De 1988 à 1998, l’Algérie a dû faire face à une vague de violences terroristes sans précédent. Rares sont les familles algériennes qui n’ont pas à déplorer une victime un ou une disparu(e) durant ces années de plomb baptisées « la décennie noire » ou « la décennie sanglante ». A l’époque, ce pays méditerranéen majeur, l’un des trois grands du continent africain, n’a pas reçu beaucoup de soutiens internationaux et a dû faire face au terrorisme dans une quasi-solitude avec ses propres moyens. Pire, au plus fort de ces années sombres, une clique de « journalistes » et d’idéologues parisiens lançaient la campagne du « Qui-tue-qui ? » laissant entendre que les autorités algériennes étaient elles-mêmes responsables et l’unique responsable des tueries… jetant le plus lourd des discrédit sur l’armée et les autres appareils d’Etat du pays. Cette machinerie propagandiste a fait des dégâts considérables, non seulement en France, dans d’autres pays européens, aux Etats-Unis, ainsi qu’en Suisse…
Avec le temps, criminologues, historiens, anthropologues et autres experts et praticiens de terrain ont su et pu tordre le cou à cette campagne de désinformation et de diffamation fabriquant une deuxième mort insultante, insensée et insupportable pour l’ensemble des victimes d’un terrorisme qui décapitait déjà au nom de la restauration du Califat… Aujourd’hui, face à Nosra, Dae’ch, Boko-Haram, les Shebab somaliens et d’autres héritiers des GIA (Groupes islamiques armés) algériens en Syrie, en Irak, au Nigéria et dans d’autres pays de la bande sahélo-saharienne, plusieurs capitales occidentales rendent désormais hommage aux autorités algériennes qui ont fait face, continuant actuellement à fabriquer des solutions sécuritaires, diplomatiques et politiques dans des contextes de crise qui ne peuvent être surmontés par les seules ripostes militaires.
Ainsi, l’Algérie connaît, depuis quelque temps, un certain retour en grâce. « En effet », souligne un expert français des questions de sécurité intérieure, « que se serait-il passé si l’Algérie s’était alors effondrée comme la Libye ou l’Irak d’aujourd’hui ? La Méditerranée serait devenue un véritable champ de bataille, rendant ingérables des flux migratoires face auxquels l’Union européenne a déjà tellement de mal à adopter des réponses minimales… » Comme nous l’écrivions dans la livraison précédente de prochetmoyen-orient.ch, l’Algérie d’aujourd’hui s’est imposée comme un épicentre du contre-terrorisme.
Ce même constat vient d’être dressé par, le président du Conseil des Etats, Claude Hêche, dernièrement en visite officielle à Alger. Et ce dernier plaide très clairement pour une meilleure prise de conscience du rôle essentiel de l’Algérie pour la stabilité de la région et la lutte contre le terrorisme. Il préconise également des échanges entre les deux pays pour la formation professionnelle duale. Incontournable au Mali, en Libye et en Tunisie pour son rôle dans la lutte contre le terrorisme et ses efforts de pacification, l’Algérie mérite d’être soutenue plus ouvertement par la Suisse, estime le président du Conseil des Etats, Claude Hêche, de retour d’un voyage officiel de quatre jours. Il plaide pour que la Suisse participe pleinement à la prochaine conférence internationale mise sur pied par Alger pour traquer le financement du terrorisme.
Le Temps de Genève du 1er avril note, et ce n’est pas un poisson : « avec sa connaissance approfondie de toutes les communautés et ethnies de la région, l’Algérie se révèle toujours plus un acteur déterminant de la sécurité en Europe, estime le conseiller aux Etats qui a eu des contacts intensifs non seulement avec son homologue Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la nation, mais aussi avec le premier ministre Abdelmalek Sellal, et les ministres de la Formation professionnelle et des Affaires maghrébines et africaines.
«La Suisse a tendance à sous-estimer le rôle de l’Algérie pour la stabilité non seulement de la région méditerranéenne, mais aussi de l’Europe, en particulier francophone. Car l’Algérie, elle-même confrontée à des années de plomb et de sang dans la guerre intérieure menée contre les groupes terroristes, joue un rôle clé dans la stabilité», a aussi déclaré le président du Conseil des Etats, qui a plaidé pour une intensification des relations bilatérales. Non seulement en matière de renseignement, mais aussi en matière économique. Il a notamment insisté sur une reprise des négociations en vue d’un accord de libre-échange entre les pays de l’AELE et l’Algérie.
«Dans un pays qui reste très marqué par son passé colonial français et où seule la voie universitaire est considérée comme prometteuse, le ministre de la Formation, Nouredine Bedoui, a été très intéressé par le modèle de formation professionnelle suisse. Mais cela exige du pays un véritable changement culturel», a estimé Claude Hêche tandis que Le Temps ajoute : « alors que l’émigration vers l’Europe tente toujours plus de jeunes Algériens, il est important que la Suisse participe, avec son expérience, aux efforts de stabilisation de ce pays. L’Algérie a d’ailleurs exprimé le souhait de collaborer avec la Suisse dans ce domaine ».
Le président du Conseil des Etats, qui a visité l’association Ciara, offrant à des jeunes sortis du système scolaire la possibilité d’acquérir un apprentissage de base dans les métiers de la mécanique ou de l’électricité, pense qu’un rapprochement entre des centres professionnels en Algérie et des écoles de Suisse romande pourrait être profitable à la fois aux jeunes Algériens, à qui des stages pourraient être offerts, mais aussi à des étudiants suisses intéressés par les perspectives qu’offre l’Algérie.
Alors, retour en grâce ? Même Thalassa la célèbre émission de la chaîne française de télévision France 3 vient de lui consacrer une belle émission : « une Algérie tournée vers la mer - avec ses 1600 kilomètres de côtes -, une Algérie tournée vers l’avenir… Mais pour être durables, solides et productifs, les retours en grâce doivent être sincères, complets et réciproques…
Richard Labévière, 10 avril 2015
Rédacteur en chef du magazine en ligne prochetmoyen-orient.ch
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