Varoufakis : "les créanciers de la Grèce ont transformé les négociations en guerre"

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Le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a reproché aux créanciers de la Grèce de ne faire « aucune concession » et de transformer les négociations  en véritable guerre.  Lors d'une interview donnée au journal allemand Tagesspiegel, partenaire d'EurActiv, il explique aussi que la Grèce a seulement 100 inspecteurs des impôts, ce qui rend difficile le recouvrement des fonds. 

Yanis Varoufakis est le ministre grec des Finances, professeur d'économie et membre du parti de gauche Syriza. Il s'est entretenu avec Harald Schumann et Elisa Simantke du Tagesspiegel.

M. Varoufakis, les négociations semblent se trouver dans l'impasse. Les créanciers, et en particulier le gouvernement allemand, ne sont pas prêts à faire plus de concessions, et votre gouvernement non plus. De quoi allez-vous donc parler avec M. Schäuble ?

Nous devons clarifier certaines choses : nous ne négocions ni avec l'Allemagne ni avec nos partenaires européens. Voilà pourquoi ces négociations sont si frustrantes. Nous avons négocié avec la troïka, c'est-à-dire avec les représentants du FMI, de la BCE et de la Commission européenne. La réalité n’est pas qu'ils ont fait des concessions, que nous avons fait des concessions, et que maintenant nous nous trouvons dans l’impasse. La réalité est qu’ils n'ont fait aucune concession. Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois en février, on nous a présenté la même chose que l'on nous présente aujourd'hui. Puis, nous avons négocié pendant des mois avec le groupe de Bruxelles. Là, nous sommes tombés d'accord sur de nombreux points.

Alors pourquoi cela n'a pas marché ?

Nous nous sommes réunis et nous avons fait un compte rendu des sujets sur lesquels nous étions d'accord et ceux sur lesquels nous n'étions pas d'accord. Nous avons noté notre position, mais aussi les concessions que nous étions prêts à faire pour nous rapprocher de l'autre partie. C'est ces concessions que nous avons présentées la semaine dernière. Ce qui a été présenté par Jean-Claude Juncker au Premier ministre, Alexis Tsipras, avec le soutien d'Angela Merkel et de François Hollande, est un retour en arrière, comme si les négociations n'avaient jamais eu lieu. C'est une proposition que vous faites quand vous ne voulez pas conclure un accord. Ils considèrent que notre position n'est pas constructive alors que nous sommes allés à l'encontre de nombre de nos promesses de campagne et avons franchi plusieurs lignes rouges.

Si l'on compare les chiffres des deux propositions, les créanciers demandent des mesures fiscales à hauteur de 3 milliards d'euros et la Grèce offre 1,87 milliard d'euros. Cette différence ne semble pas insurmontable, si ?

Non, mais c'est suffisant pour faire la différence entre ce qui va tuer ce qui reste de l'économie grecque et ce qui va la sauver. Cela fait sept ans que notre économie se contracte de façon continue. Si nous essayons de tirer plus de 3 milliards d'euros des impôts et des réductions de retraite, notre déficit sera encore plus important l'année prochaine. Ce serait comme battre une vache malade pour la forcer à produire plus de lait, ça la tuera. Même notre propre proposition de 1,8 milliard d'euros d'excédents est excessive. Désormais, ce dont la Grèce a besoin, c'est un budget équilibré.

Mais ce ne sera pas suffisant pour juguler la récession.

Ces réformes et mesures fiscales ne représentent donc qu'un tiers du paquet que nous sommes en train de négocier. Nous sommes très clairs : nous voulons que la dette soit restructurée pour que son remboursement soit viable. Nous avons également besoin d'un programme d'investissement. Et nous voudrions que ce soit la Banque européenne d'investissement (BEI) qui nous le fournisse.

Même si l'actuel plan de sauvetage est terminé et que les 7,2 milliards d'euros ont été versés, la Grèce doit toujours rembourser 30 milliards d'euros au FMI et à la BCE jusqu'en 2020. En ce sens, un troisième plan de sauvetage n'est-il pas inévitable ?

Nous comprenons la difficulté de cette question pour le gouvernement allemand. Ce que nous proposons c’est que les conditions qui ont été négociées depuis février soient prises en compte pour parvenir à un accord maintenant et pour les prochaines négociations.

À quoi ressemblerait le prochain accord ?

Soyons clairs, nous ne demandons pas un seul euro supplémentaire pour l'État grec. Ce que nous proposons c'est un échange de créances au sein de la troïka. Nous devons 27 milliards d'euros à la BCE, des obligations datant de 2010 et 2011. Elles arrivent bientôt à échéance. Rien que cet été, nous devrons déjà rembourser 6,9 milliards d'euros. Ces dettes sont très problématiques, car elles empêchent la Grèce de participer à l'assouplissement quantitatif de Mario Draghi.

. . . Le programme de rachat d'obligations des États membres de la BCE.

C'est comme un gros rocher qui bloque l'accès de la Grèce aux marchés. Nous devrions obtenir un prêt du Mécanisme européen de stabilité (MES) qui irait directement à la BCE. Ainsi il serait neutre par rapport à la dette grecque. Cela permettrait de repousser le paiement des 27 milliards d'euros et la Grèce pourrait revenir sur les marchés. C'est une question de volonté politique.

Si aucune solution n'est trouvée, que se passera-t-il ?

