“La barque n’est pas pleine”

Stevan Miljevic
Enseignant

Ces jours, les enseignants romands ont reçu une proposition de projet d’éducation à la citoyenneté mondiale répondant au doux titre de La barque n’est pas pleine. Il est à noter que ce dispositif est une co-production d’Education21 avec AllianceSud notamment, acteur qui se définit lui-même comme ayant pour but d’influencer la politique suisse (2). Tout est dit ou presque.
Alors je ne sais pas si la barque est pleine, mais ce dont je suis sûr c’est que la coupe, elle, l’est.

Education21 est une obscure officine mandatée par la conférence des départements de l'instruction publique (CDIP) pour promouvoir l'éducation au développement durable. Son financement est notamment garanti par des contributions de la Confédération et des cantons (1). La notion de développement durable est à géométrie variable puisqu'on peut justifier à peu près n'importe quoi comme étant du domaine du développement durable. On peut par exemple dire qu'une voiture américaine des années 60 engloutissant des quantités astronomiques de carburant est une contribution au développement durable puisque les pièces qui la composent sont essentiellement mécaniques, aisément constructibles et remplaçable. Par conséquent, la durée de vie du véhicule sera fort longue et il n'aura pas besoin d'être remplacé. A l'inverse, un véhicule dernier cri consommera nettement moins et peut donc être estampillé développement durable. Mais sa durée de vie sera bien plus courte. Par conséquent, le coût énergétique de son remplacement contribuera à ne pas en faire quelque chose de plus orienté développement durable que notre américaine.

Ce qui est valable pour les voitures l'est aussi dans bon nombre de sujets. Que ce soit l'énergie ou les flux migratoires, les questions religieuses ou climatiques, l'économie ou le social, l'ensemble des sujets les plus politiquement engagés sont potentiellement des thématiques de développement durable. Et vous pouvez compter sur les activistes de chacun des différents camps pour vous expliquer que son point de vue est celui qui colle le plus à l'idée de développement durable.

En fait, à bien y réfléchir, et puisque le nombre de sujets potentiellement concernés ainsi que les divers points de vue sont presque sans fin, il faut bien reconnaitre que la problématique du développement durable au niveau scolaire n'en est pas une, qu'elle est en fait un cache sexe permettant de faire entrer la politique à l'école. Dans le meilleur des cas, c'est sous la forme de débats que cette entrée va se faire, alors que dans le pire on assistera à un véritable formatage idéologique. Bien entendu, l'un n'exclut pas l'autre et un débat orienté est certainement la meilleure manière de manipuler des jeunes encore en formation. Dans tous les cas, de mon point de vue, la politique n'a pas sa place à l'école.

Le rôle de l'école est de créer les potentialités nécessaires à la participation démocratique. En acquérant des connaissances, le jeune devient capable de comprendre les positions de tout un chacun et de les évaluer. La lecture lui permettra de se renseigner plus à fond sur un sujet qu'il ne maitrise pas forcément alors que les mathématiques lui donneront une base pour évaluer l'utilisation des chiffres dans le débat. Les branches dites secondaires lui forgeront une culture générale de repaires lui permettant de comprendre certains rapprochements évoqués, de faire des liens avec le passé, de comprendre le fonctionnement des institutions ainsi qu'une somme de connaissances permettant à son esprit d'apprendre plus vite (il est en effet aujourd'hui démontré que plus nous possédons de connaissances, plus nous en acquérons de nouvelles facilement). Pour le reste, apprendre le débat se fait naturellement avec l'entrée dans l'âge de la citoyenneté. L'école n'a pas besoin d'y contribuer.

Ayant suivi l'école obligatoire, le jeune citoyen devrait donc être apte à se pencher sur les questions politiques et de raisonner par lui-même pour se faire une idée. Il n'est dès lors pas nécessaire de faire entrer la politique proprement dite à l'école. Plus encore, ce n'est pas non plus souhaitable pour au moins deux raisons: d'une part, des risques de manipulation existent. Le principe de précaution voudrait donc qu'on protège les jeunes encore influençables de ce genre de pratiques (qu'elles soient voulues ou non, la manipulation n'étant pas toujours consciente). D'autre part, le temps que l'on consacre en classe à ces problématiques est un temps qu'on ne consacre pas à développer d'autres sujets pouvant ouvrir des potentialités plus vastes. Mais cela, certains ont de la peine à le comprendre.

