Qui trop embrasse mal étreint…

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire

 

Le mieux est l’ennemi du bien… Tout ce qui est excessif est insignifiant… Qui trop embrasse mal étreint… Les phrases abondent pour rappeler que la mesure est le plus sûr moyen de donner du poids et de la solidité à ce qu’on dit ou que l’on fait. La profusion des cérémonies commémoratives, la longueur et l’intensité des effusions  risquent d’éveiller la lassitude et de susciter le doute. La réconciliation franco-allemande n’a rien de neuf. La première accolade eut lieu lors de la signature du Traité de l’Elysée en 1963. Digne, mais visiblement très sincère elle réunissait deux grands hommes politiques, les véritables détenteurs du pouvoir dans leurs pays respectifs, l’Allemand Konrad Adenauer et le Français Charles de Gaulle. Tous deux avaient combattu le nazisme après avoir connu la première guerre. Tous deux s’attachaient au redressement de leur pays. Mais Adenauer avait craint le « nationaliste » de Gaulle. Leur rapprochement était une reconnaissance réciproque, une vraie rupture positive avec le passé et un acte, le traité. L’embrassade prolongée et surjouée entre le Président Gauck et le Président Hollande est du domaine du symbole et de la réédition. Elle ferait partie du rituel normal dans toute société soucieuse de préserver ses valeurs, si cet étalage commémoratif ne faisait pas apparaître l’abîme qui se creuse entre les gestes et les paroles des hommes politiques occidentaux et l’horreur du monde que l’épanchement de leurs bons sentiments ne cherche nullement à réduire. La première guerre mondiale a provoqué l’hécatombe de jeunes générations qui ont cruellement manqué à l’Europe, et singulièrement à la France. Il faut bien sûr saluer l’héroïsme et l’esprit des soldats qui ont enduré dans les tranchées des souffrances inimaginables. Mais l’obsession d’un passé tragique et absurde doit-elle masquer l’impuissance devant le présent ?

Comme Jacques Bainville l’avait montré, la Grande Guerre avait conduit à une victoire glorieuse mais doublement illusoire. Elle était issue de la politique européenne stupide menée par la France après la chute de la monarchie. Les capétiens avaient maintenu nos voisins allemand et italien dans la division. Les républicains et les deux Bonaparte ont favorisé l’unité de ces deux pays. Celle de l’Allemagne a été une catastrophe pour la France. Les traités qui ont suivi la victoire de 1918 ont abattu les empires et appliqué le principe des nationalités en émiettant une Europe qui est ainsi devenue une proie facile pour le Reich nazi. Avant 1914, l’Europe dominait le monde et y faisait régner son ordre. On peut dénoncer cette époque de l’impérialisme et du colonialisme triomphants. Faut-il pour autant se cacher la réalité actuelle d’une Europe plongée dans ses commémorations et impuissante dans le monde ? Après deux guerres l’Europe est devenue un satellite américain. La Pax Americana entrevue au lendemain de la chute de l’URSS a tourné au cauchemar. L’Iran perse et chiite, l’islamisme sunnite le plus virulent se font face dans un monde musulman qui multiplie les conflits, développe le terrorisme et installe l’intolérance, du Nigéria jusqu’à Bruneï  dans une hallucinante résurrection du passé le plus obscur. L’absence de réaction militaire des Occidentaux dans une Libye à feu et à sang, au Nigéria où les enlèvements de jeunes chrétiennes converties et « mariées » de force ont lieu régulièrement, en Irak où l’EIIL est victorieux et persécute odieusement les Chrétiens et les Chiites, contraste étrangement avec les célébrations des guerres du passé et les paroles pacifistes déversées en abondance à cette occasion. L’impuissance de l’Occident atteint son sommet dans le prolongement sans fin du conflit israëlo-arabe, ce minuscule baril du poudre toujours menacé d’explosion depuis la création d’Israël. Certes, il ne faut pas bombarder les écoles, mais il ne faut pas non plus lancer des rockets sur les kibboutz. Le fait qu’on ait livré des armes ou laissé livrer des armes aux belligérants donne aux condamnations actuelles des âmes pures aux mains blanches qui font semblant de nous gouverner entre deux commémorations une dimension hypocrite insupportable.

Enfin, il y a une autre réalité qu’obscurcissent les embrassades franco-allemande. Elle n’est pas agréable. La guerre économique est une continuation de la guerre par d’autres moyens, certes avec moins de souffrances. Néanmoins, depuis l’accolade d’Adenauer et de Gaulle en 1963, cette guerre a été gagnée par l’Allemagne grâce à un système plus efficace et des responsables politiques et syndicaux plus courageux et soucieux du Bien Commun. La compétitivité allemande fondée sur la qualité des produits et les réformes sur les coûts a distancé la France obligée aujourd’hui de remettre en cause des critères et des règles qu’elle avait proposés, comme les 3%… Cette situation est humiliante et nous fait prendre conscience du fait que l’Allemagne pèse à nouveau plus que nous en Europe.

Christian Vanneste, 4 août 2014

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