Pierre Veya, rédacteur en chef du Temps, s'essaie à l'exercice de tir contre l'avion de chasse suédois Gripen (édito du Temps du jour, titre papier: "Aviation militaire: pas si vite M. Maurer!").
Pour avoir publié dans ses propres colonnes, il y a tout juste un mois, l'excellente Marie-Hélène Miauton en ces termes:
"Bien sûr, les adversaires de l’armée viendront raconter que le Gripen n’est pas le bon avion. Nous connaissons cela pour l’avoir entendu à chaque fois qu’il a fallu renouveler notre flotte",
Pierre Veya se fait par conséquent relativement discret sur les aspects technologiques pour se contenter d'arguer que le Gripen E ne serait qu'un "prototype". Cet argument, emprunté aux référendaires, selon lequel le Gripen ne serait qu'un "avion de papier", qui n’aurait "pas encore volé une seule minute", fait tout de même abstraction du fait qu'il s'agit là de la mise à jour d'un modèle fonctionnel depuis... 1988.
Ce genre de débat est sans issue, le Gripen E est une variante du Gripen NG (pour Next Generation) qui se contente d'implémenter les derniers progrès en matière d'avionique militaire, ce qui semble pour le moins naturel. Si le constructeur suédois Saab avait vendu la version A, de 1996, les opposants auraient, avec raison, crié à l'obsolescence. S'il vend aujourd'hui, sur plan, la dernière version d'un modèle qui en compte neuf, c'est un avion qui n'existe pas et qui n'a encore jamais volé... L'on se trouve bien dans le registre d'une campagne politique. D'autant plus que la modularité de l'offre est l'une des particularités de Saab, qui taille ses avions sur mesure, à la demande du client, plutôt que d'imposer un modèle fixe dont les "helvétisations" coûteraient une fortune. Quand on sait que l'avion ne doit pas être livré avant 2018, l'on se demande bien pourquoi la gauche tient absolument à voler sur une version de 2014... Quand un constructeur automobile sort la deuxième série d'un modèle qui a rencontré le succès, il ne vient à l'idée de personne de parler de voiture qui n'aurait "jamais roulé"; simple question de bon sens.
Emplâtres
Pierre Veya sous-entend encore que notre pays serait le premier à voler sur ce "prototype", ce qui ne serait pas sans risque et, assure-t-il "nous vaudra (peut-être) d’essuyer les premiers plâtres". C'est oublier, hélas, que l’Afrique du Sud, la République tchèque, la Hongrie et la Thaïlande volent déjà les versions les plus récentes, que le Brésil exploitera les derniers NG et que la Suède engagera 60 exemplaires de la version E dès 2018... Quant à l'affirmation du journaliste selon laquelle la dernière mouture de Saab "n’enthousiasme pas les pilotes", on ne sait pas d'où elle sort. Elle paraît d'ailleurs fortement sujette à caution tant l'avionneur suédois abreuve son monde d'avis dithyrambiques de pilotes d'essai issus de la très neutre Helvétie. A notre connaissance, les référendaires n'ont su trouver qu'un seul militaire publiquement négatif à l'endroit du Gripen, Urs W. Honegger, capitaine d'infanterie à la retraite... On a déjà fait plus offensif.
Mais ce n'est pas cela, fondamentalement, qui semble gêner Pierre Veya, lequel emploie encore tout un paragraphe à reprocher à Ueli Maurer d'avoir voulu parer aux arguments traditionnels de ses opposants en cherchant à faire des économies, "un peu comme l’automobiliste qui rêve d’une nouvelle voiture mais achète finalement un modèle plus économique pour ne pas devoir justifier son choix à son épouse". L'on nous permettra de ne pas céder totalement à un argument émanant d'un courant remettant en cause jusqu'au principe même de défense nationale et qui se fend d'un reproche aux autorités de ne pas y avoir consacré assez de moyens. C'est sans doute ce qui nuit le plus à la position des référendaires, la facilité avec laquelle ceux-ci semblent s'être affranchis de la plus élémentaire notion d'honnêteté intellectuelle.
Idéologie
Car c'est bien d'une question de principe qu'il s'agit. Le rédacteur en chef du Temps en vient enfin à l'essentiel pour dénoncer l'esprit qui anime le conseiller fédéral UDC:
"Si le Gripen peine tant à nous convaincre, c’est en raison de son principal avocat, Ueli Maurer..."