Demandez à la troïka, demandez aux institutions. Nous voulons trouver une solution. Ce qu'ils proposent n'est pas une solution. Ils ne font que perpétuer la crise. Nous n'avons pas été mandatés pour cela. Ils veulent que nous réduisions nos dépenses de retraite et permettions aux dernières grandes entreprises en Grèce de procéder à des licenciements de masse.

Pensiez-vous que le poste que vous occupez serait si difficile ?

Oui, je savais que ça allait être infernal. Je ne suis pas déçu.

Pourquoi le débat s'est-il concentré sur vous ?

Après la réunion de l'Eurogroupe à Riga, mon Premier ministre m'a dit : « Ils essayent de t'atteindre, car s’ils y parviennent, tout le gouvernement s'effiloche et ils pourront m'atteindre ». Le nombre de mensonges évidents qui ont été présentés comme des faits est stupéfiant. Les rumeurs sur ce qui se passait à Riga, que le gouvernement grec m'obligeait à partir, que j'allais démissionner. . . puis quand rien de tout cela ne se passe, on dit que je ne fais plus partie de l'équipe de négociateurs. Tout cela était complètement faux, mais ces rumeurs ont circulé partout, du Brésil à Bruxelles.

Vous pensez vraiment que tout cela a été délibérément orchestré ?

C'était une tentative de diffamation, je ne vois pas d'autre explication. Un dicton dit : en temps de guerre, la première victime est la vérité. Malheureusement, les institutions et nos partenaires européens ont loupé l'occasion qu'on leur offrait de voir ces négociations comme une véritable réflexion entre pairs. Au lieu de ça, ils ont préféré se mettre en guerre contre nous.

On parle beaucoup de votre bataille avec les créanciers. Celle-ci prend tant de temps et d’attention que votre gouvernement ne semble plus avoir d'énergie pour les affaires intérieures, pour changer certaines choses dans la structure de l'État grec que vous critiquiez avant les élections.

Le plus frustrant dans ces négociations, c'est qu'elles prennent tout notre temps et notre énergie. Pour couronner le tout, les institutions nous disent que légiférer avant d'avoir atteint un accord serait perçu comme une action unilatérale et que les négociations échoueraient. Une des premières choses que j'ai demandée à mes collègues de l'Eurogroupe est pourquoi nous ne présentions pas les lois sur lesquelles nous étions tombés d'accord - le système fiscal, les règles anticorruption - au Parlement, tout en continuant à négocier. À plusieurs reprises, on m'a répondu que si j'osais demander ça encore une fois, ce serait une bonne raison pour mettre un terme aux négociations.

Cela veut-il dire que vous n'avez fait passer aucun projet de loi ?

Nous avons présenté une loi humanitaire qui permet aux plus pauvres d'avoir à manger, d'avoir un refuge et de l'électricité. Nous avons aussi présenté un système d'acompte pour les impôts arriérés. Nous avons six millions de détenteurs d'un dossier fiscal. Sur ces 6 millions, 3,5 millions ont des arriérés de paiement de moins de 3 000 € vis-à-vis de l'État. Ce ne sont pas des fraudeurs, ils ne peuvent tout simplement pas payer. C'est une tragédie, car ils ne peuvent pas obtenir de prêt, ils ne peuvent pas monter une entreprise sans l'autorisation du Trésor public. Désormais, ils peuvent payer petit à petit. Cette loi a pourtant été vivement critiquée par les institutions.

>>Lire : Athènes adopte envers et contre tout sa loi contre la pauvreté

N'est-ce pas aussi parce que vous n'avez pas établi de seuil ? Et que désormais les riches évadés fiscaux peuvent aussi profiter de votre généreuse amnistie ?

Vous avez tout à fait raison. Mais c'est une situation d’urgence. Dans un pays normal, nous n'aurions pas à mettre en place un tel système de paiements échelonnés. Dans un pays normal, nous poursuivrions les fraudeurs fiscaux, mais notre système judiciaire est démantelé. Si vous poursuivez les grands évadés fiscaux en justice, leur procès n'aura lieu qu'en 2023. D'ici là, vous n'aurez pas récupéré un centime. Nous n'avons même pas d'agents de la fiscalité. Leur salaire a été lourdement réduit donc nombre d’entre eux sont partis dans le privé. Lors de mon premier jour de travail, j'ai demandé : combien d'inspecteurs des impôts travaillent pour nous ? Vous savez quelle était la réponse ? Cent. Cent pour toute la Grèce.

Un exemple souvent cité est la fameuse liste Lagarde, qui regroupe plus de 2 000 noms d'évadés ou fraudeurs fiscaux potentiels. Jusqu'à présent, seuls 49 ont été soumis à une enquête.

Nous ne disposons pas du personnel nécessaire et nous nous battons avec le système bancaire pour avoir accès aux comptes en banque. Concernant la liste Lagarde, le gouvernement précédent n'a rien fait pendant des années. Maintenant, la plupart de ces cas sont trop vieux pour être traités. Toutefois, nous possédons de nouvelles listes aujourd'hui et nous travaillons très dur pour mettre en place un système algorithmique de contrôle automatique de tous les mouvements entre les comptes en banque en Grèce et à l'étranger. Nous faisons beaucoup de progrès et nous espérons voir des résultats d'ici à septembre.

 

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