Monsieur Laurent Kurt, Conseiller d’Etat et ministre de la santé du Canton de Neuchâtel, était l’invité de la rédaction sur la RTS ce 12 juin 2015. Le journaliste lui demande de commenter un article de presse expliquant le prochain démantèlement de la centrale de Mühleberg : « … au fait que pensez-vous, par exemple, de l’énergie nucléaire ? ». Réponse de Laurent Kurt : « l’énergie nucléaire est une énergie qu’on ne maîtrise pas, à l’exemple des déchets radioactifs ».
Et si on grattait un peu la réalité derrière les idées reçues ?
Thomas Held (ancien directeur d'Avenirsuisse) avait déclaré un jour : « le reproche fait au nucléaire est en somme d'être immoral, mais si on analyse le discours des opposants, c'est leur argumentation qui est profondément immorale. ». Les propos de Laurent Kurt en sont une bonne illustration.
Le fameux slogan selon lequel il n y a pas de solution pour les déchets radioactifs est un argument souvent répété. Or en disant cela les opposants taisent soigneusement, ou méconnaissent, le fait que si le mercure de Lonza qui contamine une région de Viège avait été géré comme les déchets nucléaires, ce mercure soit aurait été recyclé, soit il serait soigneusement emballé dans un conteneur étanche, lui-même déposé dans un coffre-fort surveillé. L’État du Valais n'aurait pas à lancer une enquête pour connaître l'étendue et l'intensité de la contamination. La population et les ministres de la santé n’auraient pas de crainte à avoir. Par ailleurs le cas du Valais n’est pas une exception. Un inventaire fédéral recense 38'000 sites contaminés en Suisse. Dont Bonfol, la fameuse décharge de la chimie bâloise dans le Canton du Jura. Il n’y a pas en Suisse de sites contaminés par la radioactivité.
Méconnaître cela c’est nier des faits vérifiables. Mais c’est aussi nier le travail considérable, et l’existence, de femmes et d’hommes qui œuvrent en permanence à ce que la solution existe et soit efficace. C’est simplement offensant pour ces professionnels. Ces spécialistes sont ignorés des médias : ils ne sont jamais interviewés, ils n’existent pas. On est en plein déni de réalité et aussi déni d’une activité humaine qui mériterait pourtant d’être expliquée.
Imaginez que le débat autour de la sécurité des avions, à propos du tragique crash de l’Airbus 320, se soit déroulé sans pilotes et sans spécialistes de sécurité ? La sécurité nucléaire ne mérite-t-elle pas un vrai débat ou n’est-elle qu’un alibi pour faire passer, méconnaissance des faits aidant, certaines idées politiques ?
Je pense pourtant que Laurent Kurt est un homme raisonnable. Il en a la réputation. Il a d’ailleurs ajouté avec raison à son commentaire qu’il y avait un autre aspect que l’hostilité au nucléaire à prendre en compte : une éventuelle sortie doit être supportable socialement et économiquement. Probablement que Laurent Kurt n’a fait qu’emprunter, par réflexe, un slogan qui est devenu tellement habituel, qu’il ne fait même plus l’objet d’information et d’analyse. C’est peut-être là le point le plus grave.
Jean-François Dupont, 12-06-2015
Pour en savoir plus :
- Interview de Laurent Kurt
- Est-il vrai qu’il n’y a pas de solution pour les déchets radioactifs ?
http://www.lesobservateurs.ch/2015/02/14/dechets-nucleaires-est-il-vrai-quil-ny-pas-de-solution/
- Sites contaminés de Suisse (inventaire de la Confédération)
http://www.bafu.admin.ch/altlasten/index.html?lang=fr
- Nucléaire : zone sinistrée de l’information et lueur d’espoir
Post Scriptum
La désinformation ambiante n’a pas contaminé tous les esprits, certains résistent même très bien et disposent d’excellentes connaissances. Merci de leurs contributions.
Je me permets d’ajouter une réflexion : le débat sur les risques du nucléaire est une discussion où la communauté professionnelle est par nature sur la défensive.
Encore que ce n’est pas un débat désespéré. Pour avoir rencontré beaucoup de citoyens sincèrement préoccupés et leur avoir expliquer 1) comment les déchets sont physiquement et systématiquement isolés de la biosphère, donc sans possibilité de nuire et 2) comment des évènements comme ceux de Tchernobyl et Fukushima peuvent être efficacement évités en prenant les mesures de sécurité techniques nécessaires, j’ai pu constater que la grande majorité de ces citoyens comprennent très bien. Leur réaction est essentiellement : ces explications changent tout, mais… pourquoi vous ne le dites jamais ? Ils ont raison sur ce dernier point aussi. Il n’y a pas de volonté des électriciens, en particulier des exploitants de centrales nucléaires de s’expliquer de manière pro-active. Allez cependant sur un site comme celui de Gösgen (la centrale d’Alpiq, lien http://www.kkg.ch/fr/i/intro.html , voir en particulier la rubrique « Savoir »), on y trouve l’essentiel.
