Le 5 avril dernier, des rebelles du Kordofan du Sud ont revendiqué la prise d'un camion transportant du matériel destiné à la préparation des élections générales. Les rebelles de la branche Nord du Mouvement de libération du peuple du Soudan (SPLM-N) « ont tendu une embuscade et se sont emparés d'un véhicule rempli d'urnes électorales » sur la route reliant Kdugli, la capitale de l'État du Kordofan du Sud, avec la ville de Dilling, a affirmé un chef rebelle.
En mars dernier, le SPLM-N a annoncé vouloir « tout mettre en œuvre » afin de perturber les élections. En effet, les violences se sont intensifiées dans le Kordofan du Sud et la région voisine du Nil-Bleu, provoquant le déplacement d'au moins 20 000 personnes. Le ministre de la Défense Abdel Rahim Mohammed Hussein a déclaré le 10 avril que l'armée « ne permettrait pas aux rebelles d'entraver le scrutin ». Depuis 2011, Khartoum mobilise d’importants moyens militaires pour contrer une révolte armée dans le Kordofan du Sud et le Nil-Bleu, où des groupes armées revendiquent plus d’autonomie avec le soutien logistique des autorités du Soudan du Sud[1].
Le 13 avril dernier, la république du Soudan a tenu ses élections présidentielles et législatives, « le processus s’étant étalé sur trois jours afin de permettre au plus grand nombre d’électeurs de voter », a précisé le président de la CEN Muhktar al-Asam. Le décompte des votes doit commencer le 16 avril. Entre 13 et 14 millions les personnes sont inscrites sur les listes électorales pour une population estimée à 35 millions d’habitants. La CEN a déclaré que « les représentants des partis politiques ont le droit d’être présents à proximité des urnes durant les votes et le dépouillement (…), chaque parti ayant aussi le droit de faire campagne ».
En 2010, le Parti du congrès national, dirigé alors par le président Omar el-Béchir, a remporté ses premières élections multipartites depuis 24 ans. Candidat à sa propre succession, Omar el-Béchir (71 ans), a pris le pouvoir en 1989 et ne l'a pas lâché depuis. Cette longévité remonte aux élections libres de 1986, à l’issue desquelles le parti des Frères musulmans mené par Hassan Tourabi sous l’étiquette « Front national islamique » (FNI) n’emportait que 18% des voix, malgré une intense propagande soutenue financièrement par les monarchies pétrolières du Golfe. C’était déjà pour eux un bon score puisqu’ils n’obtenaient en moyenne que 4 à 5% des suffrages à l’occasion des élections libres organisées dans le pays avant 1969. Les Frères ne s’avouaient pas pour autant vaincus. Profitant de leur accession même minoritaire au gouvernement et au Parlement, ils organisent patiemment le noyautage des cadres intermédiaires et supérieurs de l’armée parmi lesquels ils constituent un « Comité secret » de quarante membres et intensifient leur travail de recrutement au sein de l’administration. Leurs efforts débouchent sur un coup d’Etat, le 4 juillet 1989. Durant les années 90, le général Omar el-Béchir écarte Hassan Tourabi afin de s’émanciper de la confrérie des Frères musulmans.
Face à une rébellion au Darfour[2] - à l’époque soutenue par le Tchad et les pays occidentaux -, le président el-Béchir va militariser la confrontation qui tourne à la « sale guerre » produisant son lot d’exactions et de déplacements de populations. La Cour pénale internationale (CPI) est saisie et lance, à l’encontre du président soudanais, une procédure l’accusant de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». L’Union africaine (UA) proteste, jugeant la décision « unilatérale » et instrumentalisée par des pays cherchant à faire main basse sur les ressources pétrolières du Soudan… Le président el-Béchir demeure au pouvoir et continue à se déplacer librement dans la plupart des pays du Grand continent.
