chaque victoire. Hélas, j’étais très loin d’être aussi doué que lui. J’ai dû abandonner.

J’ai ensuite voulu faire de la politique. Mais très vite je me suis rendu compte que les politiciens disent tous la même chose : croissance, niveau de vie, bien-être. Finalement, j’ai eu l’impression que personne n’existait autour de moi, sauf Federer bien sûr. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a tellement de succès. Zombies parmi les zombis, nous nous accrochons à lui dans l’espoir qu’un jour nous pourrons exister.

Ensuite, j’ai pensé à l’Université. Devenir un distingué chercheur, c’est quelque chose, non ? Je me suis vite rendu compte que si les chercheurs ne disent pas tous la même chose, ils s’écrasent complètement derrière ce qu’ils appellent la scientificité. Eux, on ne sait pas où ils sont derrière une haute muraille de propositions que personne ne comprend. Qu’est-ce qu’ils doivent souffrir ! J’ai donc renoncé.

Je ne savais plus où me tourner pour me sentir exister et je marchais le long des rues, résigné à n’être rien. Je n’avais pas de soucis d’argent, mais à quoi bon, me disais-je. Je pensais à John Adams, le deuxième président américain. De retour du marché, il écrivit un jour dans son journal que le malheur du mendiant n’est pas qu’il n’a pas à manger, mais que personne ne le regarde. Eh bien moi aussi, personne ne me regardait.

C’est alors que j’ai rencontré un vieil ami catholique. Je lui confessé ma douleur. Tout de suite il m’a dit.

  • Mais c’est très bien que tu ne puisses pas faire gonfler ton ego. Comme le dit Blaise Pascal, le moi est haïssable.
  • Alors le monde nous force à devenir des saints en écrasant notre ego?
  • Si tu veux.

Ça m’a laissé pantois. Je n’étais plus appelé à faire gonfler mon ego, mais à l’écraser. Où allais-je donc me sentir exister ? Dans un autre monde, dans LE royaume comme disent les chrétiens ?

En tout cas, avant d’accéder à ce royaume, je devrais renoncer à faire gonfler mon ego, et donc à me sentir vivre. Pas drôle, mais d’un autre côté, si Daech m’égorge, ça raccourcira le temps d’attente pour accéder à l’autre monde. On dit que les premiers chrétiens se précipitaient dans la gueule des lions pour abréger leur séjour sur terre. Le problème est que je n’ai pas vraiment envie de devenir un martyre. Et pour tout vous dire, je préférerais égorger plutôt qu’être égorgé.

Jan Marejko, 1er juillet 2015

 

9 commentaires

  1. Posté par Nicolas le

    Certes Donal, d’ailleurs que d’aucuns s’identifient à Platon et épanchent leur délire dans une diarrhée épistolaire, n’ébranle pas le simple pékin qui en cette période caniculaire, préfère investir dans un ventilateur lequel tant qu’à brasser de l’air, a au moins le bon goût d’être rafraîchissant, ce que n’est pas le philosophaillon.

  2. Posté par C. Donal le

    Oui Nicolas. Si on tente de penser à l’immensité des possibilités de permutation des gènes, notre présence ici est inouïe.
    « faut que j’me laisse aller » Paul Personne
    https://www.youtube.com/watch?v=Tmg5GtfCIt8

  3. Posté par Renaud le

    Le Je derrière le jeu de l’égo est le vrai Je mais identifié à tort à l’égo. Votre Je qui n’est pas sûr de l’existence d’un Je derrière l’égo est ce Je réel, infini et éternel. Il n’est pas douteux il seulement trop évident pour que vous y portiez attention, trop grand pour le saisir et le comprendre. Il apparait dans sa gloire quand vous n’êtes plus rien, ne savez plus rien et ne voulez plus rien. A la mort physique le plus souvent mais pas nécessairement. Coupez vous la tête mentalement vous verrez, et cela pourrait calmer les ardeurs de certains à vous le faire physiquement. Mais aussi éventuellement attiser leur haine, rien n’est garanti, voyez le cas d’un dénommé Jésus.

  4. Posté par Jan Marejko le

    Oui Renaud, je ne suis pas le petit moi que j’ai construit comme un jeu Lego. Y a-t-il un je qui “est” derrière cette construction, comme vous le suggérez. Je n’en suis pas sûr.

  5. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Rêvassant, sidéré par la haute teneur des révélations philosophiques de la grande semaine, j’en viens à Matthieu. “Ne jetez (bizarre, ce “jetez”) pas vos perles devant les pourceaux, de crainte qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent”. Je buvais ce truc comme du petit lait autrefois. C’est changé! Donc, intrigué, je visite le texte, en hébreu! Et que vois-je? Le féminin de “porc” signifie aussi, je vous le donne en mille: retour! Mais le verbe disant le retour des pourceaux est autre. Et il décoiffe… Je reviens sur l’égo plus tard, car il faut que j’ailles donner le mien à manger à, je ne sais pas encore qui.

  6. Posté par Renaud le

    Chaque chose en son temps. Au début on construit son château de Lego, ensuite on l’améliore. Pour cela on regarde comment il fonctionne, et puis on finit par constater qu’il n’est qu’un outil, pas une identité puisque je suis celui qui l’a construit et le regarde. Petit château de rien du tout, château en ruine ou Versailles, peu importe si je sais que je ne suis pas ça mais cela qui regarde tout, à travers mes yeux en Lego et à travers les yeux en Lego des autres, les yeux immatériels qui ne sont pas les miens mais ce que je suis.

  7. Posté par Jan Marejko le

    Je vais donc essayer de devenir un fier maillon dans la chaîne de l’espèce. Et puis je ferai mon possible pour éviter les souliers cloutés qui écrasent les chenilles.

  8. Posté par Marker le

    La chenille, il ne faut pas l’écraser, sinon elle ne deviendra jamais un papillon….

  9. Posté par Nicolas le

    Parmi des dizaines de millions frétillants sur la ligne de départ, un seul spermatozoïde a gagné la course et vous a permis de voir le jour. Pour faire de vous un simple maillon de la chaîne essentielle à la perpétuation de l’espèce. Au lieu de faire de la philosophie à la petite semaine, rendez-lui cet hommage en étant fier d’exister.

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