L’hystérie anti-russe.

Yvan Blot
Yvan Blot
Inspecteur général, Ministère de l'Intérieur. Auteur: "La démocratie directe:une chance pour la France", 2012

 

L’hystérie est une maladie mentale. Mais au sens large, elle désigne un comportement affectif excessif et irrationnel, rationnalisé après coup, souvent avec une justification morale, et reflétant en réalité un égo boursouflé par l’orgueil. Ce comportement peut être individuel mais aussi être partagé par un groupe humain solidaire, comme un gouvernement. L’observation clinique du comportement américain depuis la fin de la guerre froide conduit à ce diagnostic : une partie de l’élite américaine est atteinte d’un syndrome d’hystérie anti-russe inquiétant. En effet, cette hystérie est un danger pour la paix dans le monde, et représente aussi une dérive préoccupante pour les Etats-Unis eux-mêmes qui voient leur image se dégrader dans le monde, ce qui entraine un affaiblissement objectif de leur rôle mondial. Une analyse psychologique peut éclairer le phénomène et aider à le contenir.

Nous pouvons utiliser les analyses exceptionnelles du grand auteur russe Dostoïevski. Celui-ci, dans les « Frères Karamazov », consacre sept chapitres aux « hystéries ». Il montre que celles-ci sont fréquentes dans l’espèce humaine et se rencontrent dans tous les milieux. Il décrit l’hystérie du Père Féraponte qui donne des leçons d’ascétisme et prétend converser avec le saint Esprit. Il conclut que ce moine est méchant et orgueilleux. Il étudie ensuite l’hystérie chez le père Karamazov, méchant et cupide. Puis, l’hystérie chez des petits enfants qui se battent à coups de pierre, tous contre un seul. Puis, il étudie des cas d’hystéries amoureuses où l’orgueil joue aussi un grand rôle, et enfin, l’hystérie d’un capitaine chassé de l’armée, humilié par sa pauvreté mais homme d’honneur.

Si l’on recherche les quatre causes de l’hystérie selon le schéma d’Aristote, on constate que l’hystérie au sens large, qui est celle étudiée par le romancier, est un trait de caractère et non une maladie, est due à un débordement d’énergie. C’est la cause matérielle de l’hystérie. Les cerveaux reptiliens et mammifères (instinctif et affectif) ne sont plus sous le contrôle du cerveau rationnel.

L’hystérie va conduire le sujet à s’appuyer sur des prétextes moralisateurs (cause formelle d’Aristote) qui justifient son agressivité contre son entourage, typique du père Féraponte. L’hystérique ne cesse de raisonner et se prétend rationnel pour justifier sa colère. En réalité, pour Dostoïevski, l’hystérie est liée à l’orgueil (cause motrice) qui vient d’une boursouflure de l’égo dans un milieu social qui a renié Dieu (cause finale d’Aristote). Les gens qui ont un égo démesuré sont portés à l’hystérie. Dans les cas les plus graves, l’hystérie peut devenir meurtrière. Elle devient alors criminelle comme l’hystérie antijuive d’Adolf Hitler.

Si l’on analyse les déclarations des dirigeants occidentaux, notamment américains, ou de l’OTAN, comme celles de l’ancien secrétaire général Rasmussen, on est inquiet de constater qu’il s’agit bien souvent de réactions hystériques, dès qu’on aborde le sujet de la Russie. Celle-ci serait agressive, non démocratique, sous-développée, méritant des punitions sévères. Ces accusations ne cadrent nullement avec les faits, mais satisfont les pulsions agressives et égotiques de la volonté de puissance des acteurs.

Ceux-ci affirmeront que la Russie serait agressive parce qu’elle augmente son budget militaire : que dire des Etats-Unis qui à eux seuls, représentent 40%  du total des dépenses militaires de la planète et qui possèdent des bases sur tous les continents, pour soutenir les guerres diverses qu’elles ne cessent de lancer (l’Irak et l’Afghanistan étant des modèles à cet égard car elles n’ont rien de défensif) ?

La Russie serait non démocratique mais l’Arabie Saoudite, alliée des Etats-Unis, qui est une dictature islamiste autoritaire n’a pas droit à ce qualificatif. Par ailleurs, le fait que 80%  de la population soutienne le président Poutine, régulièrement élu, ne trouble pas nos censeurs.  Mais l’Arabie est considérée comme une amie, et la Russie est désignée comme ennemie. Donc l’accusation de ne pas être une démocratie n’est pas opératoire pour l’Arabie saoudite !