Toute cette discussion défensive occulte malheureusement un argument positif essentiel, qui fait du nucléaire une chance plutôt qu’un risque: celui du bilan écologique. Dans une période où la Société se sent coincée entre deux contraintes redoutables, l’économie et l’écologie, les avantages dans ces deux domaines du nucléaire sont passés sous silence. Sur le bas coût du nucléaire, heureusement, la démarche véhémente d’une partie de la gauche pour toujours plus de taxes pour subventionner les énergies renouvelables ouvre les yeux de beaucoup sur la réalité : l’argument selon lequel le renouvelable est meilleur marché est perçu pour ce qu’il vaut, à savoir il est de l’ordre du « demain on rase gratis ». Par contre l’avantage écologique est paradoxal et n’est même pas thématisé. Et pourtant. Une analyse du PSI montre qu’en comparaison des kWh des différentes filières, compte-tenu de l’ensemble du cycle de vie, le nucléaire se classe deuxième, juste derrière l’hydraulique et largement devant les fossiles et même l’éolien et le solaire photovoltaïque. Cet avantage tient à deux faits basiques : 1) la fission d’1g d’Uranium ou de Thorium produit autant d’énergie que la combustion de 1,5 tonne de pétrole et 2) le processus de fission se déroule à l’intérieur d’enceintes multiples d’acier et de béton étanches, sans interaction avec la biosphère. La combustion de 1,5 tonne de pétrole produit environ 4,5 tonne de CO2 et des dizaines de kilos de polluants NOx, SO2, CO, etc…gérés selon le système DD (disperser + diluer). La fission du gramme d’Uranium ou Thorium génère des déchets appelés « produits de fission » qui sont soigneusement emballés et stockés sous surveillance dans des coffres forts : ils sont gérés par le système CC (Concentrer + Confiner). À l’heure ou le progrès social et économique conduit à un dilemme entre niveau de vie et préservation de la planète, le nucléaire est une réponse sérieuse pour éloigner ce dilemme. Il permet de faire plus d’énergie avec moins de nuisances.
Dernière remarque technique et de vocabulaire : si les gens du nucléaire, au lieu de dire « déchets nucléaires », parlaient d’un procédé qui transforme chaque 4,5 tonne de CO2 dispersés dans l’atmosphère en 1 g de matière vitrifiée à l’abri de la biosphère, ils seraient peut-être mieux compris, et pourquoi pas, plébiscités.
Mais une telle perspective doit déranger certains partis politiques et ONG qui instrumentalisent la peur d’une menace inéluctable sur notre environnement pour récolter des voix ou des cotisations. Une « bonne énergie », c.à.d. bon marché et écologique est évidemment pour eux à combattre résolument parce que très dangereuse… pour leur fonds de commerce.
Une lecture stimulante pour ceux qui osent encore distinguer vraie protection de l’environnement et écologie doctrinaire : Michel Gay sur cet autre site de réinformation qu’est Contrepoints.org : http://www.contrepoints.org/2015/05/29/209101-lecologisme-est-elle-une-religion-sectaire.
@ Christophe Un grand merci pour vos explications. On voit que vous connaissez votre matière. Cela nous change par rapport au bourrage de crâne que nous subissons quotidiennement de la part de nos medias.
Il me semble que l’on fait toujours une vraie montagne avec ces résidus nucléaires. Quelques rappels chiffrés : les plus dangereux sont ceux issus des éléments de combustible nucléaire après leur passage durant 4 ou 5 ans dans un réacteur. En Suisse, après 50 ans, nous aurons utilisé 3’600 tonnes de combustible nucléaire et aurons donc autant de résidus, soit quelque 330 m3, puisque la masse volumique (densité) de l’oxyde d’uranium est de 11 tonnes par m3. Si tout pouvait être vitrifié à 4% de dilution en volume, cela ferait au plus 8’000 m3, soit un cube de 20 m de côté, ou 1 L par habitant du Pays, dont un dé à coudre sont les produits de fission par habitant…. Son contenu ? En volume 96% de matrice de verre et 4% de matière radioactive. La composition de cette dernière ? 95% d’uranium (1% U235 et 94% U238), 1% de plutonium et 4% de produits de fission. Ces derniers sont les vrais déchets à gérer, car uranium et plutonium seront entièrement recyclables, à condition que l’on autorise le retraitement (la séparation des composants) ; ce que la loi sur l’énergie nucléaire, dans son état actuel, interdit de façon irrationnelle, par un moratoire de 10 ans dès 2006, qui est purement politique, soit jusqu’en 2016 pour l’instant, car tout déchet doit être trié et recyclé dans la mesure du possible. Comme l’a écrit @Lyapunov ci-dessous, ce ne sont pas des « déchets », mais des matières valorisables qui sont encore pleins d’énergie : dans l’uranium et le plutonium restants, il y a encore plus de 20 fois d’énergie que ce que l’on a déjà retiré dans nos centrales nucléaires après un premier et unique passage ! Le stockage en profondeur ne sera qu’une étape transitoire. Nos descendants sauront et voudront sans doute tirer parti de ce trésor énergétique. Voir plus de détails ici : http://clubenergie2051.ch/2015/05/06/
@ Danielle Borer D’accord, il y a un monde de différence entre ces deux messieurs. Je vous concède que M.Kurt est un homme honnête, contrairement à l’autre. Je suis simplement étonné de le voir apporter de l’eau au moulin de Mme Leuthart, avec sa transition énergétique mal ficelée. Par surcroit chacun sait que la croissance effrénée de notre population – due à l’immigration massive – est la cause essentielle de nos besoins accrus en énergie. Le réchauffement planétaire est loin d^’être prouvé et ce ne sera pas la fermeture de nos centrales nucléaires qui résoudra notre problème. Voyez un peu les conséquences d’une politique erronée en Allemagne… Mme Leuthart voudrait nous contraindre à suivre leur trace !
@Jacques : Je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense que Laurent Kurth est un homme honnête et intègre, j’ai du respect pour lui, même si je ne suis pas du même bord politique.
Laurent Kurt et le petit Nicati – l’intrigant contre Blocher parachuté au Conseil d’Etat pour se sauver politiquement – c’est “blanc bonnet, bonnet blanc”….
Les “déchets” nucléaires actuels sont réutilisables dans les systèmes thorium et peuvent fournir de l’énergie de manière sûre, au lieu de les enterrer pour 300’000 ans. Voir le TEDx https://www.youtube.com/watch?v=Z0G8QxaYRds