Il y a quelques semaines, je voyais à la télévision une belle jeune femme voilée, d'Égypte ou de Lybie, s'exclamer qu'on lui avait volé la révolution. Cela me mit en rage. Non pas du tout contre elle, mais contre cette idole abrutissante de notre temps qu'on appelle révolution. Cette jeune femme avait été piégée par de beaux discours d'intellectuels parisiens comme BHL. Les petits marquis médiatico-politiques qui nous gouvernent considèrent en effet qu'un grand élan populaire contre un régime déclaré tyrannique par la très éminente communauté internationale, c'est toujours très bien, peu importe ce qui naîtra de ce grand élan. Michel Onfray, dans l'un de ses cours de l'université populaire le relève : les actuels conseillers des princes qui nous gouvernent sont tombés si bas dans leurs cogitations qu'il suffit, selon eux, de casser une tyrannie pour voir naître, comme par enchantement, une très pure démocratie. C'est encore mieux qu'une immaculée conception. Il est vrai qu'il y a une variante : « nation building ». Cette seule expression fait trembler les experts d'émotion. Ils se voient reconstruisant rien moins qu'une nation après le renversement d'un tyran, activité qui exige évidemment de généreux subsides de la part de la communauté internationale.
Le problème est que le populisme est aussi un grand élan populaire. Curieusement, il est loin de séduire autant qu'un peuple en révolte contre un tyran. En fait, devant le populisme, les sages autoproclamés de nos quotidiens ou de la RTS, peuvent à peine retenir un cri d'effroi. Il annoncerait un affreux régime et l'on ne saurait trop s'en méfier
Selon les vues de nos chers journalistes, l'élan du populisme n'a donc rien à voir avec un élan populaire débouchant sur une révolution. L'élan populiste débouche sur un affreux monstre fasciste, tandis qu'un élan populaire, lui, annonce des lendemains qui chantent avec des chœurs démocratiques. L'élan populaire est de gauche, progressiste, tandis que l'élan populiste est de droite et réactionnaire. Ce n'est pas toujours facile à comprendre, mais puisqu'on nous dit que c'est ainsi...
Donc, devant l'élan populaire d'une révolution, nos "élites" font de larges courbettes. Quant à ce qui adviendra des peuples qui auront fait une révolution, ce n'est pas leur problème. Terreur, extermination, déplacement de population, ça ne les intéresse pas. Si horreurs il y a, il faut continuer sur le chemin de la révolution et de la démocratie. Un jour, la terre promise surgira, comme par magie.
Hannah Arendt estimait que, de toutes les révolutions modernes, seule l'américaine avait réussi. Pour elle, les dérives des révolutions modernes dans le sang et l'arbitraire provenaient de l'esprit rousseauiste qui les avait inspirées.
Rousseau était trop intelligent pour ne pas voir que ses propositions politiques étaient incohérentes, que finalement l'homme n'était ni bon ni méchant, que le renversement d'une monarchie peut conduire au désastre. Tout cela, il l'a très clairement énoncé lui-même. Alors comment l'esprit de son œuvre a-t-il pu pourrir les grands élans révolutionnaires de Paris à Moscou, d'Alger à Pékin, de Phnom Penh à Cuba ? Comment ce penseur genevois, dont les ouvrages ont été mis à l'index, qui a lui-même été tant persécuté qu'il en est devenu, pour un temps paranoïaque, comment donc a-t-il pu exercer une influence profonde et malsaine sur toute la planète ?
Il a une fois écrit que les chrétiens sont de médiocres soldats. Son explication était lumineuse. Suivre le Christ, c'est être en marche vers un royaume céleste et non point terrestre. Lorsqu'il s'agit de défendre son pays, le chrétien fera son devoir, mais sans plus. Et lorsque son pays sera sur le point d'être rasé et ses habitants exterminés, cela ne l'affligera pas trop puisqu'il est en marche vers une communauté céleste, une cité de Dieu. Bref, il ne se battra pas jusqu'au bout et sera donc un médiocre combattant. Conclusion de Rousseau : un bon citoyen ne sera pas chrétien. Son dieu, ce sera sa patrie et, pour elle, il sera prêt à se battre à mort. Depuis le dix-huitième siècle, effectivement, tout se fait par le peuple, pour le peuple, avec le peuple qui est ainsi devenu le nouveau Dieu des Modernes et Rousseau son Moise. Et tout comme Moise a emmené son peuple vers la terre promise, Rousseau emmène l'humanité vers un pays de lait socialiste et de miel communiste. Quant à la révolution, elle est comme le passage de la Mer rouge, laissant loin derrière elle les affreux pharaons de ce monde.
Le problème est qu'une fois la révolution faite, tout reste à faire, et que dans l'inévitable chaos post-révolutionnaire, les pires instincts se déchaînent. Les juifs ont dû attendre 40 ans dans le désert après le passage de la Mer rouge pour se purifier de leurs pires instincts et surtout du pire d'entre eux, l'idolâtrie. Pour les Modernes, quarante ans, c'est beaucoup trop long. Quant à se purifier, très peu pour eux. Résultat, des clans entrent en lutte pour le pouvoir en s’exterminant les unes les autres, comme on l'a vu dans la terreur en France, dans les purges staliniennes en Russie.
Le monde tremble aujourd'hui devant la diffusion du virus Ebola. Comparé au virus de la révolution, c'est un tout petit Gremlin devant un très gros Godzilla.
Jan Marejko, 11 août 2014
Et vous, qu'en pensez vous ?