Oxford, 20.06.2014 – L’expérience de Petraeus au Kurdistan, au CENTCOM et à la CIA en fait un conseiller « central » dans les décisions à prendre désormais par l’administration américaine, d’intervenir en Irak.
Le passage du Général David Petraeus à Oxford le 20 juin dernier, pour une discussion avec son ancien second en Afghanistan, le Général Sir Nick Parker, a eu lieu sous la règle de Chatham House. Nous nous garderons bien de trahir cette dernière. Mais ce passage en Grande Bretagne au moment où l’Irak est à nouveau dans une situation de chaos a de quoi faire réfléchir.
La visite du Général Petraeus a été organisée par le Changing Character of War Programme de l’Université d’Oxford, dirigé par Rob Johnson et dont le conseil d’administration est présidé par l’historien Sir Hew Strachan, qui a également modéré le débat à l’Oxford Union Debating Chamber.
Du terrain à la politique
Le Général Petraeus a une carrière impressionnante. Né en 1952, il a passé 32 ans au sein de l’Armée américaine, qu’il a rejoint en 1974 alors que cette dernière était en pleine transition de la guerre anti-insurrectionnelle vers la guerre européenne à haute intensité contre le Pacte de Varsovie. Mais en tant que parachutiste, il a connu les limites de cette transformation – au travers des interventions en Amérique latine dans ce qu’on a souvent appelé les « brushfire wars » ou conflits de basse intensité.
Commandant de la 101e division aéroportée en Irak, il s’est fait remarquer pour son succès dans la stabilisation du Kurdistan. Nommé commandant de Fort Leavenworth, il a été à l’origine de la rédaction en moins d’un an d’un manuel doctrinal sur la « contre-insurrection » (FM 3-24 COIN) (1) qui a marqué à partir de 2006 un tournant important de la situation sur le terrain en Irak, en partie au moins en raison de l’engagement de 20'000 soldats supplémentaires – connu sous le terme de « surge » en 2007.
Promu commandant du CENTCOM de 2008 à 2010, il a permis le redressement de la situation et un progressif transfert de l’autorité au gouvernement irakien. Il a ensuite pendant un an conduit l’ISAF en Afghanistan, remplaçant dans l’urgence le Général McChrystal débarqué par le Président Obama. Ceci avant de devenir pendant un peu plus d’un an, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA).
Quelle intervention en Irak ?
La question d’une intervention américaine ou non est académique. En effet, il est clair que les Etats-Unis doivent intervenir en Irak et empêcher la déroute de l’armée qu’ils ont formée – car la débandade de l’armée géorgienne puis de l’armée malienne, toutes deux formées par les forces spéciales américaines fait tache d’encre…
La vraie question est donc celle de la justification. Puis viendra celle de la méthode.
Dans une interview accordée à NBC, après sa réunion avec de hauts fonctionnaires britanniques de la communauté du renseignement, à Londres, le Général Petraeus a déclaré qu’il fallait soutenir le Gouvernement central, sans devenir le soutien d’une faction –certes majoritaire- anciennement opprimée par les Baasistes. Et c’est là tout le problème : le Gouvernement à majorité shiite du Premier ministre Nouri al-Maliki s’est rapproché de l’Iran, a abandonné les minorités nationales, et appelle désormais à l’aide les éléments les plus confessionnels et les plus radicaux comme l’armée du Mahdi de Muqtada al-Sadr pour défendre les lieux saints du shiisme.
Petraeus s’est exprimé contre le soutien inconditionnel de Maliki, affirmant que les Etats-Unis ne pouvaient devenir la force aérienne d’un parti au conflit. Il faut une approche plus générale, inter-agences et interalliée. Il faut aussi une réorganisation de l’armée, actuellement articulée selon un ancrage territorial et local, incapable de concentrer ses forces et de mener des opérations de grande envergure, autonome. Il faut un frein au financement et au soutien de l’Etat islamique en Irak et au Levant – même si cela paraît aujourd’hui bien dérisoire et bien tard. Il faut veiller aux conséquences de l’engagement du Kurdistan irakien dans un conflit qui peut déboucher sur un ballotage complet de la carte de la région. Mais il faut surtout un Gouvernement irakien moins partisan et plus interconfessionnel.
L’armée irakienne a été rebâtie sur des bases locales et confessionnelles. Malgré les efforts des Américains et de leurs alliés, elle n’est pas perçue comme une armée nationale. Les « conseillers » américains ont appris de leurs erreurs et à partir de 2006, ont tenté de réintroduire les anciens militaires –souvent Baasistes- qu’ils avaient eux-mêmes écartés. Mais le Gouvernement actuel ne veut pas en entendre parler.
Ce qui se joue en ce moment est donc bien l’unité du pays et de ses institutions, à commencer par son armée. Les 300 conseillers américains auront donc fort à faire. Et au vu de l’accélération des évènements, ils ne suffisent déjà plus à réorganiser et encourager une armée pourtant bien dotée et bien entraînée aux échelons inférieurs, mais qui s’effondre au niveau tactique et opératif.
Une armée ne s’improvise pas. Former des soldats à manier une carabine ou à un mortier peut se faire en quelques semaines. Mais former une organisation complexe, qui doit avoir la confiance et le respect de l’autorité politique et du Droit, qui doit être engagée dans un environnement urbain, sous le regard de la population et des médias, et qui doit donc mesurer sa force, voilà qui prend des années.
Quand la crise éclate, il est généralement trop tard pour les grands principes et les consensus. Il faut des mesures d’urgence, parfois en dehors de la stratégie convenue., parfois à l’encontre de quarante ans de dogmes établis. Il reste maintenant à savoir quel est le prix que les USA sont prêts à mettre pour sauver l’Irak et éviter un nouvel embrasement du Moyen Orient.
Alexandre Vautravers, 22 juin 2014
Visiting Fellow, University of Oxford
(1) http://armypubs.army.mil/doctrine/Active_FM.html
(2) http://www.nbcnews.com/storyline/iraq-turmoil/david-petraeus-u-s-cant-be-air-force-iraqs-militias-n135311
“pour sauver l’Irak et éviter un nouvel embrasement du Moyen Orient.”
C’est vrai que les Américains sont les spécialistes du sauvetage de l’Irak. Contre leurs alliés wahhabites et dans l’intérêt de leurs meilleurs ennemis, les Iraniens.