Mais qu'a-t-il fait de si grave cet Ueli Maurer ? Il:
"Cultive l’image d’une défense autonome et s’imagine le héros d’une île au milieu d’un océan hostile, épargnée par les grandes ruptures technologiques. Il nous parle de l’armée d’il y a trente ans et non de celle du futur."
Parce que Pierre Veya a une idée très précise de l'armée du futur et des "ruptures technologiques", et le Gripen ne saurait en faire partie, non pour des raisons strictement techniques mais plus volontiers philosophiques. Lisons plutôt:
"C’est un constat largement partagé: le Gripen est un élément stratégique d’une défense nationale. Le cadre de réflexion est, lui, ancien: celui du XXe siècle. Le nouvel avion ne s’inscrit pas dans une vision plus moderne des armées, qui combine nouvelles menaces et technologies avancées."
Mais qu'est-ce à dire ? Analysons.
Analyse
La dentelle des allusions nous contraint à être très précis, la locution:
"C’est un constat largement partagé: le Gripen est un élément stratégique d’une défense nationale",
est un reproche.
En effet, pour Pierre Veya, la notion de défense nationale entend deux concepts distincts:
1. L'idée que les nations existent.
2. L'idée qu'elles puissent être menacées.
De toute évidence, Pierre Veya partage l'opinion que la nation est un concept appartenant au passé, au "XXe siècle", issu d'un "cadre de réflexion [...] ancien", relatif à "l’armée d’il y a trente ans". Le diagnostic est simple, Pierre Veya est internationaliste.
L'internationaliste nie la nature protectrice de la nation et, par conséquent, la légitimité de son existence. Il fonde cette négation sur la conviction que la menace ne peut plus exister. Pendant la guerre froide, l'internationaliste s'employait à convaincre que l'URSS était un facteur essentiel de paix mondiale. Après la chute du mur, l'internationaliste veut bien admettre qu'une menace ait pu exister mais s'oppose formellement à ce qu'elle puisse continuer de subsister et, partant, de justifier une quelconque réaction de défense. Car l'internationaliste est aussi évolutionniste, ce que l'homme a pu connaître par le passé, il ne pourra plus le connaître, il a progressé, transcendé qu'il a été par la révélation de la révolution internationaliste. D'où la référence explicite à la fin de la menace soviétique, "l’armée d’il y a trente ans", qui pouvait justifier un "cadre de réflexion" à l'ancienne, mais uniquement pour fonder l'idée selon laquelle cette menace est morte et qu'il n'y en aura jamais plus de semblables. L'homme a changé, grandi, il ne fera plus jamais la guerre. L'idée va même plus loin, les nations se font la guerre, supprimons les nations pour supprimer la guerre. Il faudra aussi, par la suite, supprimer l'argent, la propriété, certains aspects du caractère humain, etc.
Reste qu'à l'instar de son prédécesseur du XXe siècle, l'internationaliste du XXIe affirme une foi aveugle dans le conglomérat supranational qui a pris la suite du précédent: aujourd'hui, l'Union européenne. Ainsi, c'est un axiome de base, l'Union européenne et les nations qui la composent ne peuvent représenter de menace pour la Suisse. Pourquoi cela ? Parce que, dans la vision de l'internationaliste, la notion même de Suisse, appelée à se fondre dans l'Union européenne, a cessé de soutenir sa propre réalité, elle a cessé d'exister parce que, dans l'idée, elle doit cesser d'exister. L'idée de nation de Pierre Veya est purement réactionnaire, elle n'est appelée à exister que si elle doit réagir à une menace; supprimez la menace, vous supprimez la nation. Il n'y a pas de menace, il n'y a pas de Suisse, CQFD !
Or, Pierre Veya n'a pas supprimé la menace mais seulement l'origine étatique de toute menace. Si l'Etat, l'autorité, n'est plus d'origine nationaliste, alors il est internationaliste et n'est plus, par conséquent, sujet à la critique des internationalistes. Le conglomérat supranational ne menace pas la nation, il combat le nationalisme sous-jacent qui empêche ce grand projet de paix mondiale par fusion des nations. C'est cette vision qui explique que, tout en défendant le dogme démocratique, les tenants de cette idéologie ont fortement combattu la démocratie directe après, par exemple, le 9 février dernier; démocratie directe qui associe principe démocratique et indépendance nationale. La démocratie ne peut être bonne, admissible, que si elle sert à affranchir de l'idée de nation.