On accuse aussi la Russie d’avoir annexé la Crimée. Que le peuple de Crimée ait souhaité cette annexion, que son parlement, puis le peuple consulté par référendum l’ait approuvé, ne compte pour rien. Que la France ait annexé Mayotte, référendum à l’appui, et soit condamnée par l’ONU chaque année ne compte pas. C’est encore le double standard. La France ne concurrence pas les Etats-Unis, on ne la craint pas, donc on la laisse tranquille.

La Russie serait sous-développée : ce serait un pays archaïque, hostile aux homosexuels, traditionaliste, qui ne sait produire que du pétrole et du gaz. La Russie serait d’ailleurs en voie de disparition démographique. Il faut donc la punir pour la contraindre à se moderniser. Peu importe que la Russie soit la seule capable de transporter des hommes dans l’espace vers la station orbitale, peu importe que sa loi contre la propagande homosexuelle  n’a pour but que de protéger les mineurs, peu importe que 75%  de son PIB  vienne d’autres activités que l’exploitation des hydrocarbures, peu importe que la démographie russe se soit redressée depuis trois ans, les faits n’ont aucun intérêt pour l’hystérique. Il est ivre d’idéologie. Il est difficile d’échanger des arguments rationnels avec un ivrogne. C’est ce que fait pourtant avec beaucoup de patience la diplomatie russe, qui ignore les provocations et essaye de faire prévaloir une approche rationnelle et sobre de la situation internationale, que ce soit en Ukraine, en Syrie, ou ailleurs.

L’hystérique ne cesse pourtant de raisonner : car la raison, comme dit Dostoïevski, est aussi une « crapule » : il veut dire par là qu’elle est toujours appelée à la rescousse pour défendre de mauvais instincts. Le rôle de l’idéologie raisonnante est toujours de trouver de bonnes raisons pour défendre de mauvais instincts et de mauvais affects.

Il faut enfin punir la Russie : cela résulte d’un comportement typiquement hystérique décrit par Dostoïevski chez de nombreux personnages, le père Féraponte ou les gamins déchainés contre un des leurs. Il faut diaboliser l’adversaire (le moine Féraponte accuse les autres moines d’être entourés de petits diables). Il faut le frapper pour se venger : c’est ce qui se passe à l’école dans les cours de récréation.

Soit ! Direz-vous. C’est un comportement infantile mais l’adulte peut y échapper. Le psychologue Dostoïevski montre, hélas, que non. L’adulte a des sentiments et des instincts qu’il a du mal à contrôler, surtout s’il n’a plus l’aide de la religion. Beaucoup de dirigeants de l’Occident moderne sont animés par la haine du christianisme, et exigent au minimum sa marginalisation. Ils croient que la « raison » seule commande aux instincts et aux sentiments bien que l’histoire tragique de l’humanité a montré souvent l’inverse.

Comment résister à un partenaire diplomatique hystérique ? Il faut de la patience car l’hystérie consomme beaucoup d’énergie et n’est donc pas éternelle. Il faut associer la raison aux valeurs traditionnelles qui permettent de rechercher le bien commun. Il faut garder confiance (la foi est une forme sacrée de la confiance, ce n’est pas un « savoir » au sens scientifique). Il faut garder l’espérance car l’histoire montre aussi que « le pire n’est jamais sûr ». Il faut enfin avoir de la charité, surtout ne pas juger l’autre du haut d’un tribunal créé pour les besoins de la cause, donc ne pas copier le comportement arrogant de la puissance dominante. Enfin, il faut se garder du mensonge le plus possible, du style de celui du ministre américain Colin Powell expliquant que l’Irak a des armes de destruction massive et qu’une guerre préventive est nécessaire contre ce pays.

Au fonds, sans se faire d’illusions et sans « prendre les canards sauvages pour des enfants du bon Dieu », comme disait De Gaulle,  il faut s’imposer une tenue morale exemplaire conforme aux valeurs de notre vieille civilisation chrétienne humaniste. C’est exactement ce que font avec talent le président de la Russie et son ministre des affaires étrangères.

