En opposition aux débats stériles qui peuplent les médias, face à à l'insoutenable légèreté d'une partie de nos responsables politiques, les citoyens semblent être les seuls à avoir saisi la gravité du moment. Une étude indique même que les Français se prennent à rêver d'un "coup d'Etat citoyen et républicain". Certains s'affoleront de cette constatation. Pas nous.
Le souci de déconsidérer l'adversaire semble avoir atteint, aujourd'hui, des sommets de raffinement inégalés. Non contents de bénéficier de la totalité des pouvoirs et de leurs médias, qui ont une fâcheuse propension à confondre émission de divertissement et salon de la marquise du Deffand, nos publicistes officiants et officiels ont l'habileté de se considérer comme des victimes pour mieux écraser leurs interlocuteurs : toute discussion est présentée comme une agression contre eux, et donc pour finir contre la liberté elle-même. Du coup, il suffit souvent d'une étincelle pour mettre le feu à leur paillote intellectuelle.
L'enfer est pavé d'intentions. L'auteur n'est pas jugé sur ce qu'il produit, mais sur ce que l'on déduit de lui. L'idée baroque que l'on puisse trouver du talent à un politique, un philosophe, un écrivain sans toutefois se ranger derrière sa bannière est insupportable à l'entendement de nos piètres censeurs. Quatre siècles auparavant, Montaigne nous écrivait : « J'accuse cette vicieuse forme d'opiner : il est de la Ligue, car il admire la grâce de M. de Guise. L'activité du roi de Navarre l'étonne, il est huguenot. Il trouve ceci à dire sur les mœurs du roi : il est séditieux dans son cœur [...] N'oserions-nous pas dire d'un voleur qu'il a une belle jambe ? Et faut-il, si elle est putain, qu'elle soit aussi punaise ? » (1) Mais les mêmes qui citent actuellement Montaigne à tort et à travers sont les premiers à tracer une croix rouge sur la porte de leurs adversaires en attendant je ne sais quelle Saint-Barthélemy des esprits.
Qui se préoccupe des classes moyennes ? Apparemment pas grand monde, si l'on en juge par l'écho modeste remporté par l'article de Jonathan Bouchet-Petersen. Ce dernier nous fait part d'une étude d'une agence du groupe Publicis. Il met en avant trois « dissonances » majeures, dont « l'intensité » a surpris ses auteurs. La première porte sur ce que l'on nommera « le grand déclassement ». Une situation que ne parviennent pas à combattre les discours lénifiants sur la reprise économique jugée aussi réelle que la licorne rose. La deuxième est le sentiment qu'aucun débat sérieux ne parvient à émerger et que tout échange est « concentré sur quelques personnalités dans la perspective de 2017 ». Cela tombe bien, c'est précisément ce qui nous a conduits, cette semaine, à faire feu sur le quartier général de la bande des trois ! La troisième est le fossé grandissant entre la gravité de nos concitoyens face aux défis actuels et à l'importance des enjeux face à l'insoutenable légèreté d'une partie de nos responsables politiques étourdis par la toupie présidentielle.
Ils attendaient un sursaut. On leur a répondu par des convulsions. En descendant aussi massivement dans la rue, ils pouvaient estimer légitimement avoir fait leur « part de travail ». Ils espéraient un leadership derrière lequel se ranger, ils ont eu une multiplication de petits Bonaparte tournant les talons devant le pont d'Arcole. D'où écrivent les auteurs de cette étude l'expression du « rêve d'un coup d'Etat citoyen et républicain » ? Certains s'affoleront de cette constatation. Pas nous.
D'autant que cette constatation se double d'un souci : rassembler les Français au-delà des clivages religieux et politiques, retrouver une France qui dépasse les clivages communautaires. Nos concitoyens, et pas seulement la classe moyenne, ont compris depuis bien longtemps qu'en France il n'y a pas deux gauches, deux droites ou deux centres. Il y a deux camps qui s'opposent, même parfois sans en avoir pleinement conscience, à l'intérieur même des frontières obsolètes de partis politiques devenus aussi impuissants que l'Union européenne lorsqu'elle discute face aux Etats-Unis du traité transatlantique. L'histoire dira plus tard comment, au passage, cet instrument absurde que sont les primaires a fini de les dénerver.
Oui, il y a bien une ligne de fracture qui traverse l'ensemble de l'échiquier politique français et qui passe entre ceux qui défendent la République et ses principes universalistes et ceux qui se font les hérauts d'une société différentialiste et du communautarisme, soit par conviction, soit par paresse intellectuelle, soit par lâcheté électorale. Plus largement, il y a les citoyens qui estiment que l'homme se définit par l'ensemble de ses actes et ceux qui pensent qu'il se limite à ce qu'il est. Il y a ceux qui recherchent la construction permanente de soi et ceux qui clament : « Sois, et éternellement demeure ! » Il y a l'acceptation de la liberté et l'abandon à la servitude volontaire. Cela ne fait pas encore un programme politique, mais cela est déjà matière à renverser la table.
(1) Essais, III, 10.
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Extrait de: Source et auteur
Ils sont marrants, mais s’il y a bien quelqu’un qui défend les classes moyennes, c’est bien Marine Le Pen.