La menace existe donc toujours mais ne peut être, elle aussi, qu'internationale et indéfinie. Ainsi, l'alliance politico-médiatique ne s'accorde-t-elle plus à reconnaître comme seule et unique menace "moderne" que les cyberattaques et le terrorisme international (par extension, les extrémismes, forcément d'origine communautaire ou nationaliste). Soit deux objets qui échappent encore à l'influence définitive des conglomérats supranationaux. Il est tout de même particulièrement relevant de constater que ceux-là mêmes qui exigent de désarmer les nations et d'ouvrir les frontières sont ceux qui réclament sans discontinuer de policer l'internet et de le clôturer de taxes.
Voilà pourquoi l'idée même de "défense nationale" est, par essence, pour ces gens-là, mauvaise, en ce qu'elle participe de l'idée de survie de la nation, de celle de gestion indépendante et souveraine d'une liberté dont celui qui en jouit ne doit rien à personne. Cette conception de liberté est insupportable à l'internationaliste, qui, au mieux, l'associe à l'égoïsme, au pire, à la conception d'une mythomanie paranoïaque, celle du "héros" juché sur son "île au milieu d’un océan hostile", et dont le désir de "défense autonome" confine à la déraison sinon à la folie. Le peuple suisse doit payer son tribut comme tout un chacun et devoir le principe même de sa liberté à ce grand protecteur qui ne dit pas son nom et paraît seul légitimé à pouvoir faire usage des notions de souveraineté, de démocratie, d'indépendance...
Dans le cas de la Suisse, l'idéologue du désarmement par défaut de menace aura été l'expert militaire socialiste Lutz Unterseher, qui, le premier, aura lancé le slogan, "il n'y a plus de menace":
"Aucune menace militaire n’est actuellement dirigée contre la Suisse. Il est tout simplement inimaginable de penser qu’à l’avenir une telle menace pourrait venir des pays européens voisins."
"La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu'il n'existe pas !" avertissait pourtant Baudelaire il y a près d'un siècle et demi.
La parole de ce seul homme, Lutz Unterseher, suffit à servir de raison à une très forte majorité d'élites politiques, journalistiques ou intellectuelles.
Parole qui aura conduit le parti socialiste à fixer le principe dans ses propres statuts:
"Notre vision est que les armées nationales soient remplacées par un système collectif de protection de la communauté internationale.
[...] Les dépenses actuelles pour l'armée suisse doivent être entièrement réaffectées à la promotion internationale de la paix. Une abolition de l’armée par la Suisse serait aussi un signal fort au retentissement mondial qui lui faciliterait une politique internationale de paix crédible." (source)
C'est donc bien un procès idéologique qu'intente Pierre Veya à l'adresse d'Ueli Maurer, celui de ne pas avoir compris que la seule défense permise est celle qui remet son sort en main de ces structures mondiales, ONU, UE, seules légitimées à régner, réceptacles de toutes les bonnes intentions de l'humanité, pures et justes par essence et dont il ne convient pas de critiquer les buts, en ce que ceux-ci sont parfaitement conformes au fantasme internationaliste. Ce que Pierre Veya reproche à Ueli Maurer en somme, c'est avant tout de ne pas avoir su être, convenablement, docilement, un bon militant socialiste.
C’est assez simple: Veya est jurassien et gauchiste.
Les Jurassiens du canton du Jura ne sont-ils profondément anti-armée et avec Genève et certainement les plus suissophobes, plus particulièrement anti Suisses-alémaniques.
C’est l’impression que l’on a en écoutant certains politiciens, immigrés et salariès de la RTS-SRG et de la presse écrite. Posons la question à l’envers, Malheureusement, pas un nom ne me vient à l’ésprit!
Imaginons un peu que Maurer vienne de Bonfol ou Bourrignon, que dirait les médias?!
Un tout petit peu de culture historique permet aisément de saisir que l’ère des Empires est révolue depuis belle lurette, que ces constructions ont fait leur temps, ont démontré leur échec à se maintenir. La nation est un concept beaucoup plus jeune qui a, elle, une chance de rentrer dans le 21ème siècle. Et même plus…