C'est ainsi que ces jours, les enseignants romands ont reçu une proposition de projet d'éducation à la citoyenneté mondiale répondant au doux titre de La barque n'est pas pleine. Il est à noter que ce dispositif est une co-production d'Education21 avec AllianceSud notamment, acteur qui se définit lui-même comme ayant pour but d'influencer la politique suisse (2). Tout est dit ou presque. Avant d'entrer un peu plus dans le détail à ce sujet, relevons qu'il n'est déjà pas correct de parler de citoyenneté mondiale puisque celle-ci n'existe tout simplement pas! La citoyenneté est indissociable d'une entité étatique et, jusqu'à preuve du contraire, il n'en existe aucune qui recouvre la totalité du globe. Plus encore, et puisque l'offre provient d'un organisme agrée par des instances officielles, on peut légitimement se demander ce que cherche un Etat lorsqu'il promeut une citoyenneté autre que la sienne. Mais ne chipotons pas trop sur les mots.

La séquence en question s'avère nettement plus problématique dès lors qu'on y jette un oeil. Ses concepteurs la décrivent comme faisant écho à la récente initiative du 9 février 2014 et d'affiner en précisant qu'elle présente un mouvement de désobéissance civile en Suisse qui, de surcroit, fait plier le Conseil fédéral. Le mouvement dont il est question est l'"Action places gratuites", révolte menée contre la politique menée par les autorités fédérales qui, à la suite du coup d'état du général Pinochet au Chili le 11 septembre 1973, a limité l'accueil des réfugiés à 200 individus.

Ainsi donc, suite à une initiative consistant justement à limiter le flux migratoire (et donc le nombre de réfugiés par là-même) et que certains ont encore au travers de la gorge, un organisme financé par le contribuable se permet-il de faire la promotion dans le milieu scolaire public d'un mouvement poussant à s'opposer au choix fait par la majorité de la population sous couvert d'éducation au développement durable.

Si je n'ai pas l'impression qu'il y ait quoi que ce soit dans ce projet qui favorise d'une quelconque manière un éventuel développement durable, en revanche, je suis à peu près certain que la remise en cause des décisions démocratiques est une atteinte forte à la solidité de nos institutions. A agir de la sorte, il ne faut pas s'étonner si la population dénigre et boude le processus démocratique. On ne peut pas dans le même temps lui faire accepter et apprécier les règles du jeu démocratique tout en présentant des exemples incitant à aller à l'encontre de ce qui vient d'être voté.

Alors je ne sais pas si la barque est pleine, mais ce dont je suis sûr c'est que la coupe, elle, l'est.

Stevan Miljevic, le 25 mai 2014

stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://www.education21.ch/fr/education21/portrait consulté le 25 mai 2014

(2) http://www.alliancesud.ch/fr/qui-sommes-nous/les-objectifs-d2019alliance-sud

3 commentaires

  1. Posté par Marco le

    Excellent article. Bravo! C’est l’exemple même de la vigilence que nous devons avoir avec nos enfants.
    Former des enfants à des vues socialistes, c’est le programme de la gauche qui a toujours voulu avoir le contrôle de l’éducation. On le comprend aisément. Ce programme Education 21 est un scandale…un de plus.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    « Dévelopement durable »? Quésako? Une invention de singe savant assurément. Une incursion, pacifique, dans le Robert m’apprends que le « développement durable » correspond aux besoins présents et ne compromet pas la satisfaction de ceux des générations futures! Waow! Vaste programme! Donc la règle chinoise implique que plus d’un enfant par couple compromet les générations futures? Elle est abrogée ou en voie de l’être. Mais elle seule en dit long, et beaucoup, sur l’homme, l’Humain!
    Contre-exemple? La pieuvre! Elle se réfugie dans un « repère », pardon, un repaire pour enfanter et n’en sort plus! Elle nourrit ses petits jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. Ce faisant elle meurt de faim. Elle se sacrifie! Elle a beaucoup à nous apprendre, la pieuvre aux neuf cerveaux.

  3. Posté par Pierre Cocasse le

    Tout cela sous couvert du Conseil Fédéral : les conseillers fédéraux sont des magouilleurs dont il faut se méfier absolument et certainement pas des démocrates puisqu’ils ont peur des citoyens.

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