Des journalistes français ont été enlevés par des islamistes dans la zone contrôlée par les rebelles en Syrie. Après de longs mois de captivité très éprouvante, ils ont été libérés et ont retrouvé leurs familles. Chaque Français doit en éprouver une grande joie et être touché par l’émotion des retrouvailles. Mais la mise en scène présidentielle de leur accueil sur le sol national m’a profondément choqué. A travers les images destinées à émouvoir, à attirer la sympathie pour les otages, ce qui se comprend, mais aussi pour les responsables associés à cette libération, on pouvait mesurer l’abaissement inouï de notre pays.
Il y a d’abord l’ambiance générale. On étale la sentimentalité comme une vertu. On pleure, on s’épanche, on embrasse. Un grand pays devrait faire preuve de plus de dignité, d’une plus grande retenue dans l’émotion, d’une plus grande fermeté à l’encontre des preneurs d’otages. Exhiber ainsi sa faiblesse, c’est accroître la tentation pour tous les ravisseurs potentiels du monde, de commencer ou de recommencer tant l’opinion publique est sensible à ces enlèvements, notamment lorsqu’il s’agit de journalistes, dont les médias, par une solidarité compréhensible, vont sans cesse rappeler la situation. Il serait plus dissuasif de dire que celui qui s’en prend à un Français a peu de chances de demeurer impuni. La France a mis un certain temps pour récupérer Carlos, mais elle y est parvenue. Depuis que l’Etat n’est plus un père protecteur, mais une « Big Mother », les discours virils et les actions répressives sont plutôt mal venus. L’Etat n’est plus commandeur mais quémandeur.
Quémandeur, il l’est à plusieurs niveaux. Les dirigeants qui veulent garder le pouvoir à tout prix, même quand ils affirment l’inverse pour détourner l’attention de la galerie, mendient sans cesse ces quelques voix qui vont les y maintenir. Le courage, le sang, la sueur et les larmes, semblent impossibles dans la classe politicienne de notre pays. On diffère ou on biaise les réformes nécessaires, on multiplie les gestes démagogiques et plus encore les paroles compassionnelles ou les spectacles attendrissants qui ont l’avantage d’être moins coûteux. Améliorer l’image, émouvoir, attirer la sympathie : telle est la manière peu glorieuse de faire semblant de gouverner aujourd’hui. Dans les libérations d’otages, une deuxième forme de mendicité intervient. « Un grand merci, mon bon Monsieur », doit-on à chaque fois répéter au pays et à ses dirigeants qui ont permis ce que la France ne pouvait directement obtenir. Merci le Cameroun, merci la Turquie, merci le Qatar : autant de dépendances avouées, acceptables lorsqu’il s’agit d’un pays de la famille africaine francophone, mais qui ne le sont guère lorsque les Etats remerciés sont ceux-là mêmes qui entretiennent la guerre en Syrie. Il est vrai que la politique internationale, à quelques exceptions africaines près, met constamment la France en état d’infériorité. Soit en robe de bure elle va demander une rallonge à la technocratie bruxelloise, soit elle se félicite qu’un pays étranger sauve son industrie par ses commandes contre transfert de technologie ou préserve une entreprise par ses participations ou son rachat. Toutefois, la chasse est gardée. Les Etats-Unis interdisent l’Iran par exemple. Sans mépriser un nécessaire réalisme économique, on peut parfois se demander si la France n’est pas à l’encan.
Dans le cas syrien, la France a tellement suivi les Etats-Unis et leurs alliés du golfe, ces modèles des Droits de l’Homme, qu’elle a failli les précéder. Car, enfin, ce bon Monsieur Hollande, qui va embrasser les otages à leur arrivée devant les caméras, est bien l’un des responsables politiques qui ont encouragé et certainement soutenu la rébellion contre le gouvernement Assad. Actuellement, l’armée loyaliste semble reconquérir le territoire, notamment le long de la frontière libanaise. Contre qui se bat-elle ? Pas contre des héros de la démocratie, mais contre des djihadistes pour la plupart étrangers à la Syrie, et qui, comme par hasard sont surtout puissants le long des frontières par lesquelles ils reçoivent armes et combattants et au-delà desquelles ils bénéficient du soutien réputé « humanitaire » auquel notre pays participe. Qui va croire qu’aucune rançon n’a été versée ? Par qui et à qui ? Est-il acceptable que directement ou indirectement la France alimente le djihadisme, la prolongation de la guerre à laquelle vont prendre part des « français », ces geôliers parfaitement francophones dont parlent les otages et qui risquent de revenir en France comme des bombes vivantes ? L’armée syrienne vient de libérer une ville chrétienne où des massacres et des destructions ont été commis par les islamistes. Il est évidemment honteux que notre pays soit objectivement complice de cette situation, et plus encore que ses dirigeants cherchent à tirer un quelconque bénéfice des conséquences d’une tragédie qu’ils ont contribué à déclencher.
Christian Vanneste, 21 avril 2014
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