Durant trois mois, son Parti du Congrès national (PCN), a mené une campagne très active, multipliant les rassemblements dans l’ensemble du pays, y compris dans les régions confrontées aux rébellions. Bien qu’ayant axé sa campagne sur l’application de la charia, el-Béchir - qui cherche à restaurer l’image internationale de son pays -, a reçu le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et s’est rendu aux Emirats arabes unis afin d’expliquer que le Soudan n’est plus « coupé » des autres pays arabes. Cette volonté l’a poussé à se déclarer membre actif de la Coalition saoudienne - soutenue par Washington -, engagée au Yémen contre la rébellion chi’ite.
En dépit de conditions difficiles[3], liées à une situation économique due aux sanctions imposées par les Etats Unis, le Soudan a déployé d’importants moyens pour que ces élections se tiennent dans les meilleures conditions possibles. Le gouvernement a dû mettre en œuvre plusieurs amendements constitutionnels pour faire face à la nouvelle donne consécutive à la sécession du Soudan du Sud. Depuis janvier 2014, il a lancé sa grande initiative dite du « Dialogue national ». Celui-ci visait un double objectif : refonder la gouvernance du pays amputé de ses provinces du Sud et faire avaliser, par l’ensemble des forces vives du pays, la constitution rénovée. Le Dialogue comme les élections générales restent néanmoins boycotté par plusieurs formations de l’opposition.
En décembre dernier, celle-ci s'est rassemblée sur la base d’une plate-forme baptisée « l'Appel du Soudan », réclamant l'instauration d'un gouvernement de transition garant de la tenue d'élections impartiales. Plusieurs opposants ont aussi lancé une pétition demandant au président de se retirer sans condition. « Nous ne disons pas que nous voulons que personne ne vote, nous offrons juste un espace à ceux qui veulent dire non », explique Rabah al-Mahdi, fille du chef du parti d'opposition Oumma et membre du comité responsable des médias pour l'Appel du Soudan. Dans la capitale, le très puissant Service national d'intelligence et de sécurité (NISS) a particulièrement visé les médias et saisi les rotatives de 18 journaux les 16 et 18 février derniers. Les autorités affirment que les partisans du boycott, « soutenues par l’étranger », cherchent à renverser le régime.
Le 8 avril, deux figures de l'opposition ont été libérées : Farouk Abou Issa, président des Forces du consensus national (FCN) et l'avocat Amin Melli, spécialisé dans les droits de l'homme, qui avaient été arrêtés en décembre après avoir signé l’Appel du Soudan. Dans ce contexte, le 9 avril, l’Union européenne (UE) a annoncé qu’elle ne soutenait pas la tenue des élections au Soudan, estimant qu’elles « ne peuvent donner un résultat crédible et légitime dans tout le pays ». A l’issue des élections de 2010, la Fondation Carter et l'UE avaient pourtant publié des rapports assurant une certaine crédibilité du scrutin.
Par conséquent, 15 partis (sur 19) et 4 candidats ont pris part à ces élections générales : Omar Hassan Ahmed el-Béchir (Parti national du Congrès) ; Mahmud Abdul Jabbar (Parti Salafiste) ; Fadl Al Said Shuaib (Al Haqqiqa Party/parti de la Vérité) ; Mohamed Al Hassan Al Sufi (Parti national de la Reforme). Les résultats finaux devraient être annoncés le 27 avril prochain.
Richard Labévière, 20 avril 2015
[1] Le Soudan du Sud, officiellement République du Soudan du Sud est un nouveau pays d'Afrique orientale dont la capitale est Djouba. Il est souvent appelé, par anglicisme, le Sud-Soudan. À la suite du référendum d'autodétermination organisé du 9 au 15 janvier 2011, le Soudan du Sud a fait sécession de la République du Soudan le 9 juillet 2011. Malgré la reconnaissance immédiate de l'État, des litiges subsistent quant au tracé définitif de la frontière à cheval sur des zones riches en pétrole et minerais stratégiques.
[2] L’Humanité Dimanche du 11 juillet 2014 : « Darfour, voyage au cœur d’une guerre oubliée… ».
[3] Plusieurs donateurs internationaux ont refusé d'apporter leur soutien financier au Soudan pour la bonne tenue de ces élections.
Et vous, qu'en pensez vous ?