Il faut aussi faire confiance à plus long terme dans les peuples. Aux Etats-Unis, 50%  du peuple se montre aujourd’hui hostile à l’aventurisme en matière de politique extérieure. L’hystérie règne dans des milieux élitistes, ivres de puissance depuis l’effondrement de l’URSS, en proie à ce que les Grecs appelaient l’hybris (l’excès). Or l’hybris se heurte à l’ordre du monde et se retourne toujours un jour contre ceux qui en sont la proie. On peut trop boire et devenir ivre. L’ivresse ne se limite pas à l’alcoolisme. On peut être ivre d’idéologie, en général par orgueil. Mais l’histoire montre que cette ivresse se calme d’elle-même ou qu’elle est vaincue par sa propre irrationalité.

Les hommes qui poussent l’Occident à la russophobie ne « savent pas ce qu’ils font » et jouent avec le feu des forces de la mort. De Gaulle a dit : les puissances qui misent sur la pourriture périront car leur propre pourriture se retournera contre eux. Le propos est sévère mais réaliste.

Prenons l’hystérie pour ce qu’elle est en lui opposant le droit et la sagesse. L’histoire montre que c’est le meilleur pari. Le malheur en Occident est le déclin de la culture historique chez certains dirigeants. Celui qui ignore l’histoire répétera les fautes du passé. Ainsi, Hitler voulu copier Napoléon. En s’attaquant à la Russie, il a signé son propre arrêt de mort. L’intérêt du monde est d’accorder l’Europe et la Russie. L’Amérique a peur d’un tel accord mais il est inéluctable. La peur mène à l’hystérie. La connaissance de l’histoire conduit au retour à la sagesse ! Sophocle le tragique a écrit que l’homme apprend par la souffrance : essayons cette fois de lui donner tort !

Ivan Blot, 21 décembre 2014

A paraître également dans la Voix de la Russie.

4 commentaires

  1. Posté par Sancenay le

    Très solide démonstration.Puisse-t-elle servir abondemement la paix mondiale sérieusement menacée par cette hystérie qui peut apparaître également comme une fuite éperdue en avant devant l’échec global des matérialismes du siècle dernier réunis désormais dans ce qui est censé tenir lieu de doctrine mondialiste, soit le vide et le néant.

  2. Posté par Anonyme le

    Merci pour cet article

    Voici ce que j’en pense :

    -Heureusement qu’il y a quelques Américains honnêtes, comme Paul Craig Roberts, qui mettent en garde sur les dangers que cette hystérie pèse sur la société américaine
    -En revanche, trop d’Américains ont cette vision manichéenne du monde qui s’inspire de la “destinée manifeste”
    -Hitler était arrivé au pouvoir en 1933 à cause du sentiment d’humiliation qui était particulièrement répandu en Allemagne. S’il devait y avoir un quatrième Reich, d’ici quelques années, il est très fort probable que ce sera l’Empire américain
    -Les néoconservateurs sont faibles en critiquant l’Arabie Saoudite, mais prennent un ton beaucoup plus agressif quand il s’agit de l’Iran ou la Russie. Le fait est que si le gouvernement saoudien ne soutient pas les Frères musulmans en Égypte, il soutient néanmoins un groupe salafiste encore plus extrémiste, qui est le Parti de la lumière
    -Contrairement à ce que disent les propagandistes atlantistes, la communauté internationale ne condamne pas l’annexion de la Crimée, mais préfère s’en tenir à sa neutralité
    -Tant que la France continue d’être un allié des Etats-Unis, les Français pourront avoir la sympathie des Américains, mais attendez que Marine Le Pen remporte les élections de 2017 et voyez ce qui va se passer (parce qu’il paraît que la gauche française est généralement plus pro-américaine que la droite française)
    -Poutine n’est pas un ennemi de la civilisation occidentale et chrétienne, sauf si bien sûr on amalgame le christianisme et le protestantisme, ce qui est très commun aux États-Unis. Il y a ces chrétiens fondamentalistes qui prétendent que tous leurs ennemis sont des démons qui envient la “Terre d’Israël” (ce qui est faux, parce que Poutine avait déclaré qu’il ne permettrait jamais la destruction de l’Israël, en plus que c’est un pays essentiellement russophone)
    -Enfin, je témoigne beaucoup au sujet de l’intimidation à l’école. Je suis encore très jeune et je peux dire que plus d’étudiants devraient se tenir prêts à tenir tête à leurs agresseurs

    J’ajouterais que j’aime vraiment commenter sur ce site

  3. Posté par Pierre H. le

    Le pauvre Obama est plus victime de ses marionnettistes du Nouvel Ordre Mondial desquels il prend ses ordres que de son hystérie